« La découverte d’un nouveau virus est une aventure passionnante »
Le professeur Ivan Hirsch, 74 ans, est un virologue tchèque renommé qui a notamment participé à la découverte du virus VIH. Vingt-cinq ans durant, il a été directeur de recherches à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en France. Il poursuit désormais sa carrière entre Marseille et Prague, où il dirige une équipe scientifique au centre de recherche Biocev et enseigne à l’Institut de chimie organique et de biochimie. Depuis un an, le nouveau coronavirus est au cœur de ses recherches. Nous avons joint Ivan Hirsch à Marseille pour qu’il nous en parle plus en détail.
Un an s’est écoulé depuis le début de la crise sanitaire mondiale provoquée par la maladie Covid-19 en République tchèque. Comment avez-vous passé cette année pandémique, en tant que chercheur et en tant que citoyen ?
« En tant que chercheur, j’ai commencé à étudier le coronavirus qui, auparavant, ne m’intéressait pas. Je l’avais bien sûr étudié à la faculté, mais je l’avais abandonné ensuite. Parallèlement, je devais continuer mes projets scientifiques et pédagogiques. Je suis amené à communiquer avec mon groupe de travail et mes étudiants en ligne, ce qui ne me convient pas du tout. En tant que citoyen, j’ai dû porter le masque, ce qui, pour le coup, ne me dérange absolument pas, car j’en porte un toute ma vie au laboratoire. Comme tout le monde, j’ai dû limiter les contacts directs avec mes étudiants et mes amis. Ces contacts me manquent énormément. Un autre changement est lié au fait qu’en tant que chercheur, je suis désormais sollicité par les médias, ce qui est tout à fait nouveau dans ma vie. »
Vous avez dit dans une interview qu’être un témoin direct d’une pandémie comme celle-ci était quelque chose de « passionnant » pour un chercheur…
« Absolument ! Cette découverte d’un nouveau virus et la possibilité de l’étudier est quelque chose d’exceptionnel. C’est la deuxième fois que cela m’arrive dans ma vie : dans les années 1980, j’ai été membre d’un groupe scientifique qui a découvert le virus VIH. Avec le virus SARS-CoV-2, je suis à nouveau impliqué dans l’étude de quelque chose de nouveau, socialement et scientifiquement important. »
Pouvez-vous comparer ces deux découvertes ? Le travail de recherche sur les deux virus a-t-il des points communs ?
« Le virus VIH a touché certains groupes sociaux mais pas l’ensemble de la société, comme c’est le cas du SARS-CoV-2 et d’autres maladies transmissibles par voie aérienne. Avec le VIH, nous avons su assez rapidement quand et comment on pouvait le contracter. Tandis que la manière de se protéger contre le coronavirus, que vous pouvez contracter n’importe où - dans la rue, en parlant avec un ami - sans vraiment le savoir, est beaucoup moins rationnelle. »
Est-ce donc la contagiosité qui est le principal danger du nouveau coronavirus ?
« Elle l’était pendant les premiers mois de la pandémie, où on ne savait pas si le virus n’était pas aussi mortel que le SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère, ndlr) qui a sévi il y a vingt ans. Or, le virus SARS-CoV-2 est largement asymptomatique ou ne provoque que de légers symptômes. Mais chez une faible partie de la population, il provoque une pneumonie très grave. Voilà sa première spécificité. La deuxième tient au fait que le virus se multiplie si rapidement que le nombre de cas sérieux peut conduire à l’effondrement du système de santé publique. »
Personnellement, vous participez à la recherche sur le nouveau coronavirus. Qu’étudiez-vous exactement ?
« En collaboration avec les spécialistes de l’hôpital pragois de Motol, je m’intéresse au fait que le virus provoque rarement une maladie chez les enfants. Evidemment, nous aimerions appliquer nos connaissances chez les adultes. Pourquoi tombent-ils malades et pas les enfants ? Ce qui est curieux, c’est qu’un faible pourcentage d’enfants qui étaient en bonne santé, développent toutefois une maladie auto-immune grave voire mortelle après avoir été infectés par le coronavirus. C’est un des symptômes post-Covid, proche de la maladie de Kawasaki, bien connue des médecins. Nos recherches se concentrent sur ce phénomène également. »
Les vaccins contre le Covid-19 suscitent beaucoup d’espoir, mais nourrissent également de nombreuses interrogations liées à leur efficacité. Y a-t-il, selon vous, un vaccin particulièrement prometteur parmi ceux qui sont déployés en Europe ?
« Le développement de ces vaccins est une des plus grandes réussites de la recherche biomédicale et biotechnologique. Ceux qui sont actuellement utilisés en Europe ont tous à peu près la même efficacité. En tant que virologue, je suis très agréablement surpris par l’efficacité des vaccins à ARN qui sont à la pointe de la recherche. Au début, nous n’avions pas beaucoup d’expérience avec cette technologie, mais il s’est avéré que c’était une véritable révolution dans le monde de la vaccination. »
Les scientifiques restent divisés sur le vaccin russe Spoutnik V qui serait relativement peu coûteux, plus facile à conserver et à transporter que d’autres. Pourtant, l’Europe hésite à l’utiliser. Quel est votre avis sur son efficacité ?
« Le vaccin Spoutnik est basé sur une technologie différente, celle des vaccins d’AstraZeneca ou de Johnson & Johnson. Il a les mêmes avantages et inconvénients que ces vaccins à adénovirus déjà autorisés. Spoutnik a été développé par un institut de recherche sur lequel je n’ai pas le moindre doute. La technologie du vaccin est d’ailleurs connue depuis une vingtaine d’années. En revanche, ce qui suscite des interrogations, c’est sa fabrication à grande échelle et la manière dont il est testé. »
Qu’en est-il de la mise au point d’un vaccin tchèque ? Ce projet commun de plusieurs institut scientifiques tchèques a été relancé début mars. Etes-vous au courant ?
« Bien sûr que je m’intéresse à ce projet. Je pense que la République tchèque, compte tenu de sa réputation dans les domaines de la virologie et de la vaccination, est quelque peu obligée de suivre le pas. Les informations que nous avons sur le développement de ce vaccin sont pour l’heure assez restreintes. D’après ce que je sais, il s’agit d’un vaccin assez proche de celui contre la poliomyélite développé dans les années 1950 par Jonas Salk. Mais nous ne disposons pas en République tchèque de système technologique pour mettre au point ce vaccin. C’est un vaccin de première génération basé sur la technique du virus inactivé. Un vaccin anti-Covid de ce type est déjà utilisé en Chine. Mais il est assez difficile de le concevoir et surtout de modifier sa structure en fonction des variants du virus. Ceci est beaucoup plus simple chez les vaccins à ARN ou à adénovirus. »
« Mais surtout, je ne peux pas imaginer comment République tchèque pourrait financer le développement du vaccin. C’est pourquoi je pense que les scientifiques tchèques devraient poursuivre leurs recherches dans ce domaine, mais en collaboration avec leurs collègues d’autres pays comme l’Autriche, le Danemark ou Israël. »
Retrouvez très prochainement la seconde partie de notre entretien avec Ivan Hirsch. Il nous parlera de sa carrière de chercheur en France, du passé glorieux de la virologie tchèque et de ses nouveaux défis en période de pandémie.