Biopic Havel : un pari audacieux
Réaliser un film sur l’homme devenu le symbole de la fin du communisme et du rétablissement de la démocratie dans le pays est un défi de taille, surtout pour un jeune réalisateur comme Slávek Horák, dont c’est seulement le deuxième long-métrage. Le biopic Havel sort ce jeudi en salles.
« Ne vous attendez pas au portrait d’un homme d’Etat », a prévenu Slávek Horák avant la première. Le film retrace le parcours du dramaturge dans les années 1970 et 1980, de son entrée en dissidence active à la veille de son accession à la présidence de la République en 1989.
Le rôle-titre est interprété par Viktor Dvořák, très crédible grâce d’abord à sa ressemblance physique avec Václav Havel. La journaliste de la radio publique Kristina Roháčková est spécialisée dans le cinéma :
« La ressemblance est frappante. Le film commence par une scène dans laquelle il donne une interview à un journaliste étranger. Il parle en anglais et en le voyant j’avais l’impression de voir une archive de Václav Havel, avec ses mimiques et ses tics de langage, ses défauts de prononciation. Il fume une cigarette et c’était comme regarder le documentaire Citoyen Havel, mais l’effet s’estompe ensuite. »
Le budget cigarettes du film a été non négligeable, d’autant qu’il a fallu en acheter des paquets sans nicotine, très chers, l’acteur principal étant un ex-fumeur.
Au-delà du tabac, un vice bien connu de Václav Havel, le film s’emploie à montrer les autres « travers » du dramaturge, à commencer par son infidélité mais aussi son addiction aux médicaments, son indécision, sa relative faiblesse lors de son premier séjour en prison et son égoïsme sentimental (quand il défend à son épouse Olga, jouée par l’incontournable Anna Geislerová, de fréquenter un autre homme alors qu’il entretient lui-même une liaison).
Kristina Roháčková : « Vous allez voir le film en pensant voir le portrait d’un leader, mais ce qui est montré est le portrait de quelqu’un de plutôt faible. Václav Havel est quand même dépeint comme quelqu’un de fort selon moi, mais qui concède lui-même qu’il est moralement faible quand il s’agit des femmes – et c’est un élément très important du film. Il a une maîtresse et le dit à sa femme Olga, qui sait qu’il a des aventures. C’est une dichotomie étrange, parce qu’Olga est le personnage fort dans cette histoire. »
Pour réaliser ce pari audacieux que représente un biopic de l’homme de la Charte 77 et de la révolution de Velours, les scénaristes ont pris quelques libertés avec les faits historiques, en inventant par exemple la virée en voiture de Havel avec son ami acteur Pavel Landovský (interprété par Martin Hofmann) à Bratislava pour tenter, en vain, de rallier Alexander Dubček à leur cause.
Difficile de dire si ce film pourra parler à un public étranger, malgré l’universalité du thème de la lutte pour la démocratie. A Prague, la critique est plutôt bonne, même si pas unanime. « Dieu soit loué, les craintes de voir une ode à la gloire de Havel ne sont pas confirmées », écrit Mirka Spáčilová dans MF Dnes. En revanche, pour Jiří Peňás de Echo, « il faut espérer que ce film ne sera pas pris trop au sérieux – Ni Havel ni le film ne le mérite ». Son collègue Daniel Kaiser est moins négatif et rend notamment grâce aux scénaristes d’avoir saisi « le moment le plus important de la vie de Havel », lorsqu’il a refusé d’émigrer en 1979, bien que condamné à une lourde peine de prison.
« Ce film a le potentiel de protéger Havel de la peste de l’obséquiosité, qui menaçait déjà avant sa mort », conclue le journaliste, lui-même auteur d’une biographie de l’ancien président.