Pavel Brázda, Věra Nováková et Ivan Sobotka à Ztichlá klika : apocalypses, icônes et autres provocations
Dans cette nouvelle rubrique culturelle, on revient à Ztichlá klika, qui se trouve à côté de la place de Bethléem à Prague. C’est une librairie qui vend des livres anciens. Mais c’est aussi une galerie qui vend des gravures et de peintures, qui expose. Tout ce petit monde qui travaille à Ztichlá klika, créée par Jan Placák, fait ce travail pour l’amour de l’art. C’est une alternative aux autres galeries qui peuvent faire des choses plus commerciales.
A Ztichlá klika, il y a aussi Virginie Béjot qu’on avait rencontrée en août dernier, pour une exposition consacrée à Vladimír Boudník, le représentant de l’ « explosionalisme ». Aujourd’hui on se retrouve pour une nouvelle exposition qui concerne trois peintres. Si Vladimír Boudník était le représentant de l’ « explosionalisme, Pavel Brázda, lui était le représentant de ce qu’il appelait l’ « hominisme ». Il disait que ses peintures était sur les gens et pour les gens, ce qu’on peut voir dans ses peintures figuratives. Peut-on parler de ce petit groupe de peintres tchèques ?
« Il y a Pavel Brázda qui est connu, sa femme Věra Nováková qui peint aussi, et Ivan Sobotka qu’on a déjà exposé plusieurs fois à Ztichla klika. Tous trois se sont rencontrés après la deuxième guerre, à l’Académie des Beaux-Arts. »
Qu’est-ce qu’était ce groupe qu’ils avaient créé, je crois que c’était à l’initiative de Brázda ?
« On ne peut pas dire que c’était un groupe bien précis. Ce sont juste trois personnes qui se sont retrouvées et rencontrées à l’Académie. Pavel et Věra en ont été expulsés après le putsch communiste en 1948. Ils ont continué à se fréquenter avec Ivan Sobotka en-dehors de l’université, dans les ‘hospoda’ enfumées, à discuter de l’existence, de la peinture, dans le chaos communiste. Ils essayaient de trouver des lignes de création, des lignes de vie. »
On avait déjà parlé de Sobotka la dernière fois ensemble. Il était très croyant, catholique, ça se voit dans ses œuvres puisqu’on dirait des icônes, à la façon Sobotka, car elles n’ont rien à voir avec les icônes orthodoxes, très chargées, très ‘baroques’. On avait parlé de ses toiles qui sont très simples, très épurées : c’est le trait unique, un fond blanc en général. Alors que là, les oeuvres exposées sont plus colorées, plus vives, elles ne sont pas bichromes. Elles sont moins épurées...
« Il y a une influence réciproque entre lui, Věra Nováková et Pavel Brázda. Au début, dans les années 50, quand ils se fréquentaient, Ivan n’était pas croyant. Il n’avait pas encore décidé que ce serait le thème central de son oeuvre. Dans les années 1950 qui étaient très difficiles, il a décidé qu’il fallait trouver un point central autour duquel créer. Il a choisi la religion catholique, celle de son père, de sa famille, il est revenu aux sources en décidant de vivre une vie catholique. Věra Nováková, qui vient d’une famille athée, s’est convertie un peu sous l’influence de Sobotka. Son œuvre est très influencée par les Textes. »
C’est très clair quand on voit certains de ses tableaux ou ses dessins. Par exemple celui que nous voyons, noir et blanc, au crayon. Ce fourmillement de personnages fait évidemment penser à des tableaux de Jérôme Bosch sur l’Apocalypse ou de l’Enfer.
« C’est cela. C’est très influencé par les Textes et par le contexte des années 1950. On y voit énormément de personnages, des enfants qui souffrent, des enfants mauvais. Il y a aussi le tableau d’à côté... »
Il s’appelle ‘Tak končí sláva světa’, soit ‘C’est ainsi que s’achève la gloire du monde’...
« C’est très apocalyptique, assez traditionnel finalement car on y retrouve Jésus sur la croix... »
Il y aussi une descente aux Enfers des damnés comme dans certains tableaux de Brueghel où l’on voit les anges les chassant en enfer. Là, il n’y a pas d’anges, mais on retrouve cette espèce de puits avec de la fumée...
« Et il y a toute cette souffrance qui est représentée par tous les personnages du dessin. C’est assez proche de Sobotka. »
Pavel Brázda, C’est proche de Sobotka dans l’inspiration religieuse, par contre pas du tout dans le dessin, c’est beaucoup plus chargé...
« Je pense qu’Ivan et Věra sont quand même plus proches l’un de l’autre que de Pavel qui était déjà dissident dans le groupe. D’ailleurs Brázda a fait un tableau en réponse à celui de Věra, qui s’appelle ‘Cinq minutes avant la fin du monde’. On dit que c’est un tableau post-surréaliste. »
Je disais que ce que fait Věra Nováková est très différent de Sobotka dans le style, en même temps si on regarde d’autres tableaux, il y en a qui font penser aux icônes de Sobotka...
« Elle était proche de lui par le fait qu’ils étaient catholiques tous les deux, et par le fait qu’ils avaient des discussions qui duraient des heures et des heures. Ils avaient une influence l’un sur l’autre. »
C’était une foi discutée, approfondie ensemble...
« C’est une foi qui a ensuite séparé Pavel et Ivan. Autant Ivan était croyant convaincu, autant Pavel est un athée convaincu. Il a ses racines, ses influences qui viennent d’ailleurs, complètement, elles se retrouvent dans le cubisme, le surréalisme et le Groupe 42. Mais pas dans la religion. Quand ils se rencontraient, ils ne se comprenaient plus. A la fin des années 1960, ils se voyaient de moins en moins, jusqu’au jour où Ivan a écrit une lettre en disant qu’il ne voulait plus les voir. »
Puisque tu parles de Pavel Brázda, on peut l’évoquer. Pour ceux qui connaissent le magazine Respekt, magazine intellectuel de référence en République tchèque. Le magazine a repris l’astronaute de Brázda comme symbole...
« C’est cela. Pavel Brázda était interdit sous le communisme, il n’a pas été connu avant 1989. Après la révolution de velours, Viktor Karlík, rédacteur en chef de Respekt à l’époque, a découvert les travaux de Brázda. C’est aussi Respekt qui a organisé la première exposition des œuvres de Brázda et de sa femme Věra en 1992. Je pense que Brázda est devenu une référence pour la peinture tchèque. Ses tableaux appartiennent au post-surréalisme et sont complètement originaux. »
Par exemple ce tableau, Ulička na nádraží, La ruelle de la gare, très caractéristique... Au premier coup d’œil, ça fait penser à de la BD. En plus celui-ci est découpé en divers petits modules qui sont remis ensemble comme un puzzle, même très sommaire. Mais ça évoque la BD car on peut suivre une histoire et à cause du style entre la caricature et l’illustration...
« C’est vrai. D’ailleurs Pavel Brázda est un vrai dessinateur. Il utilise très bien les couleurs, toujours très vives. Aujourd’hui, il fait ses tableaux sur ordinateur, uniquement. Mais il dessine tout ce qu’il fait avant, sur papier. C’est intéressant, car les œuvres actuelles de Brázda sont très épurées, très colorées, et se rapprochent des œuvres de Sobotka des années 1950. »
Ce que tu dis sur Brázda qui fait ses œuvres sur ordinateur, c’est intéressant car finalement ce vieux monsieur aurait pu passer à côté de cette révolution technologique qu’est l’informatique et donc de la possibilité de retravailler les images. En outre, certains de ces nouveaux travaux évoquent les œuvres de Keith Harring. En tout cas pour terminer cette présentation, il faut préciser pour ceux qui s’aventureraient à Ztichlá klika qu’il y a un petit jeu de devinette : toutes ces œuvres, dont le fil rouge qui les relie est le lien de création et d’amitié qu’ils ont entretenu, ont un titre, mais pas le nom de l’auteur...
« C’est une sorte de provocation, mais aussi une façon de leur faire plaisir. Pour leur montrer combien ils étaient proches, qu’ils ont découvert ensemble les premières choses importantes de la vie c’est-à-dire : pourquoi crée-t-on ? On s’est rendu compte en installant l’exposition que chacun avait déjà sa manière de peindre, sa vision, que c’était finalement facile de les distinguer, une fois qu’on s’intéresse à leurs parcours. »
L’exposition s’achèvera le 16 mars.