Antonin J. Liehm, chroniqueur de plusieurs générations d'artistes tchèques

Antonin Liehm
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Dans les années 1960, Antonin Liehm était une figure importante de la génération qui a profité du dégel politique pour donner un nouvel essor à la culture tchèque. Déjà en ce temps-là, il luttait pour la liberté de la culture. Ses articles dans les journaux, ses traductions, ses critiques de cinéma faisaient partie de cette période qu'on appelle, avec un brin de nostalgie, le Printemps de Prague, période d'espoirs et d'illusions écrasés, en août 1968, par les chars soviétiques. En 1969, Antonin Liehm s'est exilé aux Etats-Unis pour s'installer finalement en France où il allait publier de nombreux ouvrages et articles sur la politique, la littérature et le cinéma. Pendant de longues années, il a dirigé aussi la revue Lettre internationale. Aujourd'hui il vit en France mais il suit attentivement l'évolution politique et culturelle de sa patrie tchèque. Récemment, il a répondu à quelques questions de Radio Prague.

Vous êtes écrivain, journaliste, traducteur, donc l'homme de multiples activités. Laquelle de ces activités vous est la plus proche, la plus chère?

C'est toujours cette activité qui m'est interdite d'exercer. L'activité que je ne peux pas exercer parce que cela m'est interdit par exemple par manque d'argent et par je ne sais pas quoi. C'est pourquoi les gens comme moi, je le conseille à tout le monde, devraient avoir toujours plusieurs activités parce que quand une des activités devient impossible vous pouvez toujours vous réfugier dans l'autre. "

Vous vous êtes toujours intéressé au cinéma. On vous considère même comme le théoricien de la nouvelle vague du cinéma des années soixante. Dans quelle mesure avez-vous participé à ce mouvement des cinéastes tchèques?

"Théoricien, c'est trop dire. Je ne dirais pas cela. Mais j'étais un accompagnateur de ce qu'on appelle à Prague, pas en France, la nouvelle vague tchèque. Parce que il ne faut pas oublier que la nouvelle vague existait aussi en France. Ici, nous avons appelé ça le miracle tchèque parce que ce n'étaient pas seulement des jeunes, il y avait à l'époque vingt réalisateurs tchèque qui étaient connus dans le monde entier et qui avaient de vingt à soixante ans. Alors il y avait plusieurs vagues, si vous voulez. Mon rôle était de les accompagner et de leur tenir le miroir, c'est-à-dire, de leur dire ce qu'on ne leur disait pas parfois, de les défendre contre ceux qui ne les aimaient pas, mais aussi contre eux-mêmes quand ils désiraient de ne pas être critiqués."

Quels étaient les particularités de la nouvelle vague du cinéma tchèque et quelles étaient ses personnalités les plus importantes?

"Il y avait déjà des personnages qui avaient commencé à lutter pour le cinéma tchèque en tant qu'art déjà avant la guerre. Et je crois que la personne de première importance était le réalisateur Otakar Vavra qui enseignait à l'école du cinéma aux étudiants faisant partie de la jeune vague. Et ces étudiants quand ils ont commencé à faire des films ont entraîné amené le vieux Vavra, qui a fait plein de mauvais films aussi, ils l'ont entraîné avec eux et il a fait à la même époque les deux meilleurs films de sa vie. Et entre Vavra, qui avait soixante ans à l'époque, et les jeunes qui en avait vingt-cinq ou vingt-quatre, il y avait encore des gens qui avaient trente ans, les lauréats d'Oscars, les réalisateurs Kadar et Klos, le gagnant du festival de Cannes, Vojtech Jasny, qui avait quarante ans, etc. C'était très large. Il y avait la nouvelle ou plutôt la jeune vague, Formann, Chytilova, Passer et autres, la génération intermédiaire, c'est-à-dire Kadar, Klos, Jasny et autres, et il y avait aussi les anciens Fric, Vavra, etc."

Et quelle était la particularité des années soixante?

"Grâce au fait que l'Etat, la société subventionnait et payait ces films, ils avaient un studio, ils avait une usine, ils avaient tout ce qu'ils voulaient. Et en même temps, le pouvoir n'était plus assez fort pour les enchaîner. Et à ce moment-là, trois générations, presque quatre, de cinéastes tchèques, pour la première fois dans leur carrière avaient la possibilité de faire ce qu'ils voulaient."


En ce moment, on organise à Paris une série de manifestations qui rappellent la culture tchèque des années soixante. Participez-vous aussi à cette rétrospective?

"J'étais un de ses initiateurs, si vous voulez. J'y participe autant que je peux. Mais naturellement c'est très modeste, cela se joue autour du Centre tchèque qui fait un très bon travail, mais dans le monde parisien et français, la portée d'une telle initiative est relativement restreinte. Imaginez quelle influence, quel écho avait le cinéma tchèque en France dans les années soixante et soixante-dix, et cela venait des Français ! Vous savez, il y a à peu près dix ans, il y a eu, au Centre Pompidou, une rétrospective du cinéma tchécoslovaque qui a duré trois mois. J'y suis allé une fois et il y avait une dame qui m'a présenté son fils qui voulait être cinéaste. Cela m'intéressait. J'ai demandé au jeune homme comment il choisissait les films dans cette rétrospective et il m'a dit: 'Je ne choisis pas, il n'y pas de mauvais films ici.' "

Aujourd'hui, vous habitez à Paris, mais vous avez bien sûr la possibilité d'assister à ce qui se passe ici. Vous disposez donc d'une assez grande distance pour voir la culture tchèque d'aujourd'hui dans le contexte européen ...

"Je dis toujours à mes étudiants et à mes interlocuteurs français: si vous voulez comprendre ce qui se passe à l'Est, pensez à la France. Essayez de transposer votre expérience dans la nôtre et vous allez comprendre. Les pays communistes vivent la période de restauration. La Restauration française, c'est la période de 1815 à 1830. Et quelle a été la grande culture de la Restauration en France? Quand le Louvre a ouvert l'aile Richelieu, Le Monde a réservé une page complète à cet évènement et on a dit: 'Voilà, c'est magnifique qu'on ait ouvert ça, c'est consacré à la période de la Restauration ; à part quelques belles pièces de meubles, il n'y a rien.' C'est comme ça, les périodes de restauration sont toujours un peu creuses, mais pendant la période de la Restauration française, il y avait déjà quelqu'un qui écrivait le plus grand roman de la Restauration ; il s'appelait Stendhal et il l'a publié en 1830."