Décès de Jiřina Šiklová, sociologue et femme de courage
Sociologue, ancienne dissidente, spécialiste du travail social et des études de genre, Jiřina Šiklová est décédée samedi dernier à Prague, à l'âge de 85 ans. Femme courageuse, engagée, signataire de la Charte 77, elle a contribué à faire circuler en Tchécoslovaquie et dans les pays occidentaux des livres et documents d’auteurs interdits par le régime communiste, une activité qui lui a valu plusieurs mois d’emprisonnement.
Pleine d’élan, déterminée, mais en même temps modeste, généreuse et discrète, Jiřina Šiklová s’est toujours engagée dans la vie publique. Pragoise d’origine, elle est restée toute sa vie très attachée à cette ville dans laquelle elle a été témoin des grands moments de l’histoire tchécoslovaque et tchèque : de l’occupation nazie, à la prise du pouvoir par le parti communiste en passant par l’écrasement du Printemps de Prague.
Diplômée d’histoire et de philosophie, Jiřina Šiklová a co-fondé, au milieu des années 1960, le département de sociologie de la Faculté des lettres de l’Université Charles. Elle en a été renvoyée après l’occupation de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie en août 1968, et après avoir quitté le Parti communiste dont elle était membre depuis 1956. Pour la Radio tchèque, Jiřina Šiklová était revenue sur son engagement politique de l’époque :
« J’ai adhéré au Parti communiste parce que j’étais depuis toujours sensible aux problèmes sociaux. Et je ne voulais pas rester passive. Puis, je croyais sincèrement que la politique du Parti communiste allait évoluer après le congrès de 1956, où il a été reconnu que Staline était un assassin et qu’il avait mis en place des camps de concentration en URSS. »
Après l’écrasement du Printemps de Prague, Jiřina Šiklová a travaillé d’abord comme femme de ménage, puis comme aide-soignante au département de gériatrie de l’hôpital Thomayer de Prague. Ce travail lui a permis non seulement d’écrire et de publier, sous pseudonyme, de nombreux ouvrages sur la vieillesse et le vieillissement, mais également de cacher, dans l’enceinte de l’hôpital, des centaines de manuscrits d’auteurs interdits par la censure communiste. Jiřina Šiklová a ensuite aidé à transporter les livres et manuscrits, en voiture, au-delà du rideau de fer et inversement à faire parvenir en Tchécoslovaquie des livres d’auteurs exilés. Elle s’en était souvenue dans une émission de la Télévision tchèque :
« Il s’agissait surtout de transporter les manuscrits, ainsi que des articles pour la presse d’auteurs interdits à l’étranger, de les faire publier là-bas et de les faire parvenir à nouveau en Tchécoslovaquie pour qu’ils puissent être diffusés ici. Les livres et documents que nous avons ainsi transportés ont été publiés par les maisons d’édition tchécoslovaques à Toronto, à Rome, en Allemagne de l’Ouest ou encore dans la revue Témoignage (Svědectví) fondée à Paris par Pavel Tigrid. Nous avons également transporté la majorité de livres de Václav Havel. »
« Pour cela, nous avons obtenu, de la part de nos collaborateur à Londres, une camionnette, une sorte de camping-car, qui avait auparavant servi, paraît-il, à transporter des armes entre l’Angleterre et l’Irlande. Ce véhicule était donc adapté à cet effet, il avait un double toit, un double plancher… C’était pratique. On pouvait y transporter environ 290 kg de livres. La voiture faisait des allers-retours trois fois par an, parfois même six ou huit fois. »
Emprisonnée entre mai 1981 et mars 1982, Jiřina Šiklová n’a pu renouer avec sa carrière scientifique qu’après la révolution de Velours. Tout d’abord, elle est revenue à l’enseignement au sein de l’Université Charles, où elle a co-fondé une nouvelle chaire consacrée au travail social, ainsi que le Centre et la Bibliothèque de Gender studies à Prague. Reconnue à l’international, la sociologue a reçu un prix pour sa contribution à l’intégration européenne, ainsi que la Médaille du mérite de la part de l’ancien président Václav Havel.
Au cours des trente dernières années, Jiřina Šiklová était une fine observatrice de la société tchèque post-communiste, dont elle connaissait bien les malaises.
Le quotidien Hospodářské noviny a rappelé, dans son édition de ce lundi, sa définition pertinente de la représentation politique actuelle : « En Tchéquie, les postes importants sont occupés par les personnes qui appartiennent à la génération qui a grandi sous le communisme, dans la période dite de normalisation, où on pouvait contourner toutes les règles, soudoyer tout le monde. Il suffisait de se taire, de se laisse faire et tout était possible. Cette génération n’est pas prête à prendre ses responsabilités. »