Culture alternative : sur vinyls et sur les murs des villes
Ce week-end nous célébrons le 17 novembre, une date qui est la journée internationale des étudiants, mais aussi et surtout en République tchèque, la Journée de la lutte pour la liberté et la démocratie. Une journée étroitement liée à deux vagues de révoltes étudiantes dans l’histoire tchèque en 1939 et en 1989. Les deux thèmes de cette rubrique sont donc d’une certaine façon en rapport avec ce jour important pour la jeunesse et le sentiment de liberté et d’avant-garde qu’on associe en général avec le monde estudiantin.
Mais tout d’abord, je veux vous faire découvrir Tamizdat, un projet qui a vu le jour à la fin des années 1990, une maison de disques qui s’est donné pour objectif de faire la promotion de toute la musique alternative et underground d’Europe centrale dans les pays de l’Ouest, en Europe mais aussi en Amérique du Nord.
C’est en 1998 précisément que Tamizdat voit le jour. A l’origine de l’idée, deux New-Yorkais : Heather Mount et Matthew Covey, qui à l’époque vivaient en Slovaquie. Marek Culen est directeur de projet chez Tamizdat, il se souvient de l’impulsion première des deux fondateurs qui, depuis, sont retourné aux Etats-Unis :
« Ils l’ont créé à partir de leur propre expérience : ils sont eux-mêmes musiciens et le fait d’avoir vécu ici pendant une certaine période leur a permis de voir quelles étaient les conditions dans lesquelles exerçaient les musiciens en Europe centrale, comment fonctionnait la scène indépendante locale. Ils ont été enthousiasmés par la richesse de cette scène musicale, par des groupes excellents qui n’avaient aucune chance de se montrer ailleurs que dans leur pays, sans même parler de l’Ouest. »
Concrètement, Marek Culen s’est retrouvé en charge de mettre en place un réseau de connections à travers toute l’Europe centrale et orientale :
« Je travaille sur le projet RPM. C’est une marque que vous trouverez sur n’importe quel disque vinyl. Ca veut dire ‘rounds per minute’, c’est-à-dire des tours minute mais nous on l’a appelé ‘revolutions per minute’, pour faire un petit jeu de mot. Le projet est une association de maisons de disque indépendantes de toute l’Europe de l’Est. Nous avons essayé de contacter le plus de maisons possible et d’assurer la distribution de leurs titres. C’est ce qu’on peut voir sur notre site web, nous avons une boutique ‘on-line’. »
Mais Tamizdat, ce n’est pas que de la distribution de disques. L’association propose également des services comme par exemple, assurer aux artistes des visas pour ceux qui souhaitent travailler aux Etats-Unis. Autre projet qui n’a malheureusement jamais réellement abouti : la compilation et l’archivage de documents écrits et sonores, samizdats, polycopiées, enregistrements, de la dissidence sous le communisme. Un embryon de bibliothèque existe bien tout de même, dans les locaux que Tamizdat partage avec Unijazz, à deux pas de la place Venceslas.
Tamizdat s’est aussi donné pour mission de faire tourner les artistes à travers l’Europe et en Amérique du Nord. Festivals, concerts et autres événements musicaux alternatifs : des musiciens comme Ecstasy of Saint-Theresa, qui comme son nom ne l’indique pas est un groupe tchèque, les vieux de la veille toujours au poste les Plastic People of the Universe, mais aussi la remarquable Iva Bittova, des groupes comme Uz jsme doma ont eu la possibilité de faire découvrir leurs sonorités sur d’autres scènes. Et de se faire parfois un nom… Iva Bittova par exemple, dont nous vous avons déjà souvent parlé sur cette antenne, et qui connaît ces dernières années un franc succès outre-Atlantique.
Vous avez déjà remarqué sur les murs, les lampadaires, les poteaux, à des endroits parfois inaccessibles des objets collés non-identifiés ? Des petits bonhommes ou des reproductions de célébrités, des dessins étranges dont on a l’impression parfois qu’ils sont codés, des stickers colorés, des images en pochoir disséminées à travers la ville… Toutes ces interventions, tous ces messages (ou non) laissés ça et là, c’est ce qu’on appelle du « street-art ». Ou quand l’art sort dans la rue et en prend possession, comme l’explique Tomas Pospiszil, historien de l’art, qui s’intéresse de près à cette forme d’expression artistique alternative :
« Une des définitions du street-art, c’est qu’il s’agit d’une réaction au visage de la grande ville actuelle. Si l’on regarde les rues aujourd’hui, que ce soit à Prague, Bangkok ou Oslo, elles sont remplies d’inscriptions, d’affiches, de pubs qui nous attaquent de tous les côtés. Les artistes qui font du street-art tentent d’entrer dans une forme de dialogue avec ce langage visuel agressif, de le couvrir, d’en récupérer certains codes tout en les détournant de manière subversive. »
Le street-art, une forme d’expression politique ? On pourrait le penser quand on voit par exemple ces projections bariolées, appliquées avec un spray et un pochoir, du célèbre portrait du dirigeant communiste de la normalisation Gustav Husak, sur certains murs de la capitale. Un portrait détourné, transformé et bariolé, un peu à la façon d’Andy Wharhol. Mais pour Tomas Pospiszil, la communauté d’artistes de rue est extrêmement diverse, certains se fichent de la politique comme d’une guigne, d’autres sont au contraire très politisé, et utilisent l’espace urbain comme une agora.
Pour certains, le street-art est bel et bien de l’art, pour d’autres, c’est une forme de pollution de l’environnement urbain… En tout cas, s’il existe depuis une trentaine d’années à l’Ouest, en République tchèque le phénomène est très récent. Tomas Pospiszil :
« Ce n’est qu’en 1989 que l’art de la rue est apparu ici. C’est un hasard, mais c’est en fait un groupe de graffiteurs venu de France qui a, à l’époque, formé sur place des jeunes qui avaient à l’époque 15, 16 ans. Sinon, en ce qui concerne les stickers, leur développement est lié avec celui de la technologie. En 1990, personne ne pouvait imaginer que chaque PC pourrait devenir un petit studio graphique à lui tout seul, où on peut créer une image, facilement l’imprimer sous forme d’une image, d’un pochoir, et d’autres formes. »
Pash* a 23 ans. Alors qu’il était encore au lycée, par amusement et avec sans doute un brin d’espièglerie, il aimait coller des petits stickers là où les gens ne s’en rendaient pas compte. Il explique qu’à l’époque, il voyait cela comme une manière d’apprendre à regarder autour de soi, dehors, dans la rue. Car souvent, ces objets artistiques ne sont pas à hauteur de regard, et il faut lever le nez ou baisser les yeux pour les remarquer. Plus tard, il est passé aux affiches en papier à l’acrylique…
Pourtant, pash* est assez catégorique sur sa définition du street-art, et d’ailleurs lui-même ne se considère pas comme un artiste de rue, un « street-artist » :
« Pour moi, il n’y a pas de définition du street-art, c’est un moyen et un espace d’expression comme les autres. La seule chose qui le définisse, c’est ce ça se passe dans la rue, et les paramètres techniques. Il y a plein de théories qui disent que c’est un mouvement artistique, mais pour moi c’est juste une possibilité de mettre ses œuvres dehors pour que tout le monde puisse les voir. Je ne l’ai jamais pris trop au sérieux, ça a toujours été une forme d’entraînement, une manière d’exposer quelque chose qui vaut le coup. Bien sûr, on fait attention à l’endroit où on le place, comment, et à la manière dont on veut communiquer avec l’observateur. »
Une des caractéristiques du street-art est son caractère éphémère… Un des intérêts principaux que retient pash* :
« J’aime beaucoup ce processus, le fait que la chose ne soit jamais définitive. Les œuvres ont des durées de vie limitées, elles sont changeantes, au gré des changements de la météo et de l’environnement. Même le fait que les gens les détruisent, cela fait partie de ce processus que je trouve intéressant. »
Un paradoxe, donc, que l’exposition organisée par la galerie Skolska 28, à Prague. De même que la parution d’un livre, édité aux éditions Arbor Vitae, collection photographique présentant de façon exhaustive plus de 900 stickers et stencils. Car exposition et livre sont par principe une façon d’archiver et de conserver. C’est un Hongrois qui vit en République tchèque, Istvan Leko, qui pendant ces cinq dernières années, a méthodiquement collectionné des œuvres qu’il a décollées, récupérées ou photographiées.
Un fait qui interpelle : d’après pash*, les oeuvres de street-art ont plutôt la vie longue à Prague, contrairement à d’autres villes… Etonnant, pour la ville-musée que peut représenter parfois la capitale tchèque. Pour le jeune homme, Prague ne connaît pas vraiment de grosses vagues de nettoyage de la part de la municipalité, comme dans d’autres métropoles, et surtout, les habitants commencent à le considérer comme faisant, finalement, partie intégrante du paysage. Résultat, certaines œuvres restent parfois deux ans. Et pour peu que l’artiste ait choisi une friche industrielle ou une baraque en ruines comme cadre, comme l’explique pash*, « personne ne va aller râler »…