Le Satyricon nouvellement traduit et dépoussiéré
Le premier roman européen - c’est ainsi qu’on qualifie parfois le Satyricon, ouvrage latin qui depuis 2000 ans ne cesse d’attirer, de déranger et d’intriguer les lecteurs et les historiens de la littérature. Les lecteurs tchèques ont désormais la possibilité de relire cet ouvrage insolite dans une nouvelle traduction qui a débarrassé le vieux texte de toutes ses annexes pour lui redonner sa forme authentique. Nous devons ce retour aux sources au traducteur Petr Šourek et à la maison d’édition Academia.
Quand la traduction devient amusante
Il ne s’agit pas de la première traduction tchèque du célèbre roman. Il a été traduit déjà dans les années 1920 par Karel Hrdina et cette traduction bien reçue par le public et rééditée par la suite, est très appréciée aussi par Petr Šourek. Pourtant, un jour il a essayé de traduire un fragment du texte qui pose de nombreux problèmes aux traducteurs mais qui l’a subjugué entre autres par son humour :
« Je me suis bien amusé en traduisant ce texte et c’est peut-être la raison pour laquelle je suis finalement parvenu à traduire le roman dans son ensemble. Quand vous traduisez ce genre de texte, vous y travaillez pendant longtemps. D’abord je n’ai traduit qu’un petit fragment, puis je me suis remis au travail et j’ai traduit une partie plus importante. Et comme cela ne cessait pas de m’amuser, j’ai fini par le traduire entièrement. »
Le lancement du livre Satyricon :
Un roman puzzle
Déjà dans la préface du livre, Petr Šourek ne cache pas que malgré les recherches millénaires nous sommes toujours dans l’incertitude en ce qui concerne les origines, la trame et même l’auteur du Satyricon. C’est une œuvre qui, 2000 ans après sa création, rechigne encore à livrer ses secrets et gardera probablement son mystère pour toujours. Le roman perdu pendant des siècles et recomposé à partir de plusieurs manuscrits, est aujourd’hui un puzzle incomplet dans lequel il manque beaucoup d’éléments. C’est pourquoi Petr Šourek qui veut être franc avec son lecteur, a sous-titré sa traduction du Satyricon ‘Les restes d’un roman latin’ :
« Je n’ai pas cherché à faire la même chose que les autres traducteurs des fragments du Satyricon. Ce qui nous reste de cette œuvre est un certain nombre de petits éclats. Tout cela est un peu chaotique et parfois nous ne savons même pas dans quel ordre il faut ranger ces fragments. Le premier traducteur tchèque a essayé de souder un peu ces fragments pour en faire un récit classique. Moi, je n’ai pas cherché à faire cela. Là, où il y avait une lacune, où le récit était interrompu, je l’ai laissé et je l’ai même mis en évidence par des signes graphiques. Vous y trouvez donc parfois des trous et même des mots décomposés parce que le texte est coupé et nous ne savons pas combien de phrases manquent, s’il manque toute une page ou la moitié d’un rouleau de parchemin. »
Un ouvrage qui se prête à toutes les interprétations
Rien n’est tout à fait sûr en ce qui concerne ce roman. Est-ce vraiment l’œuvre de Pétrone, le célèbre ‘arbiter elegantiarum’ de la Rome de l’empereur Néron ? A quel moment de l’histoire le roman a-t-il été écrit ? Dans quelle région de l’Empire le roman est-il situé ? Comment combler les lacunes qui coupent parfois le texte en morceaux disparates et sans continuité ? Est-ce un tableau plus ou moins réaliste des mœurs antiques ou une caricature exagérée de la société romaine? La célèbre description du festin de Trimalchion est-elle l’image satirique et allégorique de la cour de Néron ou une parodie du Banquet de Platon ? Petr Šourek souligne le caractère railleur de ce roman qui semble se prêter à toutes les interprétations :
« Dans ce récit, il y a beaucoup de choses qui sont tournées en ridicule. Certains personnages sont présentés d’une façon très critique mais il ne faut pas oublier celui qui critique et quelle langue il utilise pour critiquer. L’auteur, lui-aussi, tient beaucoup à devenir ridicule et à ce que sa critique soit exagérée, inutile, déplacée. Ainsi tout le monde dans ce récit se moque de tout le monde. »
Des mots qui n’existent nulle part ailleurs
L’aspect linguistique du Satyricon est aussi compliqué que tous les autres aspects de ce roman. Il est écrit en latin classique mais aussi en latin vulgaire et parfois même en latin gouailleur et ordurier. C’est une langue bien différente du style classique d’un Virgile ou d’un Ovide. Le traducteur se heurte donc à beaucoup d’obstacles car le roman lui pose presque dans chaque phrase des questions auxquelles il est difficile de répondre et lui tend des pièges qu’il n’est pas facile d’éviter :
« Quand vous traduisez une œuvre comme le Satyricon de Pétrone, vous vous heurtez non seulement à toute sorte de lacunes et de trous mais vous trouvez aussi ce qu’on appelle ‘hapax legomenon’, c’est-à-dire des mots qui n’existent que dans ce texte et nulle part ailleurs. La fréquence de ce genre de mots dans le Satyricon est bien plus grande que dans d’autres textes latins. Et c’est très difficile à traduire parce que vous n’avez pas de point de comparaison. »
Un pont entre l’Antiquité et nous
Malgré toutes ces embûches, le travail minutieux sur la traduction de ce texte vaut largement la peine parce que le roman continue encore au bout de deux millénaires à captiver, à inspirer et à scandaliser les lecteurs. On ne se lasse pas de lire et relire l’histoire des deux jeunes aventuriers Encolpe et Ascylte qui se disputent les faveurs de l’éphèbe Giton et on se délecte toujours à la description du festin orgiaque dans la maison du riche affranchi Trimalchion. La façade majestueuse de la Rome classique s’effondre et derrière on découvre tout un monde qui n’est ni noble ni harmonieux mais où pullule la vie.
C’est entre autres à sa franchise plébéienne avec laquelle il décrit l’autre face de la vie que le roman de Pétrone doit sans doute son éternelle jeunesse. Il reste vivant malgré son état fragmentaire. Et même ce défaut peut avoir des effets positifs. Les lacunes dans le texte peuvent stimuler l’imagination du lecteur et lui permettre d’y projeter sa propre imagination, ses propres visions et ses propres fantasmes. Pour le traducteur Petr Šourek, ce roman est une espèce de pont entre nous et l’Antiquité :
« C’est un roman d’aventures, vous pouvez y apprendre que certaines choses n’ont pas changé même après un temps si long. On peut dire que pendant cette longue période certaines relations sociales, dont par exemple l’attitude vis-à-vis de l’orientation sexuelle, ont changé trois ou quatre fois. Et nous pouvons nous dire aujourd’hui que nous sommes plus proches de la situation de ce temps-là, bien que nous soyons toujours encore plus prudes. Au XIXe siècle, on lisait Homère, on citait Homère, tous les peuples voulaient avoir leur Homère. Je ne pense pas qu’aujourd’hui il soit tout naturel de choisir et de lire justement Homère parmi tous les auteurs de l’Antiquité, mais je recommande de lire Pétrone parce que je pense que c’est un échantillon de l’Antiquité pour notre temps. »