Athlétisme : le dernier pas de valse de la légendaire Olga Fikotová
Une légende du sport tchèque s’est éteinte vendredi dernier, 12 avril, aux États-Unis, son pays d’adoption. Unique championne olympique tchécoslovaque aux Jeux de Melbourne en 1956, l’ancienne lanceuse de disque Olga Fikotová est décédée à l’âge de 91 ans. Le point final d’un destin hors du commun.
Qui imaginerait que tant de grâce et de légèreté puisse se cacher dans l’exécution d’un lancer de disque ? Et pourtant, comme elle l’avait un jour expliqué dans une émission de la Télévision tchèque, c’est sur l’air du Beau Danuble bleu qu’Olga Fikotová a appris à balancer les bras et à exécuter la rotation d’un tour et demi qui précède le lancer ; l’apprentissage d’une technique qui, au début des années 1950, a fait de l’excellente handballeuse, basketteuse et volleyeuse qu’elle était jusqu’alors une discobole.
« À l’époque, je jouais au basket, d’abord au Slavia puis ensuite au Sparta, et comme j’étais étudiante, je devais aussi jouer pour l’équipe de mon université. Mais un jour, j’ai fait une remarque à l’entraîneur, cela ne lui a pas plu, il m’a suspendue pour six mois et c’est comme ça que j’ai décidé de faire autre chose. Otakar Jandera, célèbre entraîneur d’athlétisme qui utilisait des méthodes innovantes, en voyant mes longs bras et mes longues jambes, m’a alors dit qu’il ferait de moi une lanceuse de disque. Et pour m’apprendre la technique de lancer, quand nous nous entraînions dans le parc de Stromovka (réserve naturelle aujourd’hui encore très prisée des Pragois), il me passait sur un haut-parleur Le Beau Danube bleu de Strauss. La musique m’aidait à acquérir le rythme de la rotation dont mon entraîneur disait que c’est celui d’un pas de danse. C’est donc comme ça que j’ai appris non seulement à lancer le disque mais aussi à danser la valse parce qu’on répétait les pas pendant des heures. Encore aujourd’hui, cinquante ans plus tard, même avec un genou en plastique, je sais encore danser la valse comme si c’était hier... »
Cette anecdote, parmi beaucoup d’autres, Olga Fikotová, née à Most en Bohême du Nord en 1932, l’avait racontée, dans un excellent tchèque qu’elle n’a jamais cessé de cultiver, malgré le temps et la distance, lors de son grand retour dans son pays d’origine, en 2006. Près de cinquante ans après avoir quitté la Tchécoslovaquie pour les États-Unis, invitée par le Comité olympique, la championne de Melbourne, seule médaillée d’or tchécoslovaque des Jeux de 1956, avait alors retrouvé à Prague, lors d’une rencontre riche en émotions, les sportifs tchèques qui, comme elle, avaient participé à cette formidable aventure humaine à l’autre bout du monde.
Digne d’un film d’Hollywood, l’histoire d’Olga Fikotová, qu’elle même a retracée dans une autobiographie intitulée « Les Anneaux du destin » (« Rings of destiny » - « Okruhy osudu », inédit en français), est d’abord celle d’une sportive aux multiples talents. Deux ans seulement avant son sacre, donc, au disque à Melbourne, avec un lancer à 53,69 m (nouveau record olympique à l’époque), l’étudiante en médecine qu’elle était avait ainsi déjà remporté une médaille d’argent avec la Tchécoslovaquie au championnat d'Europe de basket.
D'une grande athlète aussi qui, cette fois sous les couleurs des États-Unis, a ensuite participé à quatre autres olympiades, jusqu’à Munich en 1972, où l’émigrée d’origine tchécoslovaque, alors déjà mère de quatre enfants, avait même été la porte-drapeau de la délégation américaine lors de la cérémonie d'ouverture. Tout un symbole en pleine guerre froide... « C’était quelque chose d’immense... Un grand honneur ! Oui, un grand honneur... », répétait-elle à l’envi en appuyant sur les mots.
Un honneur qu’elle devait à son histoire d’amour avec Harold Connolly, un lanceur de marteau américain, lui aussi sacré à Melbourne, dont elle avait fait la connaissance précisément lors de son séjour en Australie et avec lequel elle s’était mariée à Prague en 1957, avec les époux Emil et Dana Zátopek pour témoins et sous les yeux de près de 40 000 personnes.
Dans l’impossibilité, malgré son envie, de continuer à représenter la Tchécoslovaquie dans les compétitions internationales pour d'évidents motifs politiques, Olga Fikotová devenue Connolly avait alors rejoint à Boston son mari, ce « fasciste américain » selon le régime communiste, à la fois pour y poursuivre sa carrière sportive et ses études de médecine. Après avoir obtenu la nationalité américaine en 1960, elle avait représenté son nouveau pays dès les Jeux de Rome quelques mois plus tard.
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Apparue très souriante et sans ressentiment lors de son émouvant retour en République tchèque en 2006, alors qu’elle était âgée de 74 ans et où elle avait retrouvé sa grande amie Dana Zátopková, Olga Fikotová avait alors confié ce que représentaient, à ses yeux, ces fameux « anneaux du destin » :
« Il y a deux Jeux olympiques. Il y a d’abord le temps de la compétition sportive, et j’espère que ces Jeux continueront d’être organisés pendant longtemps encore parce que le monde entier s'y retrouve. Mais il y a aussi les Jeux olympiques qu’est notre vie et dont nous sommes tous des participants. Quoi que nous fassions, que nous buvions de l’eau ou respirions l’air, chacun de nos gestes, chacune de nos décisions a des conséquences pour la planète. J’enseigne aujourd’hui l’écologie et je les considère comme mes Jeux olympiques, la dernière compétition à laquelle je participerai jusqu’à mon dernier souffle. »
Un dernier souffle qu’Olga Fikotová a donc poussé vendredi dernier, comme un ultime pas de valse avant de lancer son disque vers le ciel.