Bibliothèque de l’école latine de Jáchymov : à la Renaissance aussi, les élèves volaient des livres !

L’exposition de la Bibliothèque de l’école latine

Jáchymov, une petite bourgade montagnarde d’à peine plus de 2000 âmes qui s’étend le long d’une route menant à la frontière allemande. Si elle porte aujourd’hui les traces du déclin qui a suivi la ‘ruée vers l’argent’, mais aussi celles des camps de travail forcé que le régime communiste y avait installés, la ville a pourtant connu des jours beaucoup plus glorieux. La Bibliothèque de l’école latine est là pour en témoigner.

L’exposition de la Bibliothèque de l’école latine | Photo: Site officiel de la Bibliothèque de l’école latine

Ouverte depuis janvier 2020 et accessible au public gratuitement et tous les jours, l’exposition de la Bibliothèque de l’école latine illustre la période la plus ancienne et la plus dynamique du développement de Jáchymov. Une période qui a pris fin avec la guerre de Trente Ans. Guide et responsable de l’exposition, Eva Kochová revient sur l’histoire de l’école latine de Jáchymov et de sa bibliothèque :

L’exposition de la Bibliothèque de l’école latine | Photo: Site officiel de la Bibliothèque de l’école latine

« L’école latine de Jáchymov a été fondée en 1519. Dès le début, elle disposait de livres, bien évidemment ; cependant, la première mention de la bibliothèque de l’école remonte à 1540, lorsque le bourgmestre Stefan Hacker a fait don de 50 thalers pour sa fondation. Car la population de Jáchymov accordait beaucoup d’importance à cette bibliothèque, et souhaitait la soutenir, aussi bien par des dons de livres que par des dons financiers. »

Jáchymov | Photo: public domain

Un fonds de bibliothèque trop bien dissimulé

« Par la suite, en 1625, en pleine recatholisation du pays, l’école latine de Jáchymov fut fermée et la bibliothèque – qui contenait de nombreux écrits luthériens – est devenue incommode. Son fonds a donc été mis à l’abri des Jésuites, mais aussi de l’incursion des armées suédoises. Il a été très soigneusement dissimulé dans le grenier de l’hôtel de ville, sous des gravats, de façon aussi discrète que possible, tant et si bien que les livres sont tombés dans l’oubli pendant 250 ans – jusqu’en 1871, date à laquelle ils ont été redécouverts par le futur archiviste de la ville de Cheb, Karl Siegl. »

La mairie et musée de Jáchymov | Photo: Miloš Turek,  Radio Prague Int.

Les chapardeurs du XVIe siècle

Si la bibliothèque latine de Jáchymov n’est pas la seule bibliothèque de cette époque à avoir été préservée dans son ensemble, elle est unique sur plusieurs points : tout d’abord, c’est la seule bibliothèque scolaire à ne pas avoir disparu, car les autres fonds de bibliothèques encore existants appartenaient en général à des nobles. De plus, ayant été dissimulés pendant si longtemps, les ouvrages de Jáchymov ont conservé un attribut dont de nombreux livres de l’époque ont ensuite été privés : leurs chaînes. Eva Kochová :

Eva Kochová | Photo: Zdeněk Trnka,  ČRo

« Au Moyen Age, mettre des chaînes aux livres consistait une façon habituelle de protéger les livres des délocalisations inopportunes, ou autrement dit, d’éviter les vols. Car à l’époque, la valeur de ces livres était très élevée. Les livres enchaînés, que l’on appelle ‘libri catenati’, étaient ensuite fixés aux étagères. Le fonds de la bibliothèque de l’école latine de Jáchymov constitue la plus grande collection de livres enchaînés en Europe centrale. Même si on trouve des collections de ce niveau en Angleterre, en Italie et aux Pays-Bas, bien sûr. »

L’exposition de la Bibliothèque de l’école latine | Photo: Site officiel de la Bibliothèque de l’école latine

Les visiteurs de l’exposition peuvent y admirer quelque cinq manuscrits et 227 volumes contenant 353 ouvrages imprimés. Parmi les manuscrits conservés figurent le plus ancien livre de la collection, un codex en parchemin contenant le texte hébreu de l’Ancien Testament et datant au plus tard du XIIe siècle, ainsi que deux volumes de musique intitulés Cantica sacra de Nikolaus Hermann. Les livres imprimés, quant à eux, datent de 1475 à 1629, et ont tous été imprimés en-dehors des pays tchèques.

L’exposition de la Bibliothèque de l’école latine | Photo: Site officiel de la Bibliothèque de l’école latine

Un fonds divers tant sur la forme que sur… le fond

Georgius Agricola | Photo: Wellcome Collection gallery/Wikimedia Commons,  CC BY 4.0 DEED

En termes de contenu, les livres peuvent être divisés en trois groupes principaux : théologique, humaniste et pratique, abordant des thèmes et des domaines du programme scolaire, mais pas que – ce qui indique que si la bibliothèque était principalement destinée aux élèves de l’école latine de Jáchymov, les fonctionnaires, médecins et autres personnalités de la ville y avaient également accès. D’ailleurs, certains des ouvrages du fonds de la bibliothèque de la ville sont l’œuvre de personnalités étroitement liées à Jáchymov, notamment le médecin et savant Georgius Agricola (1494-1555), l’ecclésiastique et minéralogiste Johannnes Mathesius (1504-1565) ou encore le professeur et compositeur Nikolaus Hermann (1486-1561).

Le fonds de la bibliothèque était composé principalement de livres offerts, les donateurs faisant en général apposer un ex-libris présentant leur nom ou leurs initiales sur la reliure de l’ouvrage. Par ailleurs, le fait que les reliures sont identiques indique qu’il y avait bien un relieur à Jáchymov.

Photo: Site officiel de la Bibliothèque de l’école latine

Essor et déclin de Jáchymov

L’histoire de l’école latine et de sa bibliothèque est d’ailleurs indissociable de celle de la ville : créée trois ans seulement après la découverte du premier filon d’argent, l’école répondait aux besoins culturels et éducatifs propres à une ville à la prospérité et au développement démographique croissants. Enrichie par les dons des habitants des classes supérieures, la collection a vu son élargissement ralenti en même temps que la régression économique de la ville. Eva Kochová rappelle brièvement l’histoire de Jáchymov du début du XVIe siècle au début du XVIIe siècle :

L’exploitation de l’argent à Jáchymov | Photo: Deutsche Fotothek/Wikimedia Commons,  public domain

« En 1516, de l’argent a été trouvé pour la première fois à Jáchymov, ce qui a déclenché une véritable ‘ruée vers l’argent’. Après seulement quelques années, Jáchymov comptait déjà 18 000 habitants, ce qui en faisait une grande ville pour l’époque, puisque Prague comptait alors 30 000 habitants, et que Dresde, qui n’est pas très loin, n’avait que 3000 habitants. Jáchymov était donc la deuxième ville la plus importante du royaume de Bohême. »

« Mais lorsque l’argent a commencé à s’épuiser, les mineurs ont quitté la ville. De plus, la recatholisation en Bohême a donné lieu à de nouveaux conflits armés dans notre région, qui s’est largement dépeuplée. »

Des mines riches en métaux…

Par la suite, l’industrie minière de la ville s’est réorientée vers l’étain, le cobalt, le nickel, le mercure, le fer et aussi l’uranium. C’est d’ailleurs en étudiant un minerai d’uranium de Jáchymov que Marie et Pierre Curie ont isolé le polonium et le radium, des découvertes sur la radioactivité qui ont valu à la célèbre chimiste franco-polonaise le Prix Nobel en 1911.

L’ouverture des bains au radon de Jáchymov date également de cette époque, et l’établissement est toujours en activité, l’élément chimique étant particulièrement réputé pour ses bienfaits sur l’appareil locomoteur, mais aussi sur le système nerveux et le système respiratoire.

Jáchymov | Photo: Igor Budykin,  Radio Prague Int.

Exploitées jusqu’en 1962, les mines d’uranium ne sont pas associées qu’à des événements positifs : à partir de la fin des années 1940 jusqu’au début des années 1960, au plus fort de la répression communiste en Tchécoslovaquie, elles ont aussi servi de camps de travail forcé pour plusieurs dizaines de milliers de prisonniers politiques du régime soviétique. Leur dur labeur dans des conditions de travail et de vie inhumaines a produit quelque 8000 tonnes de métal utilisées pour le programme nucléaire soviétique.

Rayonnante ou sombre, toute l’histoire de Jáchymov est présentée dans le musée local de la Monnaie royale.

Au cœur des monts Métallifères

La mine à Jáchymov | Photo: Miloš Turek,  Radio Prague Int.

Si la ville n’a jamais retrouvé sa gloire d’antan, ni le rayonnement culturel dont témoigne la collection de la bibliothèque de l’école latine, et si les nombreuses bâtisses délabrées et désaffectées de sa rue principale laissent le visiteur dubitatif, Jáchymov peut tout de même séduire ceux qui préfèrent les localités authentiques aux communes proprettes et pimpantes qui donnent l’impression de musées en plein air. Et Eva Kochová de donner quelques recommandations touristiques supplémentaires à ceux qui songeraient à faire un tour à la bibliothèque de l’école latine de Jáchymov :

« Les galeries des mines méritent d’être vues, et notamment la plus ancienne mine toujours en activité. Il y a également les célèbres bains au radon, dont l’eau est la plus concentrée au monde. Et puis, bien évidemment, nos magnifiques monts Métallifères, qui offrent une infinité d’expériences diverses et variées ! »

Jáchymov | Photo: Devilsanddust,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0
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