Vincent Perez : « Le combat d’escrime est une forme de danse »
Le Festival du film de Karlovy Vary s’achève ce samedi, avec la cérémonie de clôture qui verra la remise du prix du président à l’actrice américaine Robin Wright. Parmi les autres invités de cette 57e édition, l’acteur Vincent Perez, connu pour ses rôles dans Cyrano de Bergerac ou Indochine, et qui depuis quelques années est aussi passé derrière la caméra. Avant de nous parler de son film Une Affaire d’honneur, présenté au festival, il nous a confié ses impressions de l’événement.
« Je découvre avec les yeux écarquillés le nombre d’informations que je reçois ici. Je suis surpris par le festival et le monde présent puisque les grandes salles de 1000 ou 1400 places sont pleines. On comprend que les gens ont envie de cinéma et donc quand on retrouve des salles pleines comme ici avec un public plein de vitalité, c’est vraiment merveilleux. »
Ce n’est pas votre premier film en tant que réalisateur mais le public vous connaît sûrement davantage en tant qu’acteur. Comment en êtes-vous venu à la réalisation ? Comment est venue cette envie de passer derrière la caméra ?
« C’est quelque chose que j’ai toujours eu en moi, depuis mes débuts. Je me souviens du premier spectacle que j’ai fait à l’école. Non seulement je jouais, c’étaient des sketchs qu’on inventait quand je devais avoir 11 ans, 12 ans, mais il y avait aussi toute une partie avec des films et de la photographie. Tout ça a donc toujours été plus ou moins là. Quand j’ai commencé par la photographie en Suisse j’ai réalisé mon premier court-métrage avec les chutes des pellicules d’Indochine. Ce court-métrage s’appelait L’échange et a été sélectionné à Cannes. J’en ai refait un plus tard mais je suis assez lent dans ma manière de fonctionner. J’ai mis en effet beaucoup de temps à libérer et assumer mon écriture, presque vingt ans. Depuis, je passe presque tout mon temps entre des rôles que je joue et le développement de scénarii d’histoires que j’ai envie de raconter. Aujourd’hui je suis très actif. C’est mon quatrième film mais c’est le premier que j’ai écrit, la première histoire que j’ai inventée avec des recherches personnelles, qui est passée à travers mon système et mon écriture. Je l’ai écrit en collaboration avec ma femme Karine Silla, mais désormais quand je réalise un film, c’est véritablement moi qui le structure et qui trouve les personnages. C’est ensuite elle qui ajoute du fond, de la psychologie et qui m’aide avec les dialogues grâce à sa magnifique écriture puisqu’elle est aussi romancière. Quand c’est elle qui développe un projet, c’est moi qui suis à son service. On a donc trouvé un équilibre merveilleux car au final on vit avec nos histoires. »
Vous dites « inventer » mais il y a quand même un personnage historique dans votre film…
« Tous les personnages sont historiques. »
Oui, je pensais notamment à Marie-Rose Astié de Valsayre car aussi bien l’actrice que la personnalité du personnage crèvent l’écran.
« Elle crevait aussi le scénario et son écriture car elle était très présente ! »
J’ai trouvé que pour une fois il y avait deux personnages principaux dans le film : c’était très équilibré puisqu’il y avait deux héros au lieu d’un habituellement. C’était quelque chose de réfléchi dès le début ou l’idée vous est venue plus tard ?
« Non, l’idée s’est imposée petit à petit. Au départ je voulais faire un film sur les hommes, sur le monde masculin de cette époque avec cette idée de personnages ayant en commun une humiliante défaite, la guerre de 1870 qui les hante et dont ils essayent de se défaire afin de retrouver une certaine dignité. Je voulais surtout faire un film sur le duel puisqu’il manquait un film sur thème-là. En faisant des recherches j’ai découvert des livres et des articles de l’époque écrits par un certain Massat, le rédacteur en chef du Petit journal de l’époque qui n’arrêtait pas de parler de cette fameuse Marie-Rose Astié de Valsayre. Petit à petit, on a donc décidé de l’intégrer car ce personnage était incroyable. J’ai appris qu’elle s’est battue en duel et que ses duels avaient fait beaucoup de bruit à l’époque, tout le monde en parlait. C’était un personnage complètement hors-norme qui n’était pas du tout aimé par les féministes de l’époque. Elles la qualifiaient même de ‘folle’ et disaient qu’elle allait beaucoup trop loin en demandant l’égalité salariale ou en portant des pantalons. Elle a aussi créé la première ligue féminine d’escrime, elle s’est battue en duel contre des femmes et elle a provoqué toute sa vie celui qui la traînait dans la boue dans la presse pendant des années, à savoir Ferdinand Massat. Un jour elle l’a même giflé à l’Assemblée mais il n’a jamais voulu se battre avec elle. C’est donc un personnage qui a pris petit à petit sa place dans le scénario. Finalement quoi de mieux pour parler des hommes que de les mettre en écho avec la féminité et la femme ? »
Pourquoi cette question du duel et de la défense de l’honneur vous a-t-elle intéressé ? Qu’est-ce que cela nous apprend sur la société de l’époque et surtout sur la nôtre ?
« Je pense que quand on fait un film d’époque il faut qu’il fasse écho au monde dans lequel on vit, autrement on a du mal à se projeter dans l’histoire et ne voit pas l’intérêt de la raconter. Ce qui était intéressant premièrement, c’était l’idée d’avoir sa réputation détruite. Aujourd’hui certains craignent de perdre leur image et leur crédibilité après un scandale qui les salit. La destruction d’une réputation est donc un sujet qui fait écho aujourd’hui avec l’arme fatale que constituent les réseaux sociaux. A l’époque ceci existait déjà et on pouvait trouver une issue à cela à travers le duel car une fois que le duel était consommé, la question était réglée. Quelqu’un qui refusait un duel voyait sa réputation détruite car il passait pour un lâche aux yeux des autres. Ce côté-là fait écho à notre époque et je ne fais pas ici l’apologie du duel mais ce sont des faits réels. Je pense d’ailleurs que l’un des rôles du cinéma n’est pas forcément d’avoir un point de vue moral précis sur cela mais plutôt d’explorer cet état de fête qui existait depuis le Moyen-Âge, qui s’est arrêté au moment de la Seconde Guerre mondiale et qui a désormais disparu. Evidemment, l’idée de cette femme fait aussi écho au monde dans lequel on vit. C’est vrai qu’elle est magnifique cette Marie-Rose Astié de Valsayre, elle a du panache et elle est libre, c’est ça qui est beau et qui séduit. Par contre elle reste enfermée dans son corset, elle veut s’en libérer, elle veut se libérer de ses robes qui devenaient avec l’évolution et la modernité un vrai danger pour la femme. On peut citer les accidents du quotidien lorsque par exemple les robes s’accrochaient aux tramways ou lorsque les femmes tombaient malades à cause de l’humidité. C’était la période avant Coco Chanel donc elle a vraiment été la première à se battre contre l’interdiction pour les femmes de porter le pantalon. A l’époque porter un pantalon c’était comme se travestir en homme. Ça paraît un peu simpliste aujourd’hui, mais ça ne l’était pas avant. »
Autrefois, les acteurs apprenaient au cours de leur formation diverses compétences comme monter à cheval ou se battre. Est-ce toujours le cas ou faut-il former les acteurs pour chaque film ?
« Pour ce film, chacun a dû apprendre comment se battre avec une épée. Certains ont déjà eu l’occasion de le faire il y a longtemps comme Guillaume Gallienne dans le cadre de ses cours à la Comédie Française mais tout le monde a dû s’entraîner pendant des mois pour rentrer dans l’esprit des personnages. Ils ont beaucoup souffert, c’était très dur. J’ai moi aussi dû m’y remettre. Si j’ai fait un film sur ce sujet c’est parce que j’ai une expérience peu commune, je pense qu’il n’y a pas beaucoup d’acteurs qui ont l’expérience que j’ai. J’ai eu la chance de travailler avec des grands maîtres d’armes comme Raoul Billerey ou Michel Carliez. Je comptabilise une trentaine de combats au cinéma donc c’est beaucoup mais j’ai quand même souhaité me former à nouveau. Bien que les références restent les mêmes entre Les Duellistes ou Barry Lyndon, il manquait un film sur cette période-là. Avec Michel Carliez on rêvait de faire un film à ce sujet-là, on l’a fait et on est très heureux du résultat. Quand j’étais au conservatoire il y avait un prof qui enseignait l’escrime mais je n’étais pas très assidu à cette époque-là. J’ai réellement appris l’escrime avec ce Raoul Billerey dans le spectacle de Patrice Chéreau, Hamlet. On l’a joué dans la cour du Palais des Papes et dans cet énorme combat final entre Hamlet et Laërte, je jouais Laërte. C’est à ce moment que mon goût pour ces chorégraphies est né, car le combat est une forme de dance finalement. »