« Un conte de fées tchécoslovaque » raconte le miracle cinématographique des années 1960
Auteur et scénariste français, Christian Paigneau a consacré son premier film documentaire, coproduit par cinq pays européens et visible actuellement sur ARTE, à la formidable production de la nouvelle vague cinématographique tchécoslovaque.
Son histoire, qui commence au début des années 1960 et se termine lorsque les chars soviétiques entrent à Prague en août 1968, est racontée à travers des extrais de films de Věra Chytilová, Jiří Menzel, Vojtěch Jasný ou Miloš Forman, ainsi qu’à travers des images d’archives, parfois inédites. « Un conte de fées tchécoslovaque » est aussi un portrait croisé de cette époque extrêmement créative et de son représentant toutefois quelque peu atypique : Jan Procházka, écrivain communiste, scénariste et producteur influent des studios de Barrandov qui a notamment travaillé en duo avec Karel Kachyňa, le réalisateur du célèbre drame psychologique « Ucho » (L’Oreille) interdit pendant près de 30 ans par la censure communiste.
Venu présenter « Un conte de fées tchécoslovaque » en avant-première à Prague, le réalisateur Christian Paigneau nous raconte sa passion pour les œuvres de cette remarquable génération de cinéastes tchécoslovaques, ainsi que la genèse de son film.
« A l’origine j’écrivais un livre sur l’enfance au cinéma. Et en écrivant ce livre, je devais chercher des photos sur Internet pour l’illustrer. Je suis tombée sur un extrait du film de Karel Kachyňa ‘Vive la république’ (Ať žije republika, 1965, ndlr) que je ne connaissais pas du tout. C’était comme une révélation. Je voulais absolument intégrer ce film dans mon livre. Je l’ai trouvé au Centre tchèque de Paris, de même que plein d’autres films de cette époque que j’ai regardés en version originale, même si je ne parle pas tchèque. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que c’était un cinéma qui se passait de la parole, mettant en avant les images. »
Justement, en présentant « Un conte de fées tchécoslovaque » au public pragois, vous avez dit que c’était un film « très bavard en images ».
« Oui, ce qui m’intéressait c’était de pouvoir faire des dialogues d’images. Dans l’ancienne Tchécoslovaquie, on pouvait tout raconter par l’image. Je trouve que c’est une singularité incroyable. Je ne suis pas certain que d’autres cinémas puissent faire de même. Dans mon documentaire, on trouve des images de la nouvelle vague, des extraits de films de Jan Procházka, les images de la StB, donc de la police secrète communiste, des images de propagande… Ce contexte visuel n’est pas forcément connu en France et je voulais le mettre en avant. »
La carrière et la l’histoire de vie de Jan Procházka sont le fil rouge de ce film. Pourquoi avoir raconté l’histoire du cinéma tchécoslovaque des années 60 à travers son destin ?
« Jan Procházka est un personnage intéressant, un peu ambigu car c’est quelqu’un qui est très malin au départ. Il réussit une carrière à la fois dans le cinéma et en politique puisqu’il devient le conseiller culturel du président Antonín Novotný. Ensuite, il devient scénariste, producteur, directeur d’un groupe de production, président de l’Union des écrivains… C’est une carrière fulgurante sur dix ans ! Ce que je trouve aussi étonnant chez lui, c’est qu’on peut lire sa pensée et l’évolution de cette pensée dans ses films, avec des œuvres très proches du réalisme socialisme au début, ensuite des films d’enfance qui sont en rupture avec cela et enfin, avec des films très critiques vis-à-vis du régime. »
« Je pense qu’il y aura toujours un intérêt pour la nouvelle vague tchécoslovaque, mais pas forcément pour Jan Procházka, voilà pourquoi j’ai décidé de le mettre au cœur du film. Les films qu’il a créés avec Karel Kachyňa présentent une autre richesse audiovisuelle. Explorer leurs films et ceux de la nouvelle vague permet de mieux comprendre les uns et les autres. »
Les historiens du cinéma qui commentent les images dans votre film vous ont-ils aidé à éclairer ce personnage ambivalent ?
« Ils m’ont forcément éclairé parce que c’est le point de vue tchèque alors que j’avais juste un point de vue étranger. A la fois débarrassé des enjeux mais qui manque en même temps de précisions sur le sujet. Ils m’ont aidé à comprendre, tout comme le point de vue de Milan Kundera. Je lui ai écrit et il m’a appelé. Jan Procházka était son ami, il avait été très touché par ce qui lui arrivait à la fin de sa vie. Au début, j’étais critique envers lui, j’avais du mal à le cerner. Mais en découvrant des interviews de Procházka pour la télévision, j’ai réalisé que c’était quelqu’un d’extrêmement moral, quelqu’un qui a évolué avec le temps, et qui a surtout un amour pour son pays extrêmement fort. Il a des phrases très belles, presque des espèces de prévisions, sur la révolution de Velours et la non-violence tchèque. Il parle de l’exil intérieur et de l’exil extérieur. Il est très conscient de ce qui se passe dans son pays. »
Jan Procházka est mort prématurément, des suites d’un cancer, à l’âge de 42 ans. C’était en 1971, donc au début de l’époque de la normalisation qui a suivi l’écrasement du Printemps de Prague. Pourriez-vous nous expliquer les circonstances de son décès, évoquées elles-aussi dans votre film ?
« Il a fait l’objet d’une vengeance et d’une campagne de compromission, tout comme plusieurs autres personnalités, dont par exemple la chanteuse Marta Kubišová. Les autorités communistes ont mis en place une émission de télévision pour le détruire, ce qui était très violent pour sa famille et ses filles. »
« C’est une histoire liée à la France, je ne sais pas pourquoi. Dans ce film très étrange, d’une trentaine de minutes, on fait croire que Procházka part comme un espion en France. Cette campagne l’a mis à genoux. Comme le dit sa fille dans le documentaire, il pouvait supporter l’invasion mais il ne pouvait pas supporter cela.»
Pour votre film, vous avez utilisé des images d’archives tchèques mais également par exemple de Suède où vous avez trouvé des images inédites même pour le public tchèque. Pourriez-vous nous en dire plus ?
« Grâce à un documentaire sur Milos Forman, nous avons vu des images d’archives où on parlait français, mais avec un accent que nous avons identifié au bout d’un certain temps comme un accent suédois. La Suède nous a envoyé par la suite toute une liste d’archives, liées par exemple à une émission de cinéma très populaire animée pendant près de 40 ans par le critique Peter Sundgren. Pour notre documentaire, nous avons utilisé une séquence avec Alois Poledňák, le directeur de la cinématographique tchèque, interrogé en français par Peter Sundgren. Il est venu à Prague en 1966 et a demandé de voir les films de Věra Chytilová et Jan Němec, ce que les autorités ont refusé. Alois Poledňák développe un tas d’arguments totalement absurdes. C’est une archive qui n’est pas connue du public tchèque et qui est extrêmement intéressante à entendre. »
« Nous avons eu d’autres images encore que nous n’avons pas utilisées. Notamment une archive avec Jan Němec qui, au lendemain de l’invasion soviétique, est sur un toit de Stockholm, et qui a l’air à la fois bouleversé, perturbé, un peu alcoolisé, et qui dit qu’il avait fait un film contre la dictature… »
Quels sont les films de la nouvelle vague tchécoslovaque qui vous ont le plus marqué ?
« Je citerai ‘Vive la république’, car c’est celui qui m’a fait rentrer dans le cinéma tchécoslovaque. C’est un film assez surprenant, parce qu’il parle de l’enfance, il créé une vie intérieure à un enfant. Il évoque ses rêves et son passé, ce qui est plutôt rare au cinéma. »
« Je citerais également ‘Chronique morave’ de Vojtěch Jasný qui est un film extrêmement touchant. De nombreux Tchèques m’ont dit que ce film sur la collectivisation des terres ressemblait à l’histoire de leur famille. Enfin, ‘Ecce Homo Homolka’ de Jaroslav Papoušek fait résolument partie de mes films préférés. J’ai une tendresse particulière pour cette œuvre qui est la dernière de ce mouvement de la nouvelle vague tchécoslovaque et du Printemps de Prague… On voit cette famille qui essaie de prendre l’air un dimanche après-midi avec pleins d’autres Tchèques dans la forêt. Après un mouvement d’affolement, tout le monde rentre chez soi, s’enferme, et c’est le dernier moment heureux, de tendresse avant que les choses plus dures ne surviennent. C’est une comédie, mais une comédie un peu inquiète. On sent que quelque chose de grave va arriver. »
« Jaroslav Papoušek fait partie des personnalités importantes de la nouvelle vague, mais qui restent un peu à l’ombre des grands noms du cinéma tchèque. Il faudrait les redécouvrir et réétudier. C’est aussi le cas de la décoratrice et costumière Ester Krumbachová, souvent présentée comme la muse des cinéastes, ce que je trouve un peu réducteur. C’était une femme très moderne et intelligente, une guerrière cachée, car c’est elle qui a écrit les deux films à problèmes de l’année 1966. Věra Chytilová est la seule femme marquante de ce mouvement, mais la deuxième femme de la nouvelle vague, c’est elle.»
Où le public tchèque et francophone peut voir votre film ?
« Le film passera d’ici peu à la Télévision publique tchèque. Il est distribué par les Archives nationales du film (NFA). Il a été diffusé sur ARTE en France et en Allemagne, ainsi qu’en Suède où il a extrêmement bien marché. »