Des DVD en pagaille chez les marchands de journaux
Depuis l’année dernière, tous les quotidiens tchèques ont commencé à proposer des DVD bon marché à leurs lecteurs. Des DVD qui ne sont pas offerts mais vendus séparément des journaux à un tarif très réduit. Un vrai phénomène de consommation dans le pays, avec près de 60 millions de DVD ainsi distribués en 2007. Quel est l’impact de ce phénomène sur le marché ?
Pavel Borowiec est le directeur du DVD Group, une association qui réunit tous les professionnels du secteur :
« Dans les autres pays, en Grande-Bretagne par exemple, le système est différent : le DVD est vendu avec le journal et son prix est inclus dedans. Les choses sont différentes sur le marché tchèque. »
La sortie du DVD de Total Recall le mois dernier est un bon exemple. Le quotidien Sport indiquait dans sa réclame que le prix de Sport avec le DVD était de 51 couronnes. Le prix pour les deux produits. Mais on peut également acheter – et c’est souvent ce que font les consommateurs tchèques – le DVD sans le journal, en payant 40 couronnes, c’est-à-dire un peu plus d’1,5 euros. Comme tous ces supports bon marché, le DVD est vendu dans une enveloppe cartonnée plutôt cheap, mais le journal propose sur son site Internet de télécharger une jaquette digne de ce nom. Et Total Recall est encore vendu dans bon nombre de bureaux de tabac, même si l’offre date de quelques semaines. Pavel Borowiec :
« C’est une excellente nouvelle. Chaque vente de disque est bonne pour l’industrie. Les revenus tirés de ces ventes sont importants pour un marché qui connaît la fin précipitée du format VHS et qui est sous forte pression. Personne ne veut plus payer pour du contenu, le piratage fait des ravages... Chaque DVD vendu est bon pour nous parce qu’il permet de faire rentrer l’argent qui ne rentrait plus ces deux dernières années. »
Pour le critique de cinéma Tomáš Baldýnský, cette évolution est naturelle :
« C’était inévitable, c’est quelque chose qui devait être fait. C’est une tendance mondiale qui pousse à réduire le prix d’un film ou d’un DVD au minimum. Et le succès du DVD auprès du public a rendu tout cela possible. Maintenant je peux me demander si je vais télécharger un film pendant sept heures sur Internet ou si je vais plutôt débourser 49 couronnes pour l’acheter. Je peux acquérir le film légalement et je ne me sens pas coupable. C’est un phénomène auquel on pouvait s’attendre mais l’ampleur est telle que c’est quand même surprenant. »
Surprenant en effet. Les hebdos et mensuels tchèques avaient commencé à proposer des DVD pas cher un peu avant, mais une fois que la presse quotidienne s’y est mise, le marché s’est emballé. Tous les journaux nationaux sauf un en ont profité, et les quotidiens se seraient partagés près de 870 millions de couronnes en 2007. Plus de 250 titres et près de 60 millions de DVD ont été ainsi distribués à prix cassé, alors que moins de trois millions de DVD normaux (qui coûtent normalement entre 300 et 400 couronnes) ont été achetés en République tchèque l’année dernière.
Quant au genre de films qui sont vendus dans une « Trafika », le bureau de tabac du coin, Pavel Borowiec explique que la sélection dépend des titres que les journaux peuvent acquérir à bas prix :
« Vous êtes limités par le fait que les studios hollywoodiens n’autorisent de telles sorties que dans des cas exceptionnels. Ils n’autorisent jamais la sortie de nouveaux films dans ce genre de distribution, ni la sortie de films plus anciens d’ailleurs. Tout ce que vous pouvez distribuer de la sorte, ce sont des films qui ne se vendent plus dans le circuit normal. Et les films tchèques dominent ce marché. »Les trois meilleures ventes de l’année dernière dans ce réseau spécial ont été « Ať žijí duchové! », « Pelišky » et « S tebou mě baví svět », trois films considérés comme des classiques et très régulièrement diffusés à la télévision. Apparemment, les gens qui achètent ce genre de films n’achèteraient pas de DVD autrement ; ils profitent simplement de l’opportunité de payer trois fois rien un film qu’ils connaissent et adorent déjà. Pavel Borowiec de DVD Group à nouveau :
« Il n’y a aucun impact sur la vente totale de DVD. En fait, la vente en magasins a augmenté de 15% l’année dernière, donc il n’y aucune indication que ce nouveau phénomène ait eu des conséquences négatives sur les ventes. Mais il y a quand même des effets sur les locations de DVD : les gens ne vont plus louer les films qui ont déjà été vendus à bas pris avec les journaux. »
Autre question : quelle est la qualité du produit ainsi vendu ? Apparemment, à ce tarif-là, on n’a pas le top – le contraire serait d’ailleurs étonnant. Tomáš Baldýnský :
« Les disques en eux-mêmes ne sont pas très bien présentés. Bon nombre de ces DVD ont des problèmes de son. Parce qu’en fait ils ne mettent qu’une version de la piste vidéo et une version de la piste audio puis essaient juste de les synchroniser. En général, ce sont des transferts Beta, donc la qualité de l’image n’est pas vraiment bonne – ce n’est pas de la bonne qualité DVD, rien à voir avec le Blu-ray. Certains d’entre eux cependant sont très bons, et on peut se féliciter que les gens peuvent y avoir ainsi accès, d’autres sont assez pourris et doivent être traités comme tels. »Le marché de ces DVD bon marché distribué par la presse a explosé l’année dernière, avec une accélération significative depuis le mois d’août dernier. Combien de temps est-ce que cela peut durer ? Réponse de Pavel Borowiec :
« La situation est très risquée sur ce réseau de distribution. Beaucoup de DVD sont vendus, mais les risques liés au nombre d’invendus ne sont pas négligeables et peuvent engendrer des pertes importantes pour les journaux. C’est un marché très fragile. Ces DVD sont aujourd’hui à la mode mais les modes s’en vont aussi vite qu’elles sont arrivées... Mais c’est résolument une excellente alternative à la distribution normale, et c’est une vraie bénédiction pour nous. »