Michael W. Pospíšil : « A Paris comme à Prague, je fais de la photographie de rue »
Tchèque de naissance, Français d’adoption, Michael W. Pospíšil a vécu en France entre 1980 et 2016. Diplômé de la FAMU, l’école de cinéma de Prague, il a exercé différents métiers du 7e art avant de diriger, à partir de l’an 2000, le Centre tchèque de Paris. Passionné de photographie depuis son enfance, Michael W. Pospíšil a récemment présenté à Prague sa première monographie publiée cette année aux éditions Kant. De surcroît, deux expositions lui sont consacrées à l’Institut français de Prague et à la Leica Gallery Prague. Michael W. Pospíšil en a parlé au micro de Radio Prague Int.
C’est déjà votre deuxième exposition à l’Institut français de Prague. En quoi est-elle nouvelle, différente ?
« Exactement, c’est la deuxième exposition. La première concernait ma ville d’adoption, Paris. Celle-ci est une exposition dont le sujet principal est Prague, mais aussi quelques autres lieux en République tchèque. La différence, c’est le sujet. Je crois qu’au niveau du style, cela reste plus ou moins inchangé. »
La deuxième partie de cette exposition est quelques mètres plus loin à la galerie Leica...
« La deuxième exposition, qui s’appelle Paris etc..., contrairement à celle-ci à l’Institut français qui s’appelle Prague etc…, se trouve effectivement au café de la Leica Gallery dans la rue Školská, à Prague. Ce sont deux parties d’un cycle, d’un projet qui s’appelle Paris, Praha, etc... Dans le titre, nous englobons déjà les sujets qui font partie du livre sorti aux éditions Kant à Prague, et qui s’appelle Paris - Praha etc..., comme la prochaine exposition qui sera en septembre et octobre de cette année dans la ville de Cheb à la galerie G4, la plus grande galerie photographique de République tchèque. »
C’est donc une exposition qui englobe toute votre vie ? Parce que ce sont les deux villes dans lesquelles vous avez vécu...
« Non seulement ce sont les deux villes où j’ai vécu, mais aussi d’autres lieux puisque dans le livre et dans l’exposition de Cheb, il y aura aussi beaucoup d’autres photos d’autres villes, lieux et on peut même dire continents, que j’ai prises lors de mes nombreux voyages à travers le monde. »
Que peut-on voir sur ces photos ? Quelle est l’approche ?
« On peut dire qu’il y a deux approches différentes. Une approche qui m’est très personnelle, que j’adore : c’est de chercher des sujets assez abstraits dans les villes ou dans la nature, avec des photos qui auraient pu être prises n’importe où dans le monde. J’aime jouer avec les ombres, avec les silhouettes, avec les lumières, etc. La deuxième approche, ce sont des photos que l’on pourrait classer dans la catégorie de la photo humaniste, si l’on peut dire, ou de ce qu’on appelle aussi en anglais street photography, la photographie des rue. Ce sont des images de gens dans des situations différentes, aussi bien dans des cafés, des brasseries, des rues, un peu partout. Ici, dans cette exposition, Paris, Praha, etc..., il y a très peu de gens, de motifs vivants de ce genre de street photography. Paradoxalement, c’est seulement en préparant ce projet que je me suis rendu compte que c’est plutôt à Paris que j’étais inspiré par les gens, plus qu’à Prague. Dans le livre, vous allez voir beaucoup plus de photos de personnes dans des rues, dans des cafés etc. Je ne sais pas pourquoi, peut-être que les gens sont y un peu plus hauts en couleurs, plus expressifs peut-être que les Tchèques. »
Quelles sont les différences entre Paris et Prague ? Qu’est-ce qui vous inspire le plus à Prague et à Paris ?
« A Paris, je suis beaucoup plus inspiré par les gens et par des situations dans les rues, alors qu’à Prague ou dans d’autres villes ou lieux en République tchèque ou ailleurs, je suis plutôt inspiré par le côté abstrait des villes. »
Il y aussi une certaine universalité parce que les détails architecturaux, ou encore le ciel, ce sont des choses que l’on peut retrouver partout...
« Bien sûr. Moi-même, j’ai parfois du mal à me rappeler où j’ai pris la photo : est-ce que c’était à Prague, à Paris, au Portugal... Heureusement que j’ai un système pour archiver mes photos, où je marque toujours où j’ai pris tel ou tel cliché. Cela m’aide beaucoup : sans cela, je ne serais peut-être pas capable de dire exactement si telle ou telle ombre a été prise à Paris, à Montevideo ou à Pétaouchnock. »
Avez-vous vous des souvenirs particuliers, des moments particulièrement inspirants, des anecdotes liés à vos photos ?
« Ce sont plutôt des situations liées à la street photography, puisqu’il faut parfois attendre que quelqu’un passe, ou que quelque chose se passe. Je me rappelle par exemple à Jérusalem, j’ai photographié une rue avec une ombre, la lumière etc. J’ai réglé mon appareil, il y avait une petite fille en uniforme scolaire qui est descendue à une vitesse folle des escaliers que je photographiais, et qui a sauté en l’air, et son ombre s’est projetée exactement dans l’angle de la lumière que j’avais en bas de l’image. Si j’avais voulu refaire cette photo, je n’aurais jamais pu. Là, c’est le hasard qui a fait que la photo me paraît assez intéressante, par ce phénomène de son ombre dans le carré de la lumière. »
C’est la magie du moment...
« Exactement, mais pour capter la magie de l’instant, il faut l’attendre. La grande inspiration pour moi c’est Henri Cartier-Bresson, qui était connu pour attendre que les gens se retrouvent dans la situation qu’il fallait, au niveau de la lumière, au niveau du comportement... Il attendait autour d’un couple par exemple, plusieurs minutes ou même parfois plus longtemps, pour trouver justement ce moment magique où il fallait appuyer sur le déclencheur. »
Est-ce que la photo, c’est l’amour d’une vie ? Est-ce que vous avez toujours fait des photos ?
« J’ai commencé à l’âge de 9, 10 ans. C’est mon père qui m’a inspiré. Lui-même aimait prendre des photos. Il m’a acheté mon premier appareil photographique. C’est là où j’ai commencé. Après, il m’a appris comment développer des films, comment faire des tirages photos. Nous avons toujours transformé la cuisine et la salle de bain en laboratoire photographique, ce qui ne plaisait pas à ma mère, qui était chassée de son royaume. Après, mes études concernaient le cinéma documentaire à l’école de cinéma de Prague, la célèbre FAMU. Là, même si ce n’était pas directement la photographie que j’étudiais, c’était quand même le film documentaire. »
Cette exposition a une histoire particulière parce que le vernissage était prévu il y a deux mois, avant la mise en quarantaine de la République tchèque. L’ouverture de l’exposition a été l’un des premiers événements culturels organisés à Prague pendant le déconfinement…
« En effet. C’était le premier événement public organisé à l’Institut français après sa réouverture. Je suis content, c’était une soirée plutôt réussie, il y avait du monde. J’étais content aussi de pouvoir présenter le livre ‘Paris, Praha, etc...’ qui devait sortir au moment de l’inauguration deux expositions. Nous n’avons pas vraiment réussi à faire la présentation du livre, puisque tout était fermé. Impossible d’organiser un pot, le ‘baptême’ du livre comme on dit en tchèque. Maintenant, c’est fait avec un peu de retard, mais qui sait, peut-être que c’est bien. »
Pendant le confinement, avez-vous pris plus de photos que d’habitude ? Comment avez-vous passé cette période ?
« J’ai passé cette période assez confortablement. J’ai lu beaucoup, et oui, je faisais des photos. J’ai aussi fait du rangement dans mes archives, ce qui est un boulot monstrueux puisque c’est difficile de trier les photos, celles que je jette, celles que je garde. Pour les photos numériques, c’est beaucoup plus facile, mais pour les photos en papier, il faut trier. J’ai fait une sélection parmi les photos prises moi-même, les photos de mes parents et celles de mon père. Il y en avait une quantité énorme… Il fallait réduire à cause de l’espace. J’ai passé beaucoup de temps pendant la quarantaine à faire ce tri. »
Prague toute vide, ça changeait des images que l’on est habitué à voir...
« Oui, c’est très agréable de voir la ville dans ces conditions-là. Ce sont des souvenirs de mon enfance, de ma jeunesse, où la ville n’était pas aussi fréquentée par les touristes. La ville était plus vide, plus belle, moins bruyante. C’était incroyable, des moments inoubliables. Hier, j’étais par exemple en excursion à Český Krumlov, qui est aussi une ville extrêmement fréquentée par les touristes. Là, j’ai vu le château complètement vide, la ville vide. C’est magique. Mais quand même, il vaut mieux avoir des touristes plutôt qu’une pandémie. »
Cela a peut-être amené des choses positives ? Qu’en pensez-vous ?
« Certainement. Il y a beaucoup de choses positives dues à cette pandémie. Par exemple, le fait que des villes soient plus vides, le fait que nous ayons appris plus à exister par l’intermédiaire d’internet, des systèmes de livraison etc. Aussi, au niveau de la scolarité, il y a des progrès dans les cours pour les enfants au travers de l’ordinateur. Tout cela, ce sont des éléments positifs. Malheureusement, des éléments négatifs viendront. La crise économique que l’on voit s’installer ici, et pas seulement en Tchéquie, va être assez dure à supporter. Mais je pense que l’on s’en sortira, comme toujours. »
Vous avez passé près de la moitié de votre vie à Paris, et l’autre moitié à Prague. Vous vous sentez plus Pragois ou Parisien, Tchèque ou Français ?
« C’est très difficile à dire. Je me sens plutôt Parisien quand je suis à Paris et plutôt Pragois quand je suis à Prague. Maintenant, je suis à Prague, je me sens un peu plus Pragois. »
Vous revenez toujours à Paris ?
« Très peu, cela fait peut-être un an et demi que je ne suis pas allé à Paris et en France. J’ai vraiment l’intention de me rendre en Bretagne, qui est mon grand amour. J’envisage d’y aller un de ces jours. »
Plus d’infos sur les expositions pragoises de Michael W. Pospíšil :
https://kultura.ifp.cz/fr/accueil/event1471-praha-etc%E2%80%A6-de-michael-w-pospisil
https://www.lgp.cz/en.html