Avec sa deuxième présidence de l’UE, la Tchéquie a passé un cap de maturité

Depuis son entrée dans l’UE, en 2004, la Tchéquie n’a eu l’occasion de présider les réunions des États membres qu’à deux reprises. En 2009, la première présidence tchèque n’a pas été très glorieuse : le gouvernement ayant démissionné, c’est un gouvernement intérimaire qui a mené la présidence européenne à son terme. En 2022, l’examen de rattrapage s’est mieux passé pour la Tchéquie. A la fin cette la présidence, les dirigeants de l’UE se sont dit extrêmement satisfaits. Mais qu’est-ce qui a valu tant d’éloges à la Tchéquie ? Nous allons en parler dans le dernier épisode de notre série « Sur les pas des Tchèques en Europe ». Et ce en compagnie de Viktor Daněk, le directeur adjoint de l’Institut pour la politique européenne EUROPEUM.

En juillet 2022, la Tchéquie a pris la présidence tournante de l’UE dans un contexte difficile. En effet, en février de la même année, une guerre a éclaté sur le continent européen, en conséquence de l’invasion russe en Ukraine. Les pays de l’UE sont venus en aide à l’Ukraine ; néanmoins, ils ont également dû faire face à un afflux de réfugiés et à une montée en flèche des prix des énergies. Viktor Daněk, vous suiviez tout cela depuis Bruxelles, où vous étiez correspondant de la Radio tchèque. Quel impact a eu ce contexte sur le rôle de la Tchéquie ?

V.D. : « Si les politiciens, diplomates et fonctionnaires tchèques se préparaient depuis longtemps déjà à la présidence tchèque de l’UE, l’agression russe a marqué un tournant. C’est la présidence française qui a eu à s’accommoder du premier choc ; toutefois, les Tchèques ont pris la relève avec une Europe plongée dans une situation sans précédent, et comme les diplomates me l’ont alors confié, il leur a fallu jeter à la poubelle une bonne partie de leurs priorités politiques et revoir complètement leur feuille de route. Néanmoins, lors de l’ouverture officielle de la présidence, à Litomyšl, le Premier ministre Petr Fiala s’est dit convaincu que la Tchéquie serait en mesure de faire face à cette situation difficile. »

Petr Fiala | Photo: Daina le Lardic,  European Union 2022 - EP

Petr Fiala : « Nous reprenons le flambeau de la présidence avec humilité, et avec la volonté d’assurer la continuité. Je suis convaincu que la République tchèque s’inscrit dans la lignée des succès français, et qu’elle remplira ses engagements envers l’Europe et ses citoyens. Nous traversons actuellement une décennie particulièrement difficile, mais je suis convaincu que de la même façon que nous avons maîtrisé les crises par le passé, nous saurons nous en débrouiller cette fois aussi. »

Quelles étaient les principales tâches qui attendaient la Tchéquie à Bruxelles ?

V. D. : « La tâche principale était de maintenir l’unité européenne. Cela peut sembler trivial, mais en pratique, cela s’est avéré loin d’être simple. Car la Hongrie s’est opposée à plusieurs reprises aux propositions de sanctions contre la Russie, bloquant par ailleurs le versement de l’aide financière à l’Ukraine. De plus, la Tchéquie a également dû faire face à la crise énergétique. Cependant, certains États membres étaient farouchement opposés à certaines solutions proposées, comme l’Allemagne, qui a longtemps été contre le plafonnement des prix d’échange du gaz. Et comme si cela ne suffisait pas, la Tchéquie a hérité de nombreux textes législatifs portant souvent sur des sujets très sensibles et qu’il lui a fallu mener à bout – notamment la quasi-totalité du paquet législatif sur la réduction des émissions. »

Le sommet informel à Prague | Photo: EU2022.cz

Pendant sa présidence, la Tchéquie a dû convoquer un certain nombre de conseils des ministres et autres réunions extraordinaires des Etats membres. Dans quels domaines son rôle a-t-il été couronné de succès, et où n’est-elle pas parvenue à ses fins ?

V. D. : « La Tchéquie est parvenue à négocier une triple extension des sanctions envers la Russie. Elle a imposé trois paquets de mesures d’urgence dans le domaine de l’énergie, des mesures qui ont contribué à ce que les prix des énergies reviennent à leurs niveaux les plus bas depuis le début de la guerre en Ukraine. Par ailleurs, la Tchéquie a trouvé une solution au différend avec la Hongrie, qui bloquait le soutien à l’Ukraine, et a ainsi permis à cette dernière d’obtenir de nouveaux prêts. Enfin, elle a négocié la version finale de plus de 30 propositions législatives, y compris la plupart des propositions de législation sur le climat. Quant à ses échecs, la Tchéquie n’est pas parvenue à ce que la Roumanie et la Bulgarie fassent leur entrée dans l’espace Schengen pendant sa présidence : cela n’a eu lieu qu’en 2024. Personnellement, je classerais également parmi les échecs la communication avec le public tchèque, car je pense que le gouvernement n’a pas vraiment mis à profit le potentiel représenté par cette présidence. Quoi qu’il en soit, de l’avis des autres États membres et des dirigeants européens, la présidence tchèque a été un succès, comme en témoignent les propos de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. »

Ursula von der Leyen | Photo: Présidence tchèque du Conseil de l'Union européenne

Ursula von der Leyen : « Nous avons toujours pensé que la Tchéquie était extraordinaire, et les six derniers mois l’ont prouvé à tous les égards. Vous êtes extraordinaires même lorsque vous ne présidez pas le Conseil européen. Ce pays a encore beaucoup d’autres qualités. »

V. D. : « Selon le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans, la Tchéquie a prouvé qu’Est et Ouest n’étaient plus que des termes creux, exactement comme l’aurait souhaité Václav Havel. »

En introduction, nous avons parlé du peu de mérite avec laquelle la première présidence tchèque s’était inscrite dans l’histoire. Mais quels souvenirs laissera en Europe la deuxième présidence tchèque ?

V. D. : « L’Union européenne est composée de tant d’Etats membres qu’avec le temps, les succès et les échecs des différentes présidences tombent dans l’oubli. Seuls restent les moments vraiment uniques... Parmi eux, on pourrait citer le tout premier sommet réunissant presque tous les pays européens – à l’exception de la Russie et de la Biélorussie – et qui, à l’instigation du président français Emmanuel Macron, s’est tenu au Château de Prague. Il a instauré une tradition de réunions de ce genre qui dure depuis. Il faut encore préciser que la première présidence tchèque n’a pas eu que des retombées négatives. Par exemple, la plateforme du Partenariat oriental, créée à l’initiative de la Tchéquie, s’est avérée intemporelle : elle est toujours en activité. Je pense que chaque présidence tournante permet de prendre conscience du fait qu’un Etat peut influencer l’orientation de l’ensemble de l’Union européenne, et pas uniquement pendant la durée de la présidence. »

Petr Fiala et Emmanuel Macron au sommet de Prague | Photo: EU2022.cz
Auteur: Viktor Daněk
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