Héros controversés de la Guerre froide, les frères Mašín sur grand écran
Ce jeudi sort en salles Bratři (Les frères) le biopic très attendu consacré aux frères Mašín qui, en 1953, ont décidé de fuir la Tchécoslovaquie les armes à la main. Héros pour certains, assassins pour d’autres, la question de leur distinction a longtemps fait débat au sein de la société tchèque.
Ce mois d’octobre, 70 ans se sont écoulés depuis que les frères Mašín et trois autres membres de leur groupe de résistants ont franchi la frontière tchécoslovaque avec pour objectif revendiqué de « rejoindre l’armée américaine et de combattre le communisme ». Fils d’un officier de l’Armée tchécoslovaque engagé dans la résistance et exécutés par les nazis en 1942, Josef et Ctirad ont suivi l’exemple de leur père. Décorés par le président tchécoslovaque en 1945 pour le courage dont ils ont fait preuve pendant la guerre, alors même qu’ils étaient mineurs, ils entrent dans l’opposition contre le régime totalitaire imposé par les communistes dès 1948.
Agés de vingt ans à peine, les Mašín créent avec quelques amis un groupe clandestin qui procède à différents sabotages entre 1951 et 1953, le tout, aux pires heures de la terreur stalinienne. Cinq jeunes hommes, les deux frères mais aussi Milan Paumer, Václav Švéda et Zbyněk Janata, vont décider de réaliser ce que peu ont réussi à faire : traverser le rideau de fer et rejoindre le secteur américain de Berlin.
C’est entre autres pour la dimension dramatique, cinématographique de leur cavale, longue et sanglante, que le réalisateur Tomáš Mašín (au lien de parenté lointain, ndlr), a souhaité porté à l’écran leur histoire, un projet pour lequel il a dû patienter dix ans avant de pouvoir le mettre en œuvre :
« Je ne sais pas si c’était un besoin, ou peut-être que si, puisque j’ai su attendre aussi longtemps. Après avoir lu le livre d’Oto Rambousek sur leur destin, j’y ai vu une histoire dramatique puissante, indépendamment de tout lien de parenté, un vrai tissu cinématographique avec des personnages qui posent des questions sur la manière dont nous, nous agirions si nous étions confrontés à la même situation que la leur. Qu’est-ce qui a été le déclencheur de ce qu’ils ont fait ? Pourrions-nous nous-mêmes nous lancer dans une telle aventure en sachant qu’elle aurait des conséquences extrêmement graves, qu’il s’agisse du risque de perdre la vie ou l’impact sur nos proches ? »
Dans la première partie du film, le réalisateur a choisi de poser le contexte familial dans lequel évoluent les deux frères : on y suit donc les Mašín, notamment leur destin pendant la guerre, marqué par l’engagement de leur père et de leur mère dans la Résistance, puis l’après-guerre, autant d’aspects qui visent à expliquer la décision des deux frères de combattre le régime par les armes. La seconde partie se concentre sur le passage de la frontière et leur fuite avec 20 000 soldats à leurs trousses, à travers la RDA et jusqu’à Berlin-Ouest.
Que ce soit pendant leurs préparatifs, où ils ont pris d’assaut des bureaux de police et une voiture transportant la paie des ouvriers d’une usine, tuant trois personnes au passage, ou au cours de leur cavale d’un mois, les frères Mašín et leurs acolytes laissent plusieurs morts dans les rangs des forces de l’ordre.
Tous n’ont pas trouvé leur chemin jusqu’à l’Ouest : deux membres ont été arrêtés et exécutés en Tchécoslovaquie, tandis que les frères Mašín et leur ami Milan Paumer sont parvenus à rejoindre Berlin Ouest, pour finalement s’installer aux Etats-Unis. Leur recours à la force et aux armes n’a cessé de diviser la société tchèque jusqu’à nos jours. Ainsi, se pose la question également du public que le réalisateur voulait toucher :
« Je pense que mon film s’adresse au grand public. Pendant le tournage, je me suis dit plusieurs fois, avec le scénariste, que je voulais faire un film pour quelqu’un qui ne connaît pas du tout cette histoire. Je pense notamment au public des jeunes qui connaissent peut-être cet épisode de leurs cours d’histoire mais de manière très superficielle. Nous voulions donc que quelqu’un qui ignore cette histoire puisse s’identifier en partie aux personnages, les comprendre et saisir l’atmosphère de l’époque. Par contre ma ligne rouge était claire : je ne voulais pas intégrer au film trop de politique, ce qui est souvent le cas dans les films historiques sur cette époque. »
C’est un jeune comédien, Jan Nedbal, qui incarne Ctirad Mašín :
« Malheureusement, je n’ai pas pu rencontrer Ctirad Mašín qui est décédé il y a quelques années. Mais j’ai eu la chance de connaître Josef Mašín : nous nous sommes rencontrés à Dresde, puisqu’il refuse de se rendre en Tchéquie. A 90 ans, il était en pleine forme et nous a montré les endroits par lesquels ils sont passés. C’était incroyable. J’admire leur persévérance et intransigeance. Ils étaient persuadés que les communistes incarnaient le mal. (…) Avec mon collègue Oskar Hes nous avons dû faire beaucoup d’exercices physiques avant le tournage, pour ressembler aux frères Mašín qui étaient très sportifs à l’époque. »
Début septembre, l’Académie tchèque du cinéma et de la télévision (ČFTA) a choisi le film Bratři de Tomáš Mašín pour concourir aux Oscars dans la catégorie du meilleur film étranger. La liste des 15 films étrangers sélectionnés pour les Oscars sera annoncée cette année le 21 décembre et les nominations seront annoncées le 23 janvier 2024. Tomáš Mašín évoque cette sélection avec recul :
« Je suis un peu gêné : d’un côté je suis content, bien sûr, parce que cela va aider le film à trouver des spectateurs. Mais d’un autre côté, je rappelle que ce n’est pas une nomination, le film est simplement envoyé pour concourir aux Oscars. Il sera confronté à des films autrement plus importants. Je pense qu’il y a peu de chances de succès, mais évidemment je serai content au moins de la publicité que ça lui fera à l’étranger. »
Hasard du calendrier, en-dehors du biopic, on reparle beaucoup par ailleurs de la famille des Mašín ces derniers temps, en raison des spéculations sur la possibilité que leur sœur, Zdena Mašínová, puisse se voir remettre une distinction d’Etat à l’occasion de la fête nationale, ce samedi 28 octobre.