Věra Nováková : de l’ombre du communisme à la lumière du DOX

Tableau intitulé 'Zátiší – vlastní podobizna' (Nature morte – autoportrait)

Depuis le 30 juin dernier et jusqu’au 16 octobre prochain, le DOX accueille l’exposition Via Vitae, un hommage à l’artiste tchèque Věra Nováková, qui pendant des décennies a été contrainte de garder son art pour elle. Retour sur la vie et sur l’œuvre d’une artiste interdite sous l’ère communiste.

Autopotrait de Věra Nováková | Photo: Emile Roger,  Radio Prague Int.

En déambulant parmi les diverses créations artistiques exposées au DOX, il n’est pas improbable de se retrouver nez-à-nez avec l’artiste Věra Nováková, ou plutôt avec son autoportrait très réaliste de 1950. Au deuxième étage du centre d’art contemporain de Prague, non loin du fameux dirigeable, c’est par cette toile que débute une rétrospective de l’artiste, intitulée Via Vitae. La commissaire de cette exposition, Michaela Šilpochová, parcourt avec nous une partie de l’œuvre de l’artiste :

« Cette exposition, qui s’intitule Via Vitae, ce que l’on pourrait traduire par ‘Le chemin de vie’, est un hommage à une vie qui se démarque des autres, et qui, encore aujourd’hui, est une source d’inspiration, même pour les jeunes générations. »

La vie de Věra Nováková a été marquée par une série d’obstacles et de difficultés, liés au contexte politique de l’époque, qui ont profondément inspiré son art. Née en 1928 à Prague, elle grandit dans une famille nombreuse. L’artiste confie que « dans [sa] vie, les huit dans les années sont importants ». Cela se vérifie assez aisément. Un an seulement après avoir intégré l’Académie des Beaux-Arts de Prague en 1947, la Tchécoslovaquie tombe entre les mains des communistes suite à un coup d’Etat. Cet événement aura un réel impact sur le cours de sa vie. Michaela Šilpochová revient sur les années qui suivirent le putsch :

Série d'illustration exposée pour l'expositon Via Vitae | Photo: Emile Roger,  Radio Prague Int.

« Le point de bascule dans la vie de Věra Nováková a été l’année 1949, quand elle n’avait alors que 21 ans et était étudiante depuis peu à l’Académie des Beaux-Arts de Prague. A cause du régime communiste de l’époque, Věra et son petit-ami de l’époque – qui deviendra ensuite son mari, l’artiste Pavel Brázda – ont été tous les deux exclus de l’école. Pour Věra, qui venait d’une famille très libérale, très ouverte d’esprit, ça a été un moment bouleversant de sa vie. »

Tableau intitulé 'Zátiší – vlastní podobizna'  (Nature morte – autoportrait) | Photo: Emile Roger,  Radio Prague Int.

Cette exclusion pour raisons politiques est venue mettre un terme à l’optimisme, déjà presque fané, de l’après-guerre, et a surtout remis en cause toute sa vision du monde. Pourtant, elle ne l’a pas empêchée de créer et d’utiliser l’art comme un moyen de questionner et d’appréhender cette nouvelle réalité. C’est justement ce que montre son œuvre Zátiší – vlastní podobizna (Nature morte – autoportrait), commentée par la commissaire d’exposition :

« Cette œuvre en particulier, qui est en fait un autoportrait, est une peinture que Věra a peinte en 1949, l’année où elle a été expulsée de l’Académie des Beaux-Arts. Cette œuvre montre comment pour elle le monde était brisé en mille morceaux. Il y a un fragment de miroir où son visage est reflété, et autour de celui-ci, on voit de nombreux objets de chez elle : des clés, des petites figurines, des horloges… Ils sont tous démontés, à l’instar de sa vie à ce moment-là, où elle avait l’impression de voir le sol s’écrouler sous ses pieds. Ce tableau en particulier exprime ce sentiment qu’elle éprouvait de ne plus faire partie de qu’elle connaissait jusqu’à présent. »

Plusieurs toile de Věra Nováková | Photo: Emile Roger,  Radio Prague Int.

C’est donc par la création artistique que Věra Nováková a fait le choix de son chemin de vie, un chemin de recherche, de découverte et de questionnement autour des grandes préoccupations humaines. Loin de la sphère académique, et empêché d’exposer publiquement son travail, Věra a profité de son isolement pour expérimenter et découvrir par elle-même. Son œuvre se fait alors le témoin d’une richesse artistique étonnante. Peinture, sculpture, illustration, expériences avec des lettres et littérature : tels sont les nombreuses techniques utilisées par l’artiste pour transmettre son ressenti sur ce qu’elle vivait. Elle traverse aussi différents courants artistiques allant du portrait de style Renaissance au surréalisme, en passant par l’art informel. Malgré cette pluralité des styles et des techniques employés, une certaine continuité est présente dans l’œuvre de l’artiste. Michaela Šilpochová :

Une partie de l'exposition dédiée au thème du commencement avec Adam et Eve tronant au centre | Photo: Emile Roger,  Radio Prague Int.

« Il y a un point crucial sur l’art de Věra. Peu importe l’aspect stylistique ou la forme que cela prend, il y a toujours quelque chose qui reste au cœur de son œuvre et c’est un être humain. L’art de Věra traite principalement ces thèmes universels de l’humain : l’affrontement entre le bien et le mal, la foi, la perte, le commencement de la vie, la mort. Tous ces grands thèmes humanistes sont présents, peu importe la forme que cela prend. »

Première partie du dyptique intitulé Sic Transit Gloria Mundi  (Ainsi s'achève la gloire du monde) | Photo: Emile Roger,  Radio Prague Int.
Seconde partie du dyptique intitulé Sic Transit Gloria Mundi  (Ainsi s'achève la gloire du monde) | Photo: Emile Roger,  Radio Prague Int.

Durant ces sept décennies de création artistique, l’artiste a été préoccupée par les mêmes thèmes qu’elle n’a cessé de retravailler. L’exposition du DOX regroupe ainsi ses œuvres selon ces grands thèmes afin d’observer le différent traitement qu’elle en fait à travers les années. A noter que ces thèmes gardent une certaine résonance de nos jours, en particulier en ce qui concerne le rapport des Hommes au pouvoir. Věra Nováková a connu deux totalitarismes, et son expérience de ce type de régime lui permet de nous transmettre des enseignements vitaux à travers son art, comme avec le tableau Sic transit gloria mundi (Ainsi s'achève la gloire du monde). Michaela Šilpochová le commente pour nous :

Tableaux exposés pour l'exposition | Photo: Emile Roger,  Radio Prague Int.

« Elle était capable de mettre le doigt sur ces thèmes puissants, universels, toujours présents aujourd’hui. Elle est très préoccupée par ce qui se passe aujourd’hui. Elle suit l’actualité, lit les journaux… Ce qui se passe en Ukraine témoigne de ce qu’elle disait déjà dans son art, à savoir qu’à chaque fois que quelqu’un cherche à imposer sa puissance à d’autres, ça ne peut que se terminer en catastrophe, et c’est la catastrophe à laquelle nous assistons aujourd’hui. »

Věra Nováková aura dû attendre la chute du régime communiste pour pouvoir enfin partager son art au public. Sa première exposition en solo a eu lieu quand elle avait déjà 70 ans. Aujourd’hui âgée de 94 ans, elle fait partie des artistes tchèques de l’époque contemporaine les plus influents, et de nombreux artistes lui rendent hommage. Vingt d’entre eux sont exposés à la fin de l’exposition Via Vitae.

Première salle de l'exposition | Photo: Emile Roger,  Radio Prague Int.