Festival de Karlovy Vary : « Un fort ancrage du cinéma français en Europe centrale »
Au 57e Festival du film de Karlovy Vary, il y a comme tous les ans, les stars, les films, mais aussi le monde professionnel du cinéma qui vient accompagner les films. Comme à chaque édition, le cinéma français est présent, même si aucun film ne se trouve en compétition. Pour en parler, Radio Prague Int. a interrogé Barnabé Tardieux, responsable pour Unifrance de la région Europe centrale et orientale, la CEI (Communauté des Etats indépendants) et les pays nordiques, pour qui Karlovy Vary était une première.
« C’est effectivement ma première venue à Karlovy Vary pour le festival. Pour l’instant, je suis assez impressionné par l’organisation, la taille de l’événement dans une ville qui a l’air complètement dédiée au festival. J’aime beaucoup l’atmosphère et j’ai l’impression qu’il y a un beau mélange entre cinéphiles du pays et de l’étranger, les professionnels, les curistes… et la ville est aussi très belle. »
Vous avez succédé il y a quelques mois à Joël Chapron et êtes désormais chargé de la promotion du cinéma français pour la région Europe centrale et orientale, la CEI et les pays nordiques. Comment s’est fait le passage de relai ?
« Je suis arrivé chez Unifrance il y a trois ans. Joël Chapron, mon prédécesseur, est parti à la retraite en septembre dernier. Depuis quelques mois, on avait avancé sur l’idée que je puisse lui succéder sur les territoires d’Europe centrale et orientale, avec pas mal de changements car nous n’avons pas le même profil. Joël est la personne qui a créé le poste, qui a travaillé près de trente ans sur les pays de la région et qui a énormément œuvré pour la promotion du cinéma français en Russie et dans toute l’Europe centrale et orientale. On a eu une passation avant ma prise de poste en septembre ce qui m’a permis de plonger dans le grand bain à la rentrée. C’était dans le cadre d’une situation très particulière avec la guerre en Ukraine menée par la Russie, avec pour Unifrance beaucoup moins de présence et une suspension totale des aides à la Russie – et l’occasion pour moi d’aller et de découvrir davantage les pays d’Europe centrale et orientale. Et notamment à la Pologne qui est devenu un des pays prioritaires et un des plus gros marchés du cinéma français à l’étranger. Et à la République tchèque avec beaucoup d’événements et un écosystème très riche, avec notamment le festival de Karlovy Vary qui est sans doute le plus important de la région. »
Avant de parler chiffres, plus globalement quelle est votre impression de l’appréciation du cinéma français, par les cinéphiles et les professionnels dans cette région d’Europe centrale ? On sait que le cinéma français a longtemps eu par le passé cette aura à l’étranger, cette magie – est-ce toujours le cas ?
« Est-ce que ça marche toujours ? Oui ! Et de manière très diverse, c’est un constat que je fais de manière lors de mes différents voyages dans la région. Il y a la grande cinéphilie des gens que je rencontre, l’intérêt très marqué du public, les questions, l’intérêt pour les films… C’est enthousiasmant de voir que la magie marche toujours. Et il y a toujours un très fort ancrage du cinéma français, dans le cinéma d’auteur, indépendant, via Cannes et les festivals. C’est important d’entretenir ce lien. Le cinéma français est présent de manière très diverse, avec notamment toutes les co-productions qui fonctionnent très bien. Il y a une forme de cinéma commercial qui s’exporte bien en Europe centrale, avec les comédies populaires qui font de bonnes entrées, et l’animation qui est maintenant un des genres très appréciés. »
Oui, car rappelons que la Tchéquie est un grand pays d’animation, que ces dernières années ont vu de nombreuses co-productions avec la France si on pense à Ma Famille afghane qui a remporté un César, ou Même les souris vont au paradis. Ce sont de jolis succès…
« C’est l’occasion aussi d’avoir des succès en France et à l’étranger. C’est quelque chose à quoi je suis moins confronté parce que le prisme principal c’est la promotion des films, coproduits ou non, à l’étranger. Mais je vois aussi que la production et les liens entre pays sont capitaux et font la richesse du cinéma. »
Revenons à des choses plus concrètes : les chiffres. Quelle est la place du cinéma français en Tchéquie ? Quelles ont été les entrées en 2022 ?
« En 2022, le marché tchèque global qui avait beaucoup souffert de la pandémie, s’est relevé plutôt bien voire mieux que ses voisins. La Tchéquie est devenue le troisième pays d’Europe centrale et orientale derrière les géants russes et polonais, mais devant la Roumanie et la Hongrie, avec 13,5 millions d’entrées pour le marché global. Les films français ont réuni un peu moins de 400 000 spectateurs dans les salles tchèques en 2022. C’est quatre fois plus qu’en 2021 et seulement 6 % de moins que pour la période 2017-2019, donc la période avant la crise du Covid. 6 % de moins, c’est quasiment le même niveau. On est revenus à un niveau normal pour le cinéma français, un peu plus vite que pour le marché tchèque en entier. La part de marché française est à 2,9 % en 2022, donc 1,6 point de plus qu’en 2021. C’est le plus haut niveau depuis 2016, après deux années où le cinéma français a beaucoup souffert. On est donc revenus à un niveau satisfaisant et on ne peut qu’espérer que le cinéma français continue à prospérer en Tchéquie. »
C’est d’ailleurs encourageant de voir les chiffres globaux pour la Tchéquie : cela veut dire que les gens ont envie d’aller voir des films dans les salles obscures plutôt qu’à la maison sur des plateformes…
« Exactement. C’est difficile à mesurer aujourd’hui : on sait que les nouvelles habitudes prises pendant la pandémie ont favorisé la croissance du marché des plateformes, ce n’est pas à négliger. Mais on pense que la salle de cinéma peut cohabiter, voire prospérer dans un environnement qui inclut les plateformes et avec des films qui créent l’événement. Avec cette idée d’aller voir en salle quelque chose de spécial et qui sort du quotidien. »
« Les plus gros succès de 2022 en Tchéquie a été le film d’animation Pil, qui a dépassé 100 000 entrées et qui était le premier à dépasser 100 000 entrée depuis 2015 et le Petit prince. C’est une formidable locomotive pour le cinéma français. Les films d’animation Hopper et le Hamster des ténèbres et Le Petit Nicolas ont également bien marché, de même que les comédies Qu’est-ce qu’on a tous fait au bon dieu, le troisième opus, et Superhéros malgré lui. »
Quels films français sont à voir au Festival du film de Karlovy Vary ?
« Cette année, le festival propose des films de genres assez différents. Il y a eu la première du documentaire de Jean-Gabriel Périot Affronter les ténèbres qui s’intéresse au siège de Sarajevo. Dans la section Proxima, il y a le deuxième film d’Emilie Brisavoine, Maman déchire. Ensuite, il y a une grande diversité de films dans la sélection Horizons avec de nombreux titres qui étaient à Cannes, dont la Palme d’or, Anatomie d’une chute. Il y a aussi Une Affaire d’honneur de Vincent Perez venu à Karlovy Vary pour présenter son film. On aura également Sofia Alaoui pour présenter Animalia, son nouveau film. Enfin, le réalisateur Thomas Caillet accompagnera le film Le Règne animal. »
Quelles sont vos ambitions, quelle est votre vision, pour la promotion du cinéma français dans la région dont vous avez la charge ?
« Je suis arrivé avec beaucoup de choses à apprendre et à découvrir. Et donc avec une certaine humilité. Mon premier désir est de m’inscrire dans la continuité du travail de Joël Chapron et de tout ce qu’il a pu apporter. Pour moi, dans un contexte assez particulier, j’ai plusieurs objectifs : continuer à garder le contact avec le monde de la CEI, avec les pays comme la Russie et Ukraine, avec lesquels il est plus difficile d’avoir un lien et de l’entretenir. Je souhaite renforcer la présence des films français sur les marchés d’Europe centrale et orientale en ne négligeant personne, et en ayant une attention particulière pour les festivals, comme Karlovy Vary, mais aussi les festivals de film français. On veut continuer à les pousser, pour accompagner les distributeurs : je trouve que c’est une superbe plateforme pour que les films sortent en salles. La salle est le moteur du cinéma. Pour ça les festivals du film français sont une excellente plateforme de lancement des films. »