Une école par les Roms pour les Roms
Direction aujourd'hui le quartier de Zizkov, près du centre de la capitale, pour la visite d'une école. Une école pas comme les autres, une « école d'enseignement secondaire de droit social » créée à l'origine pour les jeunes Roms. Avant de changer de nom, l'établissement s'appelait d'ailleurs « l'école rom ».
10h lundi : la sonnerie marque la fin de la première récréation du matin. Une quinzaine de jeunes rentrent dans la salle de classe. La rentrée a eu lieu récemment et l'emploi du temps n'est pas encore définitivement établi, mais tous les élèves inscrits ici sont impatients de commencer le programme de l'année.
Parmi les matières enseignées dans cette école, il y a du tchèque et de l'histoire bien sûr, mais aussi une formation à la médecine, au droit, et au travail communautaire. Milan a 17 ans, il est en première. Après quelques échecs dans des écoles où il se sentait « différent », il dit avoir trouvé dans celle de Zizkov une formation qui lui correspond :
« J'ai choisi cette école parce que je veux aider les gens qui sont dans le besoin, surtout les Roms. Ici, on a des profs spéciaux qui ont des expériences dans le domaine. Ils nous en parlent, et nous expliquent ce que nous pouvons faire pour les aider. »
Et dans les matières enseignées dans cette école, il y a aussi la langue romani. Certains des élèves comprennent la langue de leurs ancêtres mais peu la parlent activement. Entre eux, en cours et dans la rue, ils parlent tchèque. Tomas est dans la même classe que Milan. Il ne parlait pas du tout le romani avant de s'inscrire ici :
« C'est important pour nous d'apprendre la langue romani. Cela nous permet de communiquer avec des gens de notre communauté qui ne parlent pas bien le tchèque. Ici, ça me plaît et puis j'apprends comment venir en aide à ma propre communauté. Et puis j'ai l'impression que les gens me comprennent mieux que dans l'école où j'étais avant. »
Helena Fecova est professeur de romani dans l'école de Zizkov. Elle a commencé à l'enseigner l'année dernière. D'après elle, plus de 30% des Roms tchèques ne comprennent pas le romani aujourd'hui :
« C'est certainement une étape d'une énorme importance que celle de l'apprentissage de cette langue. Cela va prendre un peu de temps mais en tout cas c'est primordial qu'ils reconnaissent cette langue comme la leur, qu'elle est indissociable de leur appartenance ethnique. Beaucoup d'enfants ne savent pas vraiment à quelle communauté ils appartiennent. Cette langue est très importante pour leur identité. »
L'école d'enseignement secondaire de droit social a été fondée par Emil Scuka. Juriste de formation, formé au droit sous le communisme, Emil Scuka est une figure de la communauté rom tchèque. Après la révolution, il s'est lancé dans la politique, a fondé le premier parti politique communautaire appelé Initiative civique rom (ROI) et est devenu le secrétaire général de l'Union Internationale des Roms (IRU). A la fin des années 1990, il quitte la politique pour se lancer dans ce projet éducatif. Dix ans après, son école est présente dans six villes du pays. Il est aujourd'hui fier de compter plus d'un millier d'élèves en tout.« J'ai créé cette école il y a dix ans, pour que les Roms aient la possibilité d'étudier. Il n'y a pas plus de discrimination dans le système tchèque que dans le système français ou allemand par exemple. Peut-être même que le système tchèque est meilleur, mais la discrimination existe. Notamment avec les écoles spéciales, il n'y pas d'égalité des chances. »
Les « écoles spéciales » : des écoles destinés aux enfants à problèmes ou handicapés : un legs du régime communiste. En République tchèque comme dans d'autres pays de la région, une forte proportion de jeunes Roms sont très rapidement orientés vers ces écoles spéciales, qui n'offrent pas de perspectives d'avenir. L'objectif d'Emil Scuka est de faire en sorte que les jeunes sortent de son école avec le bac en poche, un minimum aujourd'hui selon lui :
« Environ 70% des inscrits obtiennent leur bac dans notre école. Après, la majorité d'entre eux travaille. Parfois les filles ont des enfants donc sont en congé maternité. Et puis certains continuent leurs études à l'université. Nous avons aujourd'hui des étudiants dans les facultés philosophique et pédagogique, en droit, et à l'académie de police. »
Et il n'y a pas que les jeunes qui s'inscrivent dans l'école d'Emil Scuka pour passer le bac. A plus de 60 ans, Helena Fecova, qui y enseigne aujourd'hui le romani, a voulu relever le défi :
« Je n'étais allée qu'à l'école primaire. Et à 65 ans je me suis fixé cet objectif et j'ai voulu m'offrir à moi-même ce cadeau. Je me suis inscrite dans cette école pour devenir bachelière. »
Passer le bac : l'objectif de tous les élèves de cette école de Zizkov, mais pas le seul. Monika, 16 ans, y est inscrite depuis l'année dernière :
« Oui, je veux avoir mon bac, et j'aimerais faire des études après. Et puis pour moi ce serait bien de rendre service aux gens de ma communauté. Parce que les Roms sont socialement faibles et que certains d'entre eux ont besoin d'aide. »
Certaines critiques se sont pourtant faites entendre contre le projet d'Emil Scuka et contre cette « école rom », même si quelques élèves non rom sont inscrits. Le projet est soutenu par la ministre en charge des droits de l'homme et des minorités Dzamila Stehlikova, mais pour certains c'est une forme d'auto-discrimination. Des critiques auxquelles refuse de répondre le directeur :
« Je ne réponds rien à toutes ces critiques, moi je travaille. Je n'ai pas le temps de répondre, j'ai un objectif et je travaille pour le réaliser. Cette école donne leur chance prioritairement aux Roms, mais elle donne leur chance aussi aux Tchèques, à ceux qui n'ont pas peur des Roms, qui n'ont pas peur d'aller en cours avec des Roms. Ces Tchèques-là sont les bienvenus dans l'école. »
Et Emil Scuka ne compte pas en rester là :
« A l'avenir, je veux travailler pour soutenir la culture et l'art rom, toujours dans le secteur de la formation. Pour que l'on n'oublie pas que les Roms ont été parmi les premiers musiciens et artistes en Europe. C'est pour cela que je viens d'ouvrir un nouveau conservatoire à Prague. »