Festival de Karlovy Vary : « Les gens sont avides de se retrouver »
Direction le Festival du film de Karlovy Vary qui, malgré la pluie qui s’est invitée dès dimanche, bat son plein. Avant de retrouver pendant la semaine, plusieurs des invités de cette 55e édition, Radio Prague Int. s’est entretenue avec le directeur artistique du festival, Karel Och, qui est revenu sur l’atmosphère de cette première édition post-Covid, sur sa préparation dans les conditions de la pandémie et sur la soirée d’ouverture de vendredi.
Karel Och, bonjour. Comment s’est passée l’ouverture, vendredi, de la 55e édition du Festival de Karlovy Vary ? C’est évidemment après deux ans de pause due à la pandémie, mais les images montrent un standing ovation pour le film d’ouverture, Zátopek de David Ondříček, et l’invité principal, l’acteur britannique Michael Caine, distingué pour l’ensemble de sa carrière…
« C’était très excitant car tout le monde attendait ce moment depuis deux ans. On sentait un peu de nervosité car la capacité de la salle est de 1 200 spectateurs. On n’est plus habitués à être autant de personnes dans un seul lieu. Mais comme d’habitude le spectacle d’ouverture était très émouvant et amusant. Et avoir Michael Caine pour ce premier jour… Ce n’est jamais la même chose, c’est différent à chaque fois. C’est quelque chose dont on reparle toujours longtemps après. »
Et sans doute particulièrement cette année…
« Oui… Et pour moi, personnellement, la soirée d’ouverture est beaucoup liée avec le film qui ouvre. Cela fait vingt ans que je travaille pour le festival, et je ne me souviens pas qu’il y ait eu un nouveau film tchèque présenté en première mondiale ce soir-là. Donc, c’est une première. David Ondříček, le réalisateur, est notre ami, nous le respectons beaucoup. Le film est produit par notre collègue Kryštof Mucha, directeur exécutif du festival. C’est un grand drame sportif, mais le côté intime de la relation entre Emil Zátopek et sa femme, Dana, également sportive de renom, est très fort aussi. Cet équilibre entre l’aspect sportif et intime rend ce film très spécial. »
Outre Michael Caine, d’autres personnalités du cinéma mondial seront de passage à Karlovy Vary : Ethan Hawke et Johnny Depp. C’est assez incroyable d’avoir trois grands noms du cinéma pour une édition post-Covid du festival…
« Nous-mêmes étions surpris. On était sûrs que personne ne s’attendrait à cela. C’est le résultat d’un travail assez long. Avec Kryštof Mucha, nous allons souvent à New York et Los Angeles. Depuis 2005, on a fait entre 700 et 800 rendez-vous avec des managers, des producteurs, des agents… Un agent de Johnny Depp était passé à Karlovy Vary il y a un certain temps. Les vedettes ne viennent pas au festival de Karlovy Vary pour se montrer sur le tapis rouge, elles viennent pour soutenir leur film ou aider des réalisateurs et réalisatrices. Evidemment, la présence d’une star comme Johnny Depp aide beaucoup. Johnny Depp vient pour deux films qu’il a co-produits : Crock of Gold, un documentaire sur le chanteur des Pogues Shane McGowan, et Minamata, un film japonais dans lequel il joue. C’est un travail de plusieurs années, mais il y a aussi le hasard qui fait que cet été il ne travaille pas. D’ordinaire, l’été est une période où les acteurs et actrices tournent. »
Comment définissez-vous cette 55e édition ? A-t-elle un goût d’exceptionnel ou est-ce finalement business as usual ?
« Cela ne peut pas être business as usual, parce que le festival a été décalé sept semaines plus tard que la date normale début juillet. On ne savait pas combien de personnes allaient venir. A la fin de l’été, ceux qui sont parents ont plus de mal à confier leurs enfants aux grands-parents, parce que la rentrée approche à grands pas. Mais on voit depuis le début du festival qu’il y aura peut-être encore plus de personnes que par le passé. Cela se voit que les gens sont avides, ils veulent se rencontrer et se réunir. Ils savent qu’à Karlovy Vary, ils vont voir des films mais qu’ils peuvent aussi y rencontrer des amis qu’ils ne voient qu’ici. C’est un aspect particulier du festival. »
Côté programmation, comment cela s’est-il constitué ? Il y avait quand même de grosses inconnues avec l’absence de festivals l’an dernier, et des films qui ne sont pas sortis en salles…
« C’était complexe cette année. On a permis aux films de l’an passé d’être considérés cette année aussi. Il nous paraissait dommage que les films qu’on avait pré-choisis avant d’annuler l’édition 2020 disparaissent. Il y a donc eu plus de films à prendre en compte. Si vous avez plus de films à disposition, la probabilité de découvrir quelque chose d’extraordinaire est plus importante. On n’est pas mécontents du résultat ! »
Le festival de Karlovy Vary peut être considéré comme le seul événement cinéma qui fait le pont entre la production de l’Est et de l’Ouest. Il y a cette section compétitive East of the West qui fait sa particularité…
« C’est quelque chose que nous essayons de faire depuis des années. On essaye de faire venir toutes ces personnalités du monde du cinéma américain, les producteurs etc., pour leur montrer les talents du cinéma centre-européen et de l’Europe de l’Est, de créer des possibilités d’un travail futur. D’ailleurs, le festival de Karlovy Vary est né en 1946 comme la réponse centre-européenne au festival de Venise. Donc, oui, la position géographique nous donne cet avantage de créer ce pont. A en juger la quantité des personnes des deux zones qui se mélangent et qui travaillent ici, j’ose dire que nous avons réussi. »
Ma dernière question concernera le logo du festival. Il semblerait, ce que je n’avais pas vu, qu’il représente le nombre 55 pour l’édition de cette année. Mais personnellement j’ai pensé à une scène nocturne dans Mon Oncle de Jacques Tati, avec deux fenêtres qui s’animent comme des yeux. C’était une référence ?
« Je ne crois pas. Comme d’habitude c’est le studio Najbrt qui fait le logo. Ce n’est pas toujours évident de voir le numéro de l’édition. Il y a souvent des interprétations différentes. Je pense que l’idée était simplement de montrer l’instrument que nous utilisons le plus souvent pour regarder des films. On peut dire aussi que les yeux dans l’obscurité de la salle de cinéma peuvent signifier le désir de retourner au cinéma parce qu’on en a été privés. C’est quelque chose qui fonctionne très bien en version animée. A Prague, il y a des billboards électroniques qui jouent avec ça. C’est amusant, léger, élégant, cinématographique. »