Cyrille et Méthode
Comme chaque année, nous célébrons, ce 5 juillet, les saints Cyrille et Méthode, venus en 863 évangéliser la Bohême et la Moravie. Nous revenons donc sur les deux frères de Thessalonique et sur leur action en Europe centrale. Une histoire aux confluents du religieux et du politique, où l'ombre de Rome et de Constantinople planent en arrière fond. C'est donc un chapitre fondamental de l'histoire tchéco-morave en ce qu'il décidera de son appartenance à la Chrétienté latine... ou orthodoxe.
Formé dès le VIIe siècle, le royaume de Grande Moravie représente la première monarchie slave. La Bohême est alors située à l'écart de cette brillante civilisation et la Moravie s'affirme comme une grande puissance sous Mojmir Ier (830-846). Elle englobe alors le sud de la Moravie actuelle ainsi que la Slovaquie occidentale. Sur l'appel de Rastislav et de Svatopluk, l'empereur de Byzance, Michel III, demande au patriarche de Constantinople, Phothios, d'envoyer deux missionnaires originaires de Thessalonique, les frères Cyrille et Méthode.
Précisons que Rastislav avait essayé d'obtenir l'aide du pape pour soutenir le christianisme et renforcer l'Etat en son royaume. Devant le refus du Vatican, le prince s'était tourné, avec plus de succès, vers Byzance.
Mais d'abord, un petit rappel sur l'Eglise d'Orient et sa naissance s'impose.
C'est à la fin du IVe siècle que Rome adopte le christianisme comme religion officielle. Mais face au danger des invasions barbares, l'Empereur Constantin décide de créer, sur les rives du Bosphore, une nouvelle Rome. Ce sera Constantinople, l'actuelle Istanbul, en Turquie. L'Empire romain d'Orient est donc le départ chrétien et il développe, durant le Haut Moyen-âge, une liturgie et une organisation ecclésiastiques distinctes de Rome.
En 325, Constantin réunit à Nicée le premier concile oecuménique afin de réaliser l'unité des chrétiens et de lutter contre les hérésies. Il fixe ainsi la doctrine et l'organisation ecclésiales qui prévaudront en Orient jusqu'à aujourd'hui. Au Moyen-âge, le pape de Rome et le patriarche de Constantinople symbolisent deux légitimités rivales, qui prétendent chacune à la direction spirituelle de l'Europe et du monde chrétiens.L'expansion de l'Islam au Proche et Moyen-Orient ne parvient pas à réconcilier les deux frères ennemis. En 1204, à l'occasion de la 4e croisade contre les musulmans, les armées chrétiennes d'Occident mettent à sac Constantinople, pillant et massacrant Chrétiens d'Orient, Juifs et musulmans.
En attendant, en ce début de IXe siècle, Byzance peut apparaître à l'Empire carolingien comme un rival potentiel. Certes, la présence byzantine en Italie s'est réduite à peau de chagrin. Il ne leur reste que la Calabre et l'Apulie. Mais en 864, Byzance obtient la conversion du tsar Boris et l'Empire bulgare entre dans la sphère d'influence de Constantinople, avant de prétendre d'ailleurs la remplacer.
Et le royaume de Grande Moravie dans tout ça ? Au IXe siècle, il est encore imparfaitement christianisé et représente un enjeu important pour les missionnaires d'Occident et plus particulièrement ceux venus d'Allemagne.
L'appel de Rastislav, roi de Moravie, à l'Eglise d'Orient permet à Constantinople d'inaugurer des relations solides avec le royaume de Grande Moravie. Mais aussi d'avoir un point de rayonnement possible en Europe centrale. Cyrille et Méthode créent une langue écrite par l'introduction de l'alphabet cyrillique, afin de mieux christianiser les populations locales. Une Eglise de langue slave voit le jour, qui peut enfin rivaliser avec les missionnaires venus de Bavière.A long terme, l'épisode dessine une alternative fondamentale pour la Moravie : adopter les rites liturgiques de l'Eglise orthodoxe (Russie, Bulgarie et Serbie actuelles par exemple) ou bien appartenir aux nations de rite latin, soit l'Eglise de Rome.
Face à l'évolution de la situation à Constantinople, assassinat de Michel III et chute de Photios, Cyrille et Méthode souhaitent ordonner prêtres eux-mêmes les sujets du royaume de Grande Moravie.C'est donc du pape, à Rome, qu'ils doivent obtenir l'autorisation. Le principal problème est l'utilisation, pour la liturgie, du vieux slave, un dialecte créé par Cyrille sur le modèle des langues slaves du sud. Le latin est en effet la règle dans l'Eglise d'Occident. Curieusement, le pape ne s'oppose pas au vieux slave et Cyrille est nommé évêque. Après sa mort, en 869, Méthode est nommé archevêque de Sirmium, en Pannonie, et il est chargé d'organiser une province ecclésiastique à l'est de Salzbourg.
En étendant son influence au-delà de la Moravie, la mission byzantine soulève de nombreuses protestations, dont celle de l'évêque de Bavière, qui possède des droits établis en Pannonie.
En outre, les relations, déjà mauvaises, entre les monarques francs et moraves, s'en trouvent détériorées. En 870, les Francs occupent le royaume slave. Ils seront repoussés par Svatopluk qui, à cette occasion, fera alliance avec les Tchèques de Borivoj, une union promise à un bel avenir. La Grande Moravie n'en doit pas moins payer tribut aux Francs et elle semble amorcer son déclin.Pour l'heure, l'Eglise morave peut poursuivre sa structuration. C'est une institution originale dans le contexte occidental car son clergé aboutit à une dualité de fait. Certains prêtres proviennent de missions byzantines et d'autres de missions franques. Le renouveau de la querelle entre Rome et Constantinople au même moment n'arrange pas la situation. Le clergé latin dénonce les relations de Méthode avec Byzance.
En 880, le pape prend parti pour Méthode car il voit dans l'Eglise slave un élément important de son influence dans la région, encore imparfaitement christianisée. La liturgie en vieux slave est autorisée et on traduit dans cette langue des extraits de la Bible ainsi qu'un recueil de textes juridiques. Parallèlement, Rome s'assure d'une participation importante du clergé latin à l'Eglise morave. Ses intérêts sont représentés par le Souabe Wichting, doté de l'évêché de Nitra, en actuelle Slovaquie.
A la mort de Méthode, en 885, les querelles entre prêtres slaves et latins reprendront pour voir finalement la victoire des partisans de Rome.
La mission évangélisatrice des deux frères n'en a pas moins permis de mettre en place les structures d'un Etat monarchique relativement centralisé. Comme dans les grands royaumes occidentaux, c'est l'Eglise qui légitime le pouvoir du souverain en même temps qu'elle l'aide à encadrer la population. Organisation de la cour, relations avec les souverains étrangers et le pape, le clergé latin apporte, à côté de la mission byzantine, son expérience en matière de gouvernement.
En 880, Méthode, en personne, donne le baptême à Borivoj, le premier roi tchèque attesté en Bohême. En 882, le transfert de la résidence princière sur la colline de l'actuel Château de Prague donne véritablement naissance à la ville. La dynastie des Premyslide s'appuiera ensuite sur l'Eglise de Rome et diffusera les rites latins.
L'oeuvre de Cyrille et Méthode dépassera les frontières tchéco-moraves puisque après la disparition du royaume de Grande Moravie, la littérature slave se répandra en Croatie, en Bulgarie et en Serbie.Aujourd'hui, il reste quelques traces archéologiques de cette époque fondatrice. En Moravie du Sud, à Uherské Hradiste et à Mikulcice, on a découvert deux sites importants, qui abritaient de nombreux édifices sacrés, églises et basiliques.
L'oeuvre des deux frères aura donc permis à l'ensemble tchéco-morave de fonder rapidement des structures étatiques et de figurer ainsi parmi les premiers grands royaumes d'Europe centrale. Evolution inéluctable, la Bohême et la Moravie se rangent, dès les Premyslide, sous la bannière de la Chrétienté latine. Elles fondent ainsi leur ancrage à l'espace politico-culturel occidental.