Billy the Kid ou comment l’homme fait son propre destin
Et si le sheriff Pat Garrett n’avait pas tué le bandit Billy the Kid ? C’est à partir de cette interrogation remettant en cause une des plus grandes légendes du Far West que la réalisatrice française Anne Feinsilber a construit son documentaire. Un documentaire pas au sens classique du terme, plutôt un documentaire-fiction, une réflexion et une quête de la jeune femme sur elle-même et sur un pays qu’elle aime – et ça se sent ! Un pays qu’elle aime pour sa complexité et ses contradictions, qu’elle est allée explorer caméra à l’épaule.
Je l’ai rencontrée au Festival du film français, où elle présentait son film Requiem for Billy the Kid. Et comme les Tchèques eux-mêmes sont, tout comme elle, grands fans de westerns, je lui ai quand même demandé, à tout hasard, si elle connaissait Winnetou, le héros indien des Tchèques qui ont tous rêvé devant la série de westerns spaghettis des années 60. Evidemment, Anne Feinsilber ne connaissait ni Karl May ni Winnetou, connus sans doute uniquement en Allemagne et en Europe centrale, mais l’existence de ces films a en tout cas éveillé son attention…
Faute de pouvoir lui demander son avis sur ces aventures un peu gentillettes tout de même, je lui ai donc demandé de me parler du Kid, ce fameux Billy, une des célèbres terreurs du Far West, qui aurait été tué à l’âge d’à peine 22 ans par son ex-comparse rentré dans le rang et devenu sheriff, Pat Garrett… A moins que…
« J’ai vécu aux Etats-Unis pendant sept ans, et l’idée du film est née d’une coïncidence. J’ai pris connaissance de l’enquête qui avait lieu au Nouveau-Mexique tout bêtement dans les journaux, dans le New York Times. J’étais chez moi à New York et me dire qu’aujourd’hui des policiers rouvraient une enquête sur un meurtre commis 120 ans plus tôt ou me dire que Billy the Kid était un personnage historique… Il y avait une sorte de rencontre entre la fiction et la réalité qui m’a beaucoup intriguée.Quand je suis arrivée là-bas, j’ai été marquée, pas seulement par la beauté des lieux, mais aussi de voir comment ça fonctionnait en référence au cinéma américain. Partout où j’allais, j’avais l’impression d’être dans un western. J’ai rencontré des gens là-bas pour qui l’histoire de Billy the Kid et le fait de savoir si oui ou non il a été tué par Pat Garrett, c’était de l’ordre des convictions comme si on leur parlait de quelque chose qui s’était passé dans leur vie, ça reste quelque chose de très ancré dans leur vie quotidienne et pas du tout mythique pour eux.
Mais évidemment, le problème d’un film sur Billy the Kid, c’est qu’il n’y a pas d’images. On est dans les années 1880. Il y a une photo de Billy, mais ça ne suffit pas pour faire un film. La seule façon de faire ce documentaire, ça aurait été la façon la plus classique : faire asseoir des historiens et leur demander qui était Billy the Kid. Ce que je ne voulais pas faire. Donc, je me suis demandée si ce n’était pas possible de créer un personnage de Billy the Kid entre fiction et réalité en partant de l’idée que la fiction peut être plus vraisemblable que le documentaire. »Quand vous parlez d’osciller entre la fiction et la réalité, est-ce de là qu’est née l’idée de faire un parallèle entre Billy the Kid et Arthur Rimbaud ? C’est un peu audacieux quand même, l’un a une arme, l’autre a une plume…
« L’idée de départ est née du fait que la photo de Rimbaud m’a beaucoup rappelé la photo de Billy. C’était d’ailleurs l’idée de mon co-auteur Jean-Christophe Cavallin. Il m’a dit que certaines choses dans les poèmes de Rimbaud lui faisaient penser à Billy. On s’est donc replongés là-dedans et il y a des choses qui nous sont apparues comme très pertinentes. C’est évidemment de l’ordre du parallèle, mais c’est là où ça devient intéressant.
Et par ailleurs on s’est rendu compte, au niveau purement rationnel, qu’il y avait beaucoup de coïncidences, de choses comparables entre les vies de Rimbaud et de Billy the Kid : les dates, les thèmes, Pat Garrett et Billy the Kid, Rimbaud et Verlaine, la quête d’une figure paternelle. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce sujet. »
Donc oscillation entre fiction et réalité, Rimbaud et Billy the Kid, le Nouveau monde et le Vieux continent… Le fait d’être française, donc de ce Vieux continent, et de faire un film sur le western, le symbole même de l’Amérique, est-ce que ça vous permet d’avoir un autre regard sur l’Ouest américain que l’on ne connaît parfois que par les images ?« Un des thèmes importants pour moi dans le film, c’est comment on passe d’un monde à un autre dans un même pays. J’ai tourné ce film au moment de la réélection de G. Bush, et on sentait qu’aux Etats-Unis c’était un tournant de l’histoire américaine. C’est cette idée de tournant : qu’est-ce que ça veut dire un vieux pays ? Rentrer dans l’ère moderne ? Et évidemment, le western symbolise ça : l’idée de frontière.
Quand l’Ouest s’est terminé, on a dit que c’était la fin d’une époque, qu’on entrait dans le monde moderne. Quel parallèle faire entre ça et le tournant qu’on était et est en train de vivre aux Etats-Unis ? Sachant que l’Ouest est une histoire de conquête, comme la guerre en Irak, alors que G. Bush lui-même a beaucoup repris l’imagerie du western, du cow-boy, sachant qu’en ce qui concerne l’Ouest, on pensait y amener la civilisation. Mais ce qui m’intéressait aussi, et c’est peut-être ce qui me touche le plus aujourd’hui en revoyant le film, c’est la question centrale : qu’est-ce que c’est de vieillir ? Pour un pays ? Pour une personne ?
Ce qui me touche le plus dans le film aujourd’hui, c’est que quelqu’un comme Kris Kristoffersson a incarné Billy the Kid, qui était Billy the Kid : c’était un rebelle, drogues, alcool et rock’n roll… Aujourd’hui, il dit : ‘quand je me regarde dans le miroir, c’est Pat Garrett que je vois’. Tout ça, ce sont des gens qui ont vieilli aujourd’hui, qui assument plus le poids des responsabilités. Alors que les sheriffs qui ont commencé cette enquête dans une admiration de Pat Garrett – le sheriff est devenu sheriff à cause de Pat Garrett, convaincu que Billy the Kid n’était qu’un punk – à la fin du film, admettent que finalement il n’y a pas de bons et de méchants, et on sent bien qu’ils ont de l’affection pour Billy. »
Vous êtes allée sur place. Vous êtes une femme et vous vous êtes retrouvée dans un monde qui est quand même essentiellement un monde d’hommes. D’une part : comment les gens vous ont-ils accueillie quand vous avez dit que vous faisiez un documentaire sur Billy the Kid ? D’autre part : d’après vous, en quoi le fait d’être une femme a-t-il influencé le documentaire ?« J’ai été très bien accueillie. Je pense qu’ils étaient surpris. Peut-être moins du fait que je sois une femme, que du fait que je sois française. Ils me disaient : ‘mais vous connaissez Billy the Kid en France !’ J’ai parlé de Lucky Luke. J’ai même fini par leur offrir un album de Lucky Luke. D’une certaine façon, et eux et moi, on partage une nostalgie de l’Ouest américain et c’est sur ça que ça a fonctionné. Peut-être le fait que je sois un outsider à tous les niveaux a joué pour moi. Le fait d’être une femme a eu une influence sur le regard que je porte sur eux, de façon évidente je crois. Mais surtout sur la fabrication du film. Je ne me suis rendue compte qu’après coup que finalement, devant la caméra, il n’y avait que des hommes et derrière la caméra il n’y avait que des femmes.
C’est sûr qu’un homme aurait approché les choses différemment, on m’a souvent dit que j’avais de la tendresse pour les personnes dans le film. En tout cas, j’avais une volonté très forte que la voix soit celle d’une femme, et qu’en particulier ces chansons américaines très connues soient interprétées par une femme, et Claire Diterzi qui a fait la musique a fait selon moi une interprétation absolument brillante de « Knockin’ on heaven’s door » de Bob Dylan. A mon avis – et Dieu sait que j’aime Bob Dylan – elle surpasse encore la version originale. »Le genre du western a connu son heure de gloire dans les années soixante. On pense par exemple aux Sept mercenaires. On a l’impression que ce genre-là a perdu de sa vigueur ces dernières années…
« C’est vrai qu’on fait moins de westerns qu’on en a fait. Bien qu’il y en ait là environ quatre qui vont sortir d’un coup. Est-ce que ça indique un renouveau du genre ? Je ne sais pas. Je pense que c’est simplement un genre qui a été beaucoup usé. Or, un genre doit se renouveler. Donc, dans les westerns qu’on fait aujourd’hui – et Clint Eastwood en est un bon exemple (ndlr : pour son film Impitoyable) – il faut retrouver des cartouches neuves pour réinventer un genre. Mais peut-être le western n’est-il plus aussi propre à réfléchir sur le monde contemporain qu’il l’était à l’époque. Ce qui était au cœur du western, c’est que l’homme fait son propre destin. Je ne sais pas si ça fait beaucoup rêver la génération d’aujourd’hui. »Et vous, qu’est-ce qui vous fait rêver dans le western et dans l’Ouest américain ?
« Ce qui me fascinait petite, c’est justement cette idée que l’homme fait son propre destin, parce que c’est ce que j’ai envie de croire, qu’on est défini par les choix qu’on fait, qu’on est l’acteur de sa vie. Aujourd’hui, ce qui me plaît et me touche le plus, c’est plus une phénoménologie de l’espace : ces espaces vides qui sont en fait habités par beaucoup de choses et beaucoup d’histoire. Le western est une sorte de mythe moderne, et comme tout mythe il peut être investi de beaucoup de sens. »Pour rebondir sur ce que vous disiez du vieillissement, ce qui est frappant dans votre documentaire, c’est de voir toutes ces personnes que vous interrogez, ces cow-boys vieillissants qui sont en fin de parcours, mais qui ont un discours qu’on dirait sorti tout droit du XIXe siècle. Ils disent : ‘j’ai mon colt, mon fusil, et c’est pour me protéger avec ma famille’. Comme si un siècle ne s’était pas écoulé depuis cette époque-là…
« C’est comme ça que c’est là-bas. J’y retourne régulièrement, et à chaque fois, j’entends une histoire différente sur une fusillade parce que le chien d’untel est entré sur la propriété de truc, que c’était la quatrième fois, et qu’il en a eu marre. Le Nouveau-Mexique est un Etat très sauvage, peu peuplé, qui est resté fidèle à cette mentalité-là. C’est vrai que les choses y ont très peu changé. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles je me suis bien entendue avec eux.Aux Etats-Unis, la notion de patrimoine a disparu. On est dans des villes très contemporaines, où les choses anciennes sont effacées. Or, au Nouveau-Mexique, l’histoire est toujours très présente et c’est une partie importante de leur vie. En ce sens-là, pour moi, ils ont quelque chose d’européen. »
Etes-vous déçue de ne pas avoir de réponse sur cette histoire de Billy the Kid qui aurait peut-être survécu, peut-être fini ses jours tranquillement, quasi embourgeoisé dans une petite ville ?
« Non, car j’ai toujours su que le film n’était pas sur l’enquête. Ce qui m’intéressait, ce n’était pas l’enquête, mais la quête. Néanmoins il y aura peut-être une réponse un jour car l’enquête continue, elle connaît des rebondissements et mes deux sheriffs étant extrêmement tenaces, je ne doute pas qu’un jour ou l’autre, ils arrivent à obtenir une forme de réponse. Mais moi, la réponse ne m’intéressait pas, aussi parce que c’est un mythe, et que le mythe est loin de l’histoire. La réponse historique ne changera rien au mythe. Si demain, ils découvrent que Billy the Kid est devenu un bon bourgeois dans l’état voisin, ça ne changera rien du tout à l’histoire de Billy the Kid. »