La présidence tchèque de l’UE vue par l’historien Ilios Yannakakis: les Tchèques auront un rôle difficile
La présidence tchèque de l’Union européenne, mais pas seulement elle, est le thème d’un entretien réalisé avec Ilios Yannakakis, historien et politologue français, spécialiste des pays d’Europe centrale et orientale, qui a vécu pendant de longues années dans l’ancienne Tchécoslovaquie.
« Premièrement, je pense que les Tchèques auront un rôle très difficile, pour plusieurs raisons. Après la présidence française qui a été exceptionnelle, non pas parce qu’il y avait Sarkozy, entre autres, mais parce que la situation internationale était absolument unique. Il y avait une crise économique énorme, il fallait prendre rapidement des mesures proportionnellement à cette crise. Il faut reconnaître que la capacité d’agir de Sarkozy a été un élément très important durant cette présidence française. Et la mobilisation de l’Europe aussi, la mobilisation des hommes politiques européens que ça soit les Premiers ministres, que ça soit Barroso qui a joué un très grand rôle, que ça soit en même temps, lors de cette présidence, ne l’oublions pas, l’élection aux Etats-Unis, l’arrivée d’Obama qui a donné une autre dimension à cette présidence française. »
Maintenant arrivent les Tchèques…
« Les Tchèques vont affronter deux problèmes fondamentaux. Premièrement, ils vont se trouver, comme les Français d’ailleurs, dans une situation économique difficile, européenne et mondiale. On ne peut pas se dire en tant que Tchèque, ça va bien en Tchéco, parce que la situation internationale va avoir tôt ou tard des effets sur l’économie tchèque. Pour l’instant j’ai l’impression que les Tchèques n’ont pas pris conscience de cette crise économique du tout. Quand on vient ici, on a l’impression que rien ne se passe. Mais tôt ou tard, la république sera touchée par cela. Donc, deux questions se posent pour cette présidence tchèque : comment envisager la crise européenne et la crise mondiale par rapport à l’Europe, deuxièmement, répondre en même temps à la crise économique qui va toucher les Tchèques. Est-ce qu’ils sont préparés pour cela ? Il est difficile de juger. On n’en juge pas d’une façon théorique. D’autant plus que la classe politique tchèque a une position relativement tiède à l’Europe. C’est aussi un grand handicap. D’autant plus – je n’ai pas besoin de souligner que le président de la République tchèque est un anti-Européen viscéral – il y a le Traité de Lisbonne qui sera en jeu… Les enjeux sont donc énormes. «
Voyez-vous une certaine contradiction entre les slogans français et tchèque, « L’Europe qui protège » et « L’Europe sans barrières » ?« Oui et non. L’Europe en même temps protège, ça c’est tout à fait évident, nous vivons dans un espace relativement protégé, parce que les économies européennes ont plus ou moins le même niveau, les mêmes instruments, les mêmes visions de l’économie. Par conséquent, on peut se protéger. Se protéger contre les turbulences de l’économie mondiale. En même temps, si l’on reste enfermé dans une forme de production, alors c’est une catastrophe, puisque nous sommes dans un rapport de mondialisation. Se protéger, oui, pas s’enfermer, c’est une différence.»
N’a-t-on pas tendance à donner un peu trop d’importance à une présidence de l’UE?
« Tout est important. Une présidence n’a pas seulement un sens symbolique, puisqu’on implique un pays dans la politique européenne. C’est sûr. Et n’oublions pas qu’en politique, même la symbolique a de l’importance. Or être président de l’Europe, il y a un côté tout à fait pratique, parce que le pays s’implique justement dans la politique européenne, mais en même temps, il y a un symbole, c’est-à-dire une égalité de tous les pays par rapport à ce que nous sommes, c’est-à-dire l’Union européenne ».
La République tchèque est-elle vue en Europe comme un fauteur de troubles ?
« Non, n’exagérons rien. Cette idée, je la combats avec force. La République tchèque n’a pas l’image d’un fauteur de troubles. C’est tout à fait un non sens. Je pense que l’Europe a toujours avancé lentement, à force de compromis, à force de patience, à force d’explications, à force de compréhension de l’autre. Et si en République tchèque, il y a des tendances divergentes ou convergentes, l’Europe au moins est là pour trouver des compromis, pour trouver un langage commun et je pense que tous les pays européens font confiance à la République tchèque. C’est un pays économiquement évolué, intelligent. Même sa position géographique ; la République tchèque est le cœur de l’Europe. Qu’on le veuille ou non, les hommes politiques tchèques ont donc conscience de ce rôle. Pour moi personnellement, toutes ces belles phrases – la République tchèque, source de conflits – c’est des phrases journalistiques et moi, je me méfie un tout petit peu des phrases journalistiques ».Vous venez souvent en République tchèque. Quel climat y trouvez-vous ?
« C’est vrai que je suis un amoureux de la République tchèque. J’aime ce pays-là, j’ai vécu longtemps dans ce pays-là. Pourquoi on aime la République tchèque, pourquoi on aime une femme ? On ne sait pas. Il y a vraiment un profond amour. Mais en même temps, j’ai un regard critique sur ce pays-là. Ce pays-là est devenu relativement ennuyeux. Je pense que les gens sont trop rapidement rentrés dans cette vision petite bourgeoise, dirais-je, il n’y a plus ce sentiment d’effervescence intellectuelle, il n’y a plus ce sentiment de cette richesse, de cette beauté culturelle qui était le fort de la République tchèque dans des moments de crise. Et comme il n’y a pas de crise comme c’était sous les années de communisme, je pense que tout cela s’est un peu effrité. Mais néanmoins, le dynamisme de ce pays est quelque chose d’extraordinaire. Aujourd’hui, il faut aller dans des villes de province, parce que Prague n’est pas un modèle, pour voir comment cela s’est dynamisé, comment les gens ont envie de travailler, inventent, créent, il y a quelque chose qui n’est pas mort dans ce pays. C’est ça qui est formidable ».