Les frères Larrieu à Prague : un coup de foudre entre deux couples, ça n'a jamais été fait au cinéma
Aujourd'hui, je vous propose une rencontre avec les frères réalisateurs Arnaud et Jean-Marie Larrieu, venus à Prague en juin dernier, à l'invitation de l'Institut français. Ils ont à leur actif une dizaine de courts et longs métrages, parmi lesquels « La Brèche de Roland », « Un homme, un vrai » ou encore « Peindre ou faire l'amour », leur dernier film en date, présenté au Festival de Cannes en 2005. Frères dans la vie et derrière la caméra, les Larrieu m'ont parlé, autour d'une bière, de leur manière de filmer à deux. Une méthode qui a de nombreux avantages à leurs yeux.
J.-M. : « Lorsqu'on fait un premier synopsis, il peut y avoir une idée qui vient de l'un ou de l'autre. Ensuite, quand on reprend l'écriture du scénario, on travaille ensemble. On est physiquement dans la même pièce, avec un ordinateur, on parle à voix haute, une phrase en amène une autre, on cherche ensemble. Quand on travaille à deux, il y a toujours une troisième idée qui naît de la confrontation. »
Vous n'avez jamais envie de travailler séparément ? De monter des projets chacun de son côté ?
A. : « Tout est fatiguant. Parfois, il faut s'arrêter. Nous aussi, à l'écriture, on se sépare pour une semaine, on se réparti des séquence, et puis on se retrouve. Il y a une chose encore : sur le plateau, moi, je suis à l'image, au cadre, tandis que Jean-Marie est plus à la direction de l'acteur, il suit plus le texte. Les acteurs sont un peu plus entre deux points de vue, ce qui n'est pas mal. Ils sont... pas mal à l'aise, mais dans un espace qu'ils ne connaissent pas tellement.
J.-M. : « Il n'y a pas de jeu de séduction. Ils ne peuvent pas jouer pour les deux, donc ils jouent les personnages. La vraie histoire c'est est-ce qu'on fait jouer l'acteur pour la caméra ou est-ce que la caméra se place par rapport au jeu de l'acteur. Mais quand on est à deux, ces deux notions se travaillent en même temps. Au moment de la prise, je peux directement regarder les acteurs parce que je sais qu'Arnaud est à la caméra. Inversement, lui, il peut se consacrer sur les déplacements. »
Côté casting, vous vous mettez d'accord facilement ?
A. : « Nous n'avons jamais eu de problèmes. On n'a pas toujours les mêmes avis au début, mais après, on fait en sorte que nos opinions se rejoignent »J.-M. : « A chaque fois qu'on s'est dit : c'est elle où c'est lui, on se le disait en même temps. Mais sur la manière de travailler au tournage ou sur l'écriture, il y a toujours une espèce d'appréhension... C'est presque le sujet de nos films : les ambiguïtés du réel, qu'est-ce qui est comique et dramatique... Une sorte d'incertitude des choses qu'on aime bien. Je pense que le fait d'être à deux le conforte encore plus. »
A. : « En plus, ce qui est très dur pour les gens qui sont seuls (à part ceux qui savent vraiment tout ce qu'ils veulent), et c'est qu'ils doivent faire semblant de le savoir, parce qu'il y a derrière toute une équipe qui attend. Alors qu'à deux, on peut discuter et l'équipe dit : ils discutent et non pas ils hésitent. Mais en réalité, on est perdu (rires) ! Quelqu'un de seul qui cherche, c'est un peu stressant pour les autres. »
Comment s'est passé le tournage avec Avec Daniel Auteuil, Sabine Azéma tous ces grands acteurs que vous avez dirigés dans « Peindre ou faire l'amour » ?
J.-M. : « Cela s'est très bien passé. Nous-mêmes, nous avions beaucoup de pression, en se disant que si nous les faisons venir sur le plateau, il faut savoir exactement ce que nous voulons. Nous avons voulu d'abord les voir jouer, mais ce sont des acteurs qui ne jouent vraiment que quand ça tourne. Il y avait donc cette contradiction à gérer. On les faisait venir, on répétait un peu, on entrevoyait quelque chose, mais au fond, il fallait très vite se lancer dans le bain de la prise, pour construire les séquences. Et puis, ce sont des acteurs très instinctifs, on n'a jamais aussi peu parlé à des acteurs qu'eux : juste deux trois mots, une direction... Mais c'était très agréable, parce qu'à l'inverse, ils rentrent dans les personnages d'une manière incroyable. Auteuil, il sortait du film de Haneke, il a pris quinze jours de vacances avant de venir sur le nôtre et au soir du premier tournage, ça y est, il est devenu le personnage ! »C'est pour avoir grandi dans les Hautes-Pyrénées que les frères Larrieu placent fréquemment leurs histoires dans des régions montagneuses. Que ce soient les Pyrénées ou les Alpes, où ils ont tourné dernièrement Peindre ou faire l'amour. La nature, est-ce pour eux un simple décor, ou bien un personnage en soi ?
J.-M. : « On filme les lieux qui entourent les acteurs et les personnages avec égalité. Cela a autant d'importance. »A. : « Et les lieux sont des moments. Donc des sensations, donc des sentiments. Le paysage de fond, on s'en fout un peu. Quand on a tourné ('Peindre ou faire l'amour', ndrl) en Rhône-Alpes, puisqu'on ne pouvait pas tourner, pour des raisons financières, dans les Pyrénées, évidemment, on voyait de beaux paysages partout. Mais pour trouver des endroits 'point de vue'... des endroits 'sensation', s'est plus compliqué. Il faut s'arrêter... Sur le dernier film, c'était vraiment la maison qui était la plus importante. Cela était douloureux de ne pas pouvoir tourner dans les Pyrénées, mais au final, on est très contents. On s'est rendu compte que cette histoire des Pyrénées, ce n'est plus compliqué, qu'on a des sensations à nous, mais qu'on peut les transporter. »
Peindre ou faire l'amour, qui a remporté un joli succès public au dernier festival du film français à Prague, raconte, avec fraîcheur, humour subtil et suspens une histoire d'amour qui naît entre deux couples, incarnés donc par Sabine Azéma, Daniel Auteuil, Amira Casar et Sergi Lopez. Arnaud Larrieu raconte la genèse du film :
A. : « C'est un mélange de choses... C'est Jean-Marie d'ailleurs qui a écrit la première mouture que j'ai vite compris, j'ai vu de qui ça parlait, j'y reconnaissais les gens. Pas ceux qui vivent l'histoire, mais plutôt la situation sociale de cette petite bourgeoisie de province...Le personnage de Madeleine par exemple, qui a une entreprise de peinture et qui peint le soir dans les collines, on la connaît. Elle a un mari en préretraite, ils achètent une maison à la campagne... Ce sont donc des situations réelles qui, tout d'un coup, cristallisent un sujet. C'est plutôt ça que l'inverse. On ne s'est pas dit : on veut faire un film sur l'échangisme, alors dans quel lieu va-t-on le mettre ? »
J.-M. : « Tout d'un coup, on s'est dit : tiens, il y a peut-être des rencontres 'coup de foudre' entre des couples, essayons d'explorer ce genre de relations. Il nous a semblé que ça n'a jamais été fait au cinéma, qu'à chaque fois, cela partait sur la piste de l'adultère. On a voulu explorer la situation où quelque chose se noue entre les couples, soit pour une nuit, soit pour longtemps. C'est aussi un film sur l'adolescence des gens qui ont 55 ans, qui vivent des premières fois. Ce qui est existant, pour nous, c'est de faire vivre à des gens qui n'y sont pas préparé des histoires particulières. Dans ce cas-là donc, des bourgeois qui n'ont pas vécu grand-chose se mettent à faire leur révolution sexuelle. Après, on espère que le film ait tout un tas d'entrées différentes.
Etes-vous en préparation d'un nouveau film ?
J.-M. : « Oui, c'est en préparation, en phase d'écriture. On adapte un livre. »
A. : « Mais il faut pas qu'on parle du livre, parce que le premier travail d'adaptation, c'est de l'oublier. De le connaître à fond, puis de filtrer... »
J.-M. : « Ça parle d'un parcours physique et amoureux d'un homme pendant la fin du monde, pendant les derniers jours du monde. Ça se passe dans dix ans. »
Il ne nous reste pas beaucoup de temps !
J.-M. : « Voilà, on espère avoir tourné avant ! »