Un an de pandémie : « Il est très facile de basculer dans la précarité »
Qu’ils soient cuisiniers, mineurs, serveurs, soignants, parents célibataires ou divorcés, ils ont un point commun : la crise du coronavirus a bouleversé leur vie. La journaliste et documentariste Apolena Rychlíková a rencontré des dizaines de personnes à travers toute la République tchèque qui ont subi de plein fouet les conséquences de la pandémie. Les témoignages qu’elle a recueillis sont au cœur de la série documentaire « Život během pandemie » (La vie pendant la pandémie), diffusée cette semaine sur la station Plus de la Radio tchèque.
La journaliste Apolena Rychíková a interrogé notamment des personnes dont la situation professionnelle a changé suite à la crise sanitaire. Mais les conséquences économiques de la pandémie n’ont pas été le seul moteur de ses recherches. La série qu’elle a réalisée s’inspire d’une étude menée par les sociologues tchèques depuis le début de la crise du coronavirus et qui s’intéresse aux incidences de celle-ci sur tous les domaines de la vie, y compris l’emploi, la santé mentale ou l’éducation. Apolena Rychlíková explique :
« Ce que mes interlocuteurs ont en commun, c’est un sentiment de frustration assez profond. J’ai été surprise de constater qu’effectivement la pauvreté cachée, dont on parle timidement depuis des années en Tchéquie, existe réellement. Même avant la crise du coronavirus, une partie assez importante de la population avait une situation sociale peu favorable et a vécu dans l’instabilité et l’incertitude. La pandémie n’a fait qu’exacerber ce phénomène. Elle a révélé une autre réalité encore : contrairement à une idée reçue, très peu de Tchèques touchés par la pauvreté ont accès aux allocations et aux services proposés par les services sociaux. »
« La pandémie a fait basculer de nombreuses personnes dans la précarité. Du coup, elles sont été obligées, pour la première fois de leur vie, de demander de l’aide à l’Etat. Elles m’ont raconté à quel point c’était compliqué. Par exemple, au Bureau pour l’emploi d’Ústí nad Labem, ils ont conseillé à une mère célibataire venue demander des allocations de trouver un sponsor. C’était une ancienne serveuse, dépendante de l’aide d’une banque alimentaire. Elle m’a raconté que tous ses amis qui avaient travaillé dans la restauration avaient des difficultés. Par conséquent, elle n’avait personne qui pourrait l’aider. »
Parmi ces « nouveaux pauvres » intervenant dans la série figure aussi une autre mère célibataire originaire d’Olomouc qui gagne désormais sa vie comme prostituée, ou encore une danseuse burlesque devenue soignante sous-rémunérée dans une maison de retraite. Apolena Rychlíková :
« J’ai interrogé aussi plusieurs artistes qui se sont en effet reconvertis professionnellement. Mais souvent, ces gens-là ont trouvé un travail très mal rémunéré. En plus, ils vivent ce changement très mal du point de vue psychique. Je crois que ce n’est pas une bonne solution que des artistes et des gens créatifs gagnent leur vie comme caissiers au supermarché. »
« Un épisode de la série est justement consacré à l’impact psychologique de la crise sanitaire. Dans un autre épisode, j’interroge des gens qui travaillent dans l’industrie lourde. Ils n’ont pas perdu leur travail, mais la pandémie les a touchés quand même et ils se sentent marginalisés. En fait, tous mes interlocuteurs se sentent, pour une raison ou pour une autre, comme des oubliés de cette crise. Ils se sentent oubliés par les autorités, par les médias, ils estiment que leurs histoires n’intéressent personne. Ils se sentent perdus, mais pas résignés. Moi, ce qui m’a interpellée, ce sont justement les histoires humaines qui se cachent derrière les statistiques. »
En présentant sa nouvelle série documentaire La vie pendant la pandémie aux auditeurs de la Radio tchèque, Apolena Rychlíková a enfin évoqué des moments qui l’ont agréablement surprise lors du travail sur le projet :
« Tous mes interlocuteurs se sont montrés solidaires envers des personnes se trouvant dans une situation encore plus difficile que la leur. Je l’ai bien remarqué par exemple chez les mineurs en Moravie du Nord. Et puis, pendant mes voyages à travers toute la Tchéquie, je n’ai rencontré personne qui mette en doute le danger du coronavirus, alors que ce discours est très fréquent dans les médias nationaux. »