Rom ou pas Rom ? Les écoles spéciales priées de recenser leurs élèves

Photo: Archives de Radio Prague

Recenser les élèves roms scolarisés dans leurs établissements. Telle est la mission dont ont été chargées par l’Inspection de l’éducation nationale les directeurs des écoles dites pratiques, autrefois aussi appelées spéciales. Depuis plusieurs années, la République tchèque est régulièrement accusée par les instances européennes de violer les droits des enfants roms à une éducation sans discrimination en les plaçant dans ces écoles pratiques. Toutefois, selon l’Association des pédagogues spéciaux (ASP), non seulement un tel recensement est interdit, mais aussi impossible. En effet, comment reconnaître qu’un élève est rom ou ne l’est pas ?

Photo: Archives de Radio Prague
La demande des inspecteurs a été transmise la semaine dernière aux directeurs de toutes les écoles élémentaires pratiques du pays. Ceux-ci avaient jusqu’à jeudi 26 septembre pour faire le décompte de leurs élèves roms et transmettre les chiffres au ministère de l’Education. Ce recensement intervient en réaction à l’arrêt prononcé en 2007 par la Cour européenne des droits de l’homme suite à la plainte déposée par dix-huit Tchèques d’origine rom scolarisés dans des écoles spéciales en raison, selon eux, de leur origine ethnique. A l’origine, ces établissements étaient destinés aux enfants souffrant de défiances intellectuelles et incapables de suivre un cursus scolaire ordinaire. Dans la réalité, en République tchèque, ces écoles pratiques accueillent dans une très grande majorité des enfants roms. Lorsque nous l’avions rencontré en novembre 2012 à Prague, le commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe, Niels Muižnieks revenait d’une visite dans une de ces écoles spéciales à Kladno, en Bohême centrale. Pas langue de bois, le commissaire letton nous avait alors raconté ce qu’il avait vu là-bas :

Nils Muižnieks | Photo: Conseil de l'Europe
« On m’a dit qu’on ne connaissait pas le pourcentage de Roms inscrits. Du moins officiellement. Parce que, sinon, on sait bien que 100 % des élèves sont des Roms. Alors, oui, j’ai vu un bâtiment fantastique, des enseignants très bien, mais ça n'en reste pas moins une école séparée. C’est évident qu’il existe un grand intérêt pour maintenir le système actuel en l’état, même si celui-ci n’est bien ni pour les Roms ni pour la République tchèque dans son ensemble. Et parmi les enfants que j’ai vus à l’école, il y en avait peut-être un qui avait des problèmes psychiatriques. Mais pour les autres, même si je ne suis pas un spécialiste, il ne m’a pas semblé qu’ils avaient des besoins spéciaux au niveau psychiatrique ou psychologique. Ce sont surtout des enfants qui ont besoin du soutien de leurs enseignants, de leurs parents et des autorités locales. »

Aujourd’hui donc, l’Inspection de l’éducation nationale tchèque entend prouver à travers ce recensement que le nombre d’enfants roms discriminés dans leur scolarisation est en baisse.

Dans une lettre adressée au ministère de l’Education, le directeur de l’ASP, Jiří Pilař a réagi en affirmant que cette directive était en contradiction avec la Déclaration universelle des droits de l’homme, car la définition de l’appartenance ou non d’un enfant à la minorité rom constitue une décision subjective. Toutefois, sur la base d’une instruction transmise par le ministère du Travail et des Affaires sociales et validée par l’ombudsman, est Rom toute personne prétendant l’être ou étant considérée comme tel par une grande partie de son entourage. Mais là encore, selon Jiří Pilař, tous les enfants scolarisés dans les écoles spéciales ont été diagnostiqués comme souffrant d’un léger retard mental et, toujours selon lui, « une grande partie de l’entourage » ne constitue pas un critère suffisamment clair et précis.

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Autant de considérations qu’affirmait ne pas comprendre le commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe lors de son passage en République tchèque :

« Je crois qu’il faut supprimer ces écoles pratiques et spéciales. Il faut que les enfants roms soient scolarisés dans des établissements normaux, car il y a très peu d’enfants roms qui souffrent d’un retard intellectuel. Oui, je crois qu’ils ont besoin d’un soutien particulier, ‘spécial’ pourrait-on dire, mais cela ne signifie pas les placer dans des écoles séparées. Non seulement financièrement mais aussi socialement, cela coûte très cher d’avoir un système ségrégé d’éducation avec une qualité d’enseignement bien moindre que dans les écoles normales. »

Et toujours selon Niels Muižnieks, la situation au problème est relativement simple :

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« D’abord, il faut arrêter avec tous ces tests psychologiques pour des enfants qui sont encore en bas âge. Deuxièmement, si on soumet ces enfants à des tests, cela doit surtout servir à identifier les moyens pour les aider dans des écoles normales, et non pas pour les mettre dans des écoles séparées. Troisièmement, il faut promouvoir la formation des enseignants pour aider les élèves. Il faut également que cesse l’opposition des non-Roms contre l’intégration et soutenir les familles roms, surtout celles qui ont des petits enfants. Il faudrait que ceux-ci fréquentent des crèches ou autres établissements de ce type afin de les préparer à une formation normale. »

Pour l’heure, la seule certitude dans cette affaire est que le ministère de l’Education aura besoin des chiffres de ce recensement très controversé pour le Conseil de l’UE en décembre prochain. Néanmoins, selon les statistiques, depuis un nouvel arrêté adopté par le ministère en 2011, le nombre d’enfants roms dans les écoles pratiques aurait sensiblement baissé, passant de 35 à 26%. Ce qui n’empêche pas que, dans les faits, comme nous l’a confirmé le commissaire Niels Muižnieks, 100% ou presque des élèves sont des Roms…