Dubček-Havel : "pourquoi donner un visage humain à quelque chose de meurtrier?"
Alexander Dubček – Václav Havel : deux figures majeures de l’histoire de la Tchécoslovaquie dans la deuxième moitié du XXe siècle. Deux hommes aux parcours bien différents qui vont se retrouver côte-à-côte au moment de la chute du régime communiste. Aujourd’hui pourtant, le premier reste un symbole de l’échec du Printemps de Prague en 1968, l’autre celui de la réussite de la révolution de velours en 1989. Retour sur ces destins parallèles qui ont fini par se croiser.
Alors premier secrétaire du comité central du Parti communiste, Alexander Dubček est convoqué dans la capitale de l’URSS, où il est contraint de signer le protocole de Moscou, qui légitime l’invasion de la Tchécoslovaquie. En rentrant quelques jours plus tard, son discours à la radio est entrecoupé de longs silences.
Il est provisoirement laissé à son poste avant d’être nommé ambassadeur en Turquie lorsque son pays entre dans la triste période de « normalisation ». Période pendant laquelle la dissidence va parvenir tant bien que mal à s’organiser, autour notamment de Václav Havel.
Antonin Liehm, membre du journal réformiste Literarni noviny, a choisi, comme des dizaines de milliers de Tchécoslovaques d’émigrer à l’Ouest, après l’arrivée des chars :
« Il y a des gens dont je faisais partie qui pensaient que ça valait la peine d’essayer par tous les moyens – chez nous les moyens c’était la culture – de tâter la solidité du mur. Il y avait d’autres gens, Havel en tête, qui n’y croyaient pas et pensaient qu’il fallait s’occuper de littérature plus que de politique puisque politiquement on ne pouvait rien changer seuls, jusqu’à une aide de l’Occident ou grâce à la fragilité de l’URSS. Et ça a continué après 1989 : ce sont les gens qui ne croyaient pas à 1968, et ne croyaient pas à une possibilté de changer les choses à l’intérieur du système soviétique, qui ont pris le pouvoir. Ils ont décidé que 1968 était tout simplement une querelle entre communistes. »
Ce n’est en effet pas de l’intérieur que le dramaturge Václav Havel espère changer le régime, comme croyait pouvoir le faire Dubček. Emprisonné à plusieurs reprises, persécuté par les autorités, c’est lui qui, le 1er janvier 1990, prononcera ses voeux à la nation en tant que nouveau chef de l’Etat après la révolution de velours.
Pourtant Dubček s’était lui aussi fait acclamer par la foule pendant meetings et manifestations, et avait clairement fait savoir qu’il était candidat à la présidence de la République. Une déception énorme pour le héros du Printemps de Prague 20 ans plus tôt, qui était devenu pour beaucoup un homme du passé. Jiří Slavíček a lui aussi émigré en 1968 vers la France, où il vit depuis quarante ans et où Dubček reste un symbole :
« En 1990, j’ai eu la chance d’accompagner un communiste contre qui j’ai toujours protester, Alexander Dubček. On est passé à côté du Panthéon et pris la rue Mouffetard. Et il y a un garçon de café qui a enlevé son T-Shirt, pris un marqueur et demandé ‘M. Dubček, pouvez-vous me signer ça ?’. Il a signé et ça a provoqué un vrai attroupement... C’est vrai qu’en France on a joué toutes les pièces de Havel, peut-être plus qu’ailleurs, mais je ne connais pas d’autres pays où les analyses savantes et moins savantes mettaient Dubček et la fin du socialisme à visage humain vraiment très très haut. Je trouve terrifiant qu’il a fallu quarante ans, et encore, pour se rendre compte d’une chose totalement ridicule : quand il a dit qu’il fallait un socialisme à visage humain il a reconnu que c’était un monstre. Mais pourquoi diable donner un visage humain à quelque chose d’invivable, de salaud, de meurtrier ? Du coup, les Français sont les seuls à penser qu’il n’est pas responsable de ce fichu communisme-là. » En 1989, Dubček obtient un lot de consolation en étant nommé président du parlement fédéral. Mais il décédera trois ans plus tard des suites d’un accident de la route. Václav Havel, l’homme qui a dissout le Pacte de Varsovie, après 13 années passées à la tête de l’Etat tchécoslovaque puis tchèque, a aujourd’hui choisi de retourner à l’écriture. Mais si la première de sa nouvelle pièce est présentée à la fin du mois à Prague, il n’en oublie pas pour autant le combat pour les droits de l’homme dans des pays où ils sont régulièrement bafoués.