Porcherie de Lety : démolition d'un « symbole de l'antitziganisme » en Tchéquie
Une porcherie industrielle sur le site d’un ancien camp de concentration : ce fut la triste réalité pendant des décennies à Lety, à une centaine de kilomètres au sud de Prague. Grâce aux activistes locaux et à la pression internationale, cette porcherie va être enfin détruite à l’endroit où plus de 300 Roms sont morts et d’où des centaines d’autres ont été déportés vers les camps de la mort nazis. Ce « symbole de l’antitziganisme » commence à être détruit ce lundi par les bulldozers tandis qu’une cérémonie symbolique était organisée vendredi.
Avant les bulldozers ce lundi, il y a eu vendredi quelques vitres brisées à coups de marteau et plusieurs coups de pioche symboliques sur le mur d’un des bâtiments de la porcherie rachetée en 2018 par l’Etat.
Čeněk Růžička, pioche à la main, est ému mais garde le sourire, il préside le Comité pour l’indemnisation des victimes roms de l’Holocauste. Des membres de sa famille sont morts dans ce camp de Lety, qui était surveillé par des gardes tchèques sous l’occupation nazie.
« Quand ma mère m’a raconté ce qui s’était passé ici, il était impossible pour moi de laisser cette porcherie. Elle ne me l’a pas dit pendant très longtemps, de peur que je m’engage trop. Il faut savoir que 90% des Roms internés sur le territoire de l’actuel Tchéquie sont morts dans les camps de concentration. »
Čeněk Růžička est sans doute la personnalité qui a le plus contribué à mettre fin à cet outrage à la mémoire des victimes, 80 ans presque jour pour jour après que le camp de Lety a été officiellement catégorisé comme « camp tzigane » par les autorités du Protectorat de Bohême-Moravie.
Pendant des années, les cérémonies d’hommage aux victimes roms, le 13 mai, se déroulaient quand la ventilation était coupée, à cause de la puanteur de cette porcherie construite sous le communisme dans les années 1970.
Ce fut à peu près à la même époque qu’un historien tchèque, Ctibor Necas, a commencé à publier dans des revues spécialisées des articles sur l’internement des Roms dans les pays tchèques, à Lety comme à Hodonin u Kunstatu. Ses écrits sont restés très peu relayés jusqu’à la révolution de Velours. Ce sont ensuite des étrangers, l’Amércain Paul Polansky et l’Allemand Markus Pape qui ont écrit sur le sujet et sorti la Tchéquie de la léthargie pour le travail de mémoire sur ce lourd passé.
Les anciens dissidents arrivés au pouvoir montent ensuite au créneau, le président Václav Havel se rend en 1995 sur les lieux du petit mémorial érigé à proximité et Petr Uhl, un temps commissaire gouvernemental pour les droits humains décrit cet élevage porcin comme un « symbole de l’antitziganisme tchèque ». Les deux n’auront pas pu voir de leur vivant la destruction de ce symbole dénoncé par l’ONU, le parlement européen et le Conseil de l’Europe.
L’affaire de la porcherie de Lety a longtemps servi de terreau fertile à toute sorte de rhétoriques nauséabondes, avec des responsables politiques comme les anciens chefs de l’Etat et du gouvernement Václav Klaus et Andrej Babis contestant le caractère « concentrationnaire » de ce camp, ainsi que des leaders du parti communiste et surtout de l’extrême-droite, qui a même organisé des rassemblements sur place contre la fermeture de la porcherie.
« Aujourd’hui marque le début de la fin d’un des chapitres les plus honteux de notre histoire », selon Marketa Pekarová Adamová, la présidente de la Chambre des députés, présente elle aussi vendredi.
Après la démolition financée par l’Etat tchèque et des fonds norvégiens, c’est un mémorial de l’Holocauste des Roms et des Sintis (Porajmos) qui doit voir le jour, géré par le musée de la Culture rom, dont Jana Horvathová est la directrice :
« Je crois et j’espère que ce jour est le début de l’amélioration de la situation des Roms dans notre société, qui pour les intégrer réellement doit remplir une condition nécessaire, à savoir reconnaître ce qui leur a été fait dans notre pays - qui est aussi leur pays »
Pas plus tard que la semaine dernière, le maire de Poděbrady a entamé sa campagne électorale avec des remarques racistes contre la minorité rom, qui représente aujourd’hui environ 3% de la population tchèque.