« On a besoin des ondes courtes quand les dictatures se crispent »
On pensait les ondes courtes un vestige d’antan - de la Guerre Froide notamment. La guerre en Ukraine, mais aussi d’autres crises dans le monde, montrent qu’il n’en est rien. C’est en tout cas ce que pense Sylvain Clament, infirmier libéral en Gironde, mais qui occupe son temps libre à diriger et coordonner le travail de Radio for Peace International, une station internationale qui émet vers l’Ukraine, la Russie et l’Afghanistan. En cette Journée mondiale de la radio, il est revenu au micro de Radio Prague Int. sur l’histoire et la vocation de cette radio :
« RFPI a eu une nouvelle naissance en 2019. C’est une station qui avait opéré aux Etats-Unis jusqu’en 2003 qui avait un peu le même projet de donner la voix aux sans-voix. Elle a fonctionné à une époque où le castrisme était très actif donc c’étaient des émissions très dirigées vers Cuba. James Latham a arrêté ses émissions en 2003. En 2019, nous l’avons rappelé pour lui demander si on pouvait rouvrir la station et utiliser son nom. Il a accepté et RFPI a renaît de ses cendres. »
Comment travaillez-vous ? Vous dirigez cette radio mais j’imagine qu’il y a une équipe rédactionnelle. Comment cela se passe-t-il ?
« Sur la direction, l’organisation, il y a moi essentiellement. On est une station très particulière de par notre objet qui est de permettre à l’information de passer malgré les situations de crise : la guerre, les crises environnementales, les dictatures. Moi j’organise, je coordonne, je monte les émissions, mais sinon pour les émissions destinées à l’Ukraine, il y a un journaliste à Kyiv, un autre à Londres. C’est pareil pour nos émissions en Afghanistan : on a deux journalistes sur Bordeaux. On a une rédaction éclatée, on fait des réunions de rédaction mais c’est via Telegram que l’on discute. Il n’y a jamais de réunions physiques. »
Comment avez-vous choisi ces journalistes ?
« C’était sur recommandation. Ce sont des gens qui, pour l’Afghanistan, viennent de Voice of America ou de Radio Azadi – pour ceux qui ne connaissent pas, c’est l’équivalent de Radio Liberty ou Radio Free Europe mais pour l’Asie. Cela fait partie d’un groupement américain de radios internationales. Et pour l’Ukraine et la Russie, ils viennent de Radio Liberty ou travaillent pour des journaux russes d’investigation comme Insider. »
C’est intéressant que vous évoquiez ces radios, puisque d’ailleurs Radio Free Europe a son siège ici même à Prague. Tous ces noms de radios sont associés à l’époque de la Guerre Froide : on pensait que tout cela aurait pu disparaître avec l’effondrement du bloc de l’Est, et on se rend compte que pas du tout. Tout comme RFPI, Radio Prague Int. a longtemps été une radio sur ondes courtes, cela a été sa vocation à partir des années 1930 de porter la voix de la Tchécoslovaquie démocratique et indépendante dans le monde (avant de devenir une radio essentiellement de propagande sous le régime communiste). Est-ce aussi la vocation de votre radio de porter ce genre de messages via les ondes courtes, des fréquences qui ne sont pas celles auxquelles ont été habitués au quotidien ?
« Au début, c’était une passion et il y avait aussi un devoir mémoriel. Comme vous l’avez dit, c’est rattaché à l’idée d’ondes de la Guerre Froide. Après, c’est devenu autre chose mais il y avait encore des ondes courtes diffusées sur certains continents. Les ondes courtes, c’est facile : c’est une bande de fréquences de 3 MHz à 30 MHz. Par exemple, quand vous écoutez la FM, vous êtes sur 88 à 108 MHz, donc des fréquences bien plus basses. On travaille en modulation d’amplitude ce qui permet d’avoir des récepteurs très simples. De 3 à 30 MHz, les ondes ont cette particularité d’être diffusées par un émetteur, de partir se réfléchir sur la ionosphère qui est à 50 km au-dessus de nos têtes, de redescendre et elles peuvent faire plusieurs rebonds entre la terre et la ionosphère. Avec les ondes courtes, on peut faire des milliers de kilomètres… »
C’est le paradoxe du nom : des ondes courtes mais qui vont très loin…
« Voilà. Cela nous permet d’avoir nos émetteurs aux Etats-Unis. On les loue. Un émetteur ondes courtes, c’est géant, les pylônes font 140 mètres de haut, les émetteurs sont dans des hangars. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut avoir chez soi comme une émetteur FM. Cela nous permet donc de diffuser depuis les Etats-Unis, de bénéficier de la loi américaine sur la liberté d’expression. Il n’y a aucune censure côté américain, ou alors il faudrait que le sujet soit une atteinte à l’intégrité des personnes. Après, on diffuse aussi depuis la Bulgarie ce qui fait qu’on est sous le régime de la réglementation communautaire. Ces ondes nous permettent de couvrir l’Ukraine et la Russie et de lancer, il y a deux mois, des programmes vers l’Afghanistan. »
Qu’est-ce qui a changé pour vous avec le 24 février 2022 et le début de cette guerre ?
« Pour nous, ça a été l’urgence. On émettait déjà pour les gens qui n’ont pas la possibilité de s’informer via des canaux comme internet. Ce qui a changé, c’est que là on avait un régime, celui en place en Russie, qui a coupé presque tous les canaux d’informations comme YouTube par exemple. On ne pouvait pas rester les bras croisés sachant qu’au même moment, la BBC, Voice of America ont relancé des programmes sur ondes courtes. La BBC n’émettait plus vers la Russie et en deux semaines, ils ont lancé quatre heures de programme par jour en direction du pays. Ce n’est pas rien. Il y avait de la pertinence, on le savait. Vu la dimension de l’agression, il fallait qu’on fasse quelque chose à notre niveau. »
Radio Prague Int. a longtemps été sur ondes courtes, jusqu’au tournant des années 2009-2010 quand elles ont été abandonnées (avec une exception quand même, et une diffusion sur ondes courtes via l’émetteur d’Okeechobee en Floride). Votre projet ne montre-t-il pas que les ondes courtes ont, malgré tout, de l’avenir ?
« Malheureusement en fait. On a besoin des ondes courtes quand les régimes totalitaires se crispent et deviennent plus totalitaires encore. Malheureusement, oui, je pense qu’il y a un avenir. Cela doit continuer de faire partie du panel de solutions qu’on peut employer lors de crises. Il faut arrêter de penser à l’ultra-solution : le numérique, c’est la solution, ou les ondes courtes, c’est la solution – ou pas. C’est un panel qu’on doit pouvoir mobiliser. On a assez de moyens pour garder des émetteurs, pour ne pas tout démanteler. On doit pouvoir, en Europe, garder des ressources comme cela, que ce soit pour émettre vers l’Iran, de l’Afghanistan. Personne n’en parle, mais il se trouve que la Birmanie nous lance des appels aussi. Il y a aussi l’ouest de la Chine où vivent les Ouïghours et où l’information passe très mal. Il y aurait quelque chose à lancer en ondes courtes ou moyennes là-bas. Il y a énormément de terrains d’opération et malheureusement, plus il y en a, plus cela veut dire que la situation se dégrade au niveau des droits de l’Homme. »
Vous parlez de terrain d’opération, c’est un vocabulaire très militaire. Avez-vous l’impression d’être partie prenante d’une lutte dans une guerre informationnelle ?
« Une lutte oui, une guerre non. Nous ne sommes pas partie prenante d’une guerre. Tout ce que nous voulons, c’est diffuser de l’information sur les terrains où il y en a besoin. De par notre ADN, nous ne sommes pas en guerre. Quand nous diffusons en Ukraine et en Russie, c’est aussi pour les Russes qui luttent de l’intérieur de leur pays contre le régime poutinien. Nous sommes évidemment contre le régime de Poutine, mais pas contre les jeunes Russes qui aspirent à la démocratie. »
A la grande époque des ondes courtes, les auditeurs nous envoyaient des rapports d’écoute contre des cartes QSL, nous le faisons toujours pour la diffusion internet, mais c’est quand même différent. Avez-vous des retours d’auditeurs ?
« Cela passe beaucoup par nos journalistes qui nous font remonter l’information venue des auditeurs. Les QSL, c’est compliqué en temps de guerre, on ne peut pas envoyer de cartes. La station en a mais c’est plus pour les gens qui peuvent les recevoir. On reçoit plutôt des messages de soutien, qui nous remercient d’être là. La radio c’est aussi le réconfort de recevoir avec un petit poste une information donnée par une voix qu’on connaît, des accents familiers dans une situation difficile. Qui n’a pas allumé la radio dans un moment difficile ? C’est aussi valable en temps de guerre ou de crise. Depuis le début de l’hiver et avec toutes les frappes russes en Ukraine, on a arrêté nos programmes russes pendant un moment. Là, on ne fait que des programmes ukrainiens : quand il n’y a plus d’électricité, il n’y a plus de portable, plus rien. Donc, on a renforcé nos programmes ukrainiens. »
LIRE & ECOUTER
Précisons que de notre côté, depuis le début de la guerre, nous proposons un podcast en ukrainien et qu’à partir du mois d’avril nous aurons aussi une page en ukrainien sur votre site. Vous aussi avez un site internet où il est possible d’écouter les émissions en streaming ou les podcaster…
« Elles sont en effet toutes en streaming, que ce soit les émissions en ukrainien ou en farsi. On peut aussi nous suivre sur Facebook. Tous les réseaux sociaux sont aussi pour nous des canaux d’information. Chaque pays a sa spécificité : en Afghanistan, cela passe beaucoup par Facebook, l’Ukraine, c’est plus Telegram. Nous diffusons également sur YouTube. Nos émissions sont écoutables en direct sur notre site mais il faut regarder notre grille de programmes. Mais bon, c’est toujours bien d’écouter en ondes courtes avec un petit poste, c’est quand même très sympa ! »