Cinéma : le festival de Karlovy Vary rend hommage à l’Ukraine
La 58e édition du festival international du film de Karlovy Vary se poursuit toute cette semaine. La guerre que l’Ukraine est contrainte de continuer pour résister à l’envahisseur russe est encore cette année l’un des sujets essentiels de ce rendez-vous incontournable du 7e art dans la région d’Europe centrale et orientale.
Engagé dans l’armée ukrainienne, le réalisateur Oleh Sentsov est venu en personne présenter son documentaire intitulé Real, après avoir rencontré le président de la République tchèque Petr Pavel dans la ville thermale.
Serhij Loznitsa a lui aussi marqué le public tchèque avec son film Invasion. Un autre documentaire consacré à l’Ukraine, français celui-ci, était présenté cette semaine. Son auteur, parti sur les traces de son grand-père ukrainien, est au micro de RPI.
Extraits
Antonin Peretjatko : "J'ai réalisé un long-métrage, enfin un petit long-métrage de 62 minutes, qui s'appelle Voyage au bord de la guerre qui passe en ce moment à Karlovy Vary hors compétition."
Qu'est-ce que ça représente pour vous d'être avec ce film ici cette semaine ?
"C'est assez inattendu pour un film tourné de manière un peu incongrue en 16 mm avec une caméra qui aujourd'hui n'est plus utilisée et qui s'appelle la Bolex. Assez inattendu d'être à Karlovy pour ce film qui parle de l'Ukraine, de l'exil de manière générale et de la manière aussi dont la vie peut vraiment changer de cap du jour au lendemain avec l'arrivée de la guerre. Que le film soit diffusé en Europe de l'Est - enfin dans ce qui s'appelait l'Europe de l'Est - c'est quelque part un endroit où effectivement le film trouve sa place et de manière tout à fait naturelle."
Si j'ai bien compris, vous ne parlez pas ukrainien. Vous le comprenez un petit peu ou pas du tout?
"Alors effectivement le film cette particularité de d'avoir été fait par des gens qui ne parlaient pas Ukrainiens. Donc ça pose forcément une réalisation particulière d'aller dans un pays dont on ne parle pas la langue ou du moins, on la parle grâce à Google Traduction donc ça veut dire que ce sont des échanges de personne à personne qui se font à la fois par des gestes, par une expression de visage, des mots fait de des phrases faites de bric et de broc et des traductions impersonnelles comme seule une machine peut le faire. C'est vrai que c'est nouveau et que ça permet également de parfois de pouvoir communiquer d'une manière impossible avant une intervention de machines."
"Le film aussi utilise ces défauts de traduction, ces problèmes de traduction en étant aussi un film fait de manière assez peu orthodoxe. Tourné en 16 mm, c'est un documentaire qui n'est pas réaliste. C'est à dire que c'est presque c'est un documentaire impressionniste, qui utilise la pellicule pour ce qu'elle est avec son grain pour rendre des émotions, rendre aussi une façon de penser."
Dans quelle mesure est-ce que c'est différent de se rendre en Ukraine avec un patronyme comme le vôtre ?
"Par l'accueil. Directement là-bas, c'est à dire que je n'imaginais pas que ça allait m'ouvrir autant de portes finalement puisque quelque part il y avait une légitimité à filmer qui n'était pas de l'ordre uniquement journaliste ou opportuniste."
Peretjatko - vous l'avez prononcé à la française en vous présentant tout à l'heure...
"Tout à fait oui. C'est vrai que maintenant, ça fait quasiment 100 ans que mes grands-parents - maintenant décédés - ou en tout cas que mon grand-père est arrivé en France donc c'est vrai que c'est un nom qui a changé. On change de pays quand on part en exil, c'est aussi ce que dit le film, c'est à dire qu'on est amené à changer soi-même et que le film n'est pas que une recherche de mon origine. Je pense que si on est obsédé par la recherche de ses origines finalement on devient étranger partout. C'est à dire que pour moi l'Ukraine, c'est un pays forcément où je me sens étranger. Je ne parle même pas la langue. Je pars à la recherche de l'endroit où vivait mon grand-père mais c'est un village il y a 100 ans donc ça n'a aucun sens en fait. Enfin, même si je retrouvais l'endroit il est probable que ça n'est plus rien à voir, au-delà de la du fait qu'il y ait la guerre dans le pays."
"Pour revenir à mon nom de famille, c'est un nom qui est proche de Lviv, il y a plein de gens en fait qui s'appellent Peretjatko là-bas donc c'est vrai que dès que je me présentais les gens disaient Ah oui, j'en connais un, blabla et ça c'est vrai que ça permettait aussi de tout de suite créer un lien, une conversation qui commence."
"C'est toujours ce genre de choses qu'on peut rechercher quand on fait un documentaire, d'avoir une accroche avec les gens afin qu'ils puissent parler, d'autant que comme là j'étais en 16mm il y a la complexité aussi de filmer. La pellicule n'est pas du tout infinie d'autant plus qu'avec cette Bolex, ce sont des plans qui font 20 secondes. Donc c'est complexe de faire les interviews..."
"Peut-être que les gens aussi avaient un discours un peu moins formaté parce que la difficulté aussi quand on interroge des gens et quand on va faire un documentaire, c'est que forcément ils savent qu'ils sont filmés. En tout cas en ce qui me concerne. Donc ils se mettent eux-mêmes en scène quelque part, c'est à dire qu'ils vont eux-mêmes produire ce qu'ils veulent qu'on voit d'eux. En ayant une caméra particulière qui fait un bruit de moulin à café, donc qui peut déstabiliser aussi..."
Est-ce que vous avez eu peur à un moment pendant le tournage ?
"Oui à un moment au début en fait, j'étais en repérage à la gare de Lviv. Je ne filmais pas, la caméra était dans mon sac, j'avais un Zoom H2 pour le son, je n'enregistrais pas et il y a des gens de la sécurité qui sont venus me vor et m'ont questionné de manière un petit peu agressive et qui étaient absolument persuadés que j'enregistrais le son. Il y avait une alerte donc on était dans les sous-sols. Le gars est passé plusieurs fois et était persuadé que j'enregistrais du son... J'ai cru que j'allais passer vraiment un sale quart d'heure, mais en fait dès le lendemain on avait toutes les autorisations."
Avec le chat on prend l'âme de la maison, l'âme de ce qu'on a quitté.
"Il y avait cette atmosphère dans la gare deux mois après le début de la guerre avec énormément de gens avec des paquets qui étaient complètement perdus. Enfin, c'était des gens qui fuyaient la guerre et ce qui m'avait paradoxalement le plus surpris, c'était les gens qui arrivaient avec des animaux. Ils avaient leur chien, leur chat, leur hamster. Des gamins de 8 ans qui se trimbalaient avec leur hamster dans une cage et vraiment ça s'arrachait les tripes. Je ne pensais pas que que ce genre de choses pouvaient vraiment être si... émotionnelles."
"C'est pour ça que j'ai mis dans le film cette phrase de Jean Cocteau qui dit 'Le chat, c'est l'âme de la maison', parce que finalement on a vu beaucoup de gens qui fuyaient les combats avec leur chat et je comprends ça, c'est à dire que c'est une volonté aussi de vouloir ramener quelque chose de la maison. Avec le chat on prend l'âme de la maison, l'âme de ce qu'on a quitté."