Emmanuelle Cuau ou l’art d’un quotidien kafkaïen
Emmanuelle Cuau est la réalisatrice du film Très bien, merci, qui met en scène Gilbert Melki et Sandrine Kiberlain. Le personnage d’Alex se retrouve pris dans un engrenage absurde qui l’amène du poste de police à l’hôpital psychiatrique. Après s’être arrêté pour observer un contrôle de police, il refuse de s’éloigner suite aux injonctions des policiers. Commence un enchaînement infernal d’événements qui bouleverse sa vie et celle de sa femme.
La scène-clé du film sent tellement le vécu que j’ai demandé à Emmanuelle Cuau, si elle s’était retrouvée dans cette situation :
« C’est un peu compliqué. Faulkner dit que tout acte de création, c’est un tiers d’autobiographie, un tiers de ce qu’on emprunte aux autres et un tiers d’imagination. Dans Très bien, merci, c’est vrai que ce n’est pas venu de rien. En 2002, après que Nicolas Sarkozy a été nommé au ministère de l’Intérieur, du jour au lendemain, on a vu la police se démultiplier dans les rues de Paris. Moi-même, je suis déjà intervenue un peu comme Melki dans le film, sans m’énerver et en regardant juste. Et oui, je me suis retrouvée au poste. Je me disais : cette société est un peu bizarre.
Quand chacun est dans son droit avec la police qui a le droit de vous tutoyer, les psychiatres ont le droit de se comporter comme ils le font, ça peut devenir très inquiétant. Les gens vous disent : ‘je fais mon boulot’. Sauf qu’à un moment donné quand chacun fait son boulot, il y a des engrenages curieux qui se mettent en route et qui me fichent la trouille… »La première chose qui vient à l’esprit quand on voit ce film – et ce n’est pas peu de le dire à Prague – c’est de se dire que c’est kafkaïen…
« On me l’a souvent dit. C’est vrai que j’adore Kafka, mais je n’y avais pas pensé. Je viens de relire Le procès, j’ai revu le film d’Orson Welles : c’est vrai qu’au début, Josef K. est chez lui, chez sa logeuse, deux huissiers viennent l’arrêter, il n’a rien fait. Son seul crime c’est d’exister, de vivre. Ca fait un procès sans fin sauf qu’il sera condamné à mort et exécuté. C’est des situations absurdes mais qu’on retrouve au quotidien partout et tout le temps. »Vous avez dit avoir fait un « film de citoyenne », donc c’est une forme d’engagement ?
« Je ne voulais pas juger, ce n’est pas un film contre la police. Mais je trouve que chacun de nous à sa façon doit réagir à ce qui se passe autour de lui. Moi, je n’arrive pas à me taire. »Votre film est sorti dans l’entre-deux tours de la présidentielle française. C’est un hasard de calendrier ?
« Mon producteur m’a dit que ça lui portait toujours chance de sortir un film en avril. Moi j’avais oublié que ce serait dans l’entre-deux tours. C’est donc un hasard. Mais les gens l’ont pris comme un tract anti-Sarkozy, comme un film politique. Alors que pour moi, ce n’est pas un film politique. Ou alors s’il l’est, tout est politique. »