Les légions tchécoslovaques, l’armée qui a contribué à la naissance de la Tchécoslovaquie
Le 4 septembre dernier, des centaines de personnes ont participé à un défilé dans le centre de Prague marquant le 100e anniversaire de l'Association des légionnaires tchécoslovaques (Československá obec legionářská). Créée en mai de cette même année, la première réunion publique de l’association avait eu lieu à Prague le 4 septembre 1921. Ce centenaire est l’occasion de revenir sur l’histoire des légions tchécoslovaques, cette armée de volontaires qui a combattu du côté des pays de la Triple Entente pendant la Première Guerre mondiale, contribuant, par leur effort, à la naissance de la Tchécoslovaquie indépendante en 1918.
Depuis 2015, à l’occasion du centenaire de la création des légions tchécoslovaques, un train d’un genre un peu particulier sillonne la République tchèque : le Legiovlak, c’est son nom, est la réplique d’un train qui transporta à travers la Sibérie les légionnaires tchèques et slovaques durant la Première Guerre mondiale.
Plus de 60 000 légionnaires ont ainsi voyagé dans ces trains entre 1918 et 1920. Ces corps d’armes auto-créées en 1915 par des Tchèques et des Slovaques vivant dans l’Empire russe, puis adoubés par les dirigeants de l’indépendance tchèque et slovaque, Tomáš G. Masaryk et Milan Rastislav Štefanik, ont ainsi combattu les armées austro-hongroises avant que la révolution bolchévique et la paix de Brest-Litovsk ne viennent changer la donne. Commence alors un périple à travers la Russie: les légionnaires doivent être évacués pour rejoindre le front en France via la Sibérie en direction de Vladivostok puis les Etats-Unis. Une traversée en Transsibérien qui s’achèvera en… 1920. Et c’est ce que rappelle le Legiovlak qui, au cours de ses étapes en Tchéquie, montre quel fut le quotidien de ces soldats traversant la Russie en proie à la guerre civile, comme le décrivait en 2015 Jiří Charfreitag, secrétaire de la Société des légionnaires tchécoslovaques :
« Il y a de nombreux objets d’exposition. On y retrouve des objets d’époque, collectés par les légionnaires au cours de leur périple qui devait les ramener chez eux. On peut y voir aussi des chargeurs d’armes, mais aussi des gazettes que les légionnaires publiaient eux-mêmes pendant leur traversée de la Sibérie. »
Mais les légionnaires tchécoslovaques n’ont pas combattu uniquement sur le sol russe. Leur création officielle remonte à l’année 1915, lorsque le futur premier président tchécoslovaque Tomáš G. Masaryk, ainsi que d’autres intellectuels et personnalités tchèques et slovaques exilées, décident de créer ces légions armées de volontaires qui iront combattre aux côtés des pays de la Triple entente, contre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie.
En se plaçant ainsi du côté des forces qui luttent contre ceux qui dominent les pays tchèques et slovaques, cette intelligentsia patriote espère bien pouvoir faire valoir la légitimité d’un Etat tchécoslovaque au sortir de la Première guerre mondiale.
Ces légions voient le jour en Italie, mais également en France, comme le rappelait il y a quelques années l’historien Antoine Marès, expliquant en quoi ces légions ont appuyé la revendication d’indépendance tchécoslovaque :
« Il y a l’élément symbolique qu’a constitué la compagnie Nazdar au sein de la légion étrangère composée uniquement d’hommes de la colonie tchécoslovaque et là je dirais que ça a eu un impact au niveau des médias. On s’est dit : voilà, les Tchèques existent puisqu’ils s’engagent aux côtés de la France. Puis, comme vous le savez, cette compagnie a été décimée très rapidement en 1915, et ensuite la question s’est posée de la formation d’une armée tchécoslovaque qui est décidée en décembre 1917, qui se met sur pied au début de l’année 1918 et qui est engagée au cours de l’été 1918 dans le Vosges : un groupe plus conséquent numériquement - 10 000 hommes et qui symboliquement là encore a joué un rôle important. Et puis le troisième élément, ce sont les légions tchécoslovaques en Russie qui dans le cadre du changement de régime en Russie jouent effectivement un grand rôle.
Dans un premier temps, on imagine qu’elles pourront être le noyau à partir duquel le régime léniniste tombera, et dans un deuxième temps, c’est un moyen de pression sur les diplomates et pas seulement français, mais tous ceux qui redoutent ce régime pour des raisons soit idéologiques, soit pour des raisons géopolitiques, puisqu’il y a cette poussée vers l’Europe, au printemps 1920 qu’on redoute : c’est l’image du bolchévique avec le couteau entre les dents, et on redoute ce danger pour l’Europe. Donc ces trois éléments, soit symboliquement soit pratiquement, ont joué effectivement un rôle d’autant qu’ils ont été instrumentalisés habilement par Edvard Beneš qui était en charge de ces négociations et que la pression qu’il a exercée à partir de ces éléments, soit sur l’opinion publique soit sur les diplomates, a été efficace. »
Parmi les légionnaires tchèques les plus fameux, un certain František Kupka s’engage dès le début, en dépit de ses opinions farouchement antimilitaristes : celui qui est déjà un dessinateur et peintre reconnu et qui s’oriente depuis peu vers l’abstraction, devient président de la Colonie tchécoslovaque en France qui mobilise les volontaires tchèques, vivier des légions. L’historienne de l’art Markéta Theinhardt nous en avait parlé lors de la grande exposition qui lui avait été consacrée en 2018 :
« L’engagement de Kupka est un chapitre extrêmement intéressant. On pourrait en parler pendant longtemps. Il n’a pas seulement participé au combat, comme président de la colonie tchèque à Paris. Il était proche de Tomáš G. Masaryk, d’Edvard Beneš. Avant la guerre, il était libre penseur comme Beneš par exemple aussi et comme aussi Masaryk qu’il a connu bien avant la guerre. Il a dessiné certains projets de timbres, des uniformes, des médailles, des diplômes de l’armée tchécoslovaque qui existent encore aujourd’hui. Il a participé au concours pour élire le drapeau tchécoslovaque, qu’il n’a pas gagné. Il était vraiment engagé, et après la guerre, il est rentré gradé avec l’armée tchécoslovaque à Prague, il est resté un moment au ministère de la Défense. Il s’est ensuite dépêché de rentrer à Paris. »
Si la mémoire des légionnaires tchécoslovaques est aujourd’hui entretenue et rappelée, il n’en a pas toujours été ainsi. En 1921, la création de l’Association des légionnaires tchécoslovaques vise à soutenir les veuves et les orphelins des légionnaires tombés au combat ainsi qu’à prendre en charge des anciens combattants blessés. Mais après l'occupation du pays par les nazis en mars 1939, l’organisation est dissoute et ses dirigeants sont internés. De nombreux anciens légionnaires ont plus tard rejoint la résistance antinazie à l'étranger, renouant avec la lutte qui avait présidé à la création du corps d’armes.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’association reprend ses activités, mais après le coup d'Etat communiste de février 1948, elle est réduite au silence pendant quatre décennies et de nombreux légionnaires finissent dans les prisons ou les camps de travail communistes. Certains sont même exécutés ou envoyés dans les goulags soviétiques. Ce n'est qu'après la révolution de Velours que l'activité a pu reprendre.
Aujourd'hui, la communauté rassemble non seulement les anciens combattants, mais aussi les descendants et les membres des familles des légionnaires et des anciens combattants, ainsi que leurs sympathisants. Elle compte un total de 3 800 membres.