80 ans depuis la mort d’Ivan Španiel, héros tchécoslovaque engagé dans les Forces Françaises Libres
Ancien de la section tchécoslovaque du Lycée Alphonse Daudet à Nîmes, fils du sculpteur Otakar Španiel, le destin du lieutenant Ivan Španiel (1918-1944) rejoint celui de nombreux soldats tchécoslovaques engagés sur le front de l’Ouest pendant la Deuxième Guerre mondiale. A la différence près que contrairement à la plupart de ses contemporains, lui ne s’est pas engagé dans l’armée britannique mais dans les Forces Françaises Libres, combattant en Afrique, participant au Débarquement en Normandie, puis à la Libération de Paris et de Strasbourg, avant de tomber le 30 novembre 1944 près d’Erstein en Alsace, touché des éclats de grenade. Ancien militaire, Christophe Cheneau s’est intéressé à son parcours et est à l’origine du projet de restauration de la croix qui orne sa tombe au cimetière de Vyšehrad à Prague. Au micro de Radio Prague Int., il est revenu sur la destinée trop tôt interrompue d’Ivan Španiel.
« Nous nous sommes installés à Prague il y a six ans et il se trouve que je cherchais la tombe du compositeur Bedřich Smetana au cimetière national de Vyšehrad. Ayant finalement trouvé la tombe de Smetana, mon regard a été attiré par une autre. Je suis un ancien militaire et j’ai tout de suite repéré une croix avec un liséré bleu blanc rouge. J’ai vu qu’il était inscrit en français « lieutenant Ivan Španiel, 3e RAC ». Je savais donc que cela voulait dire : Troisième régiment d’artillerie coloniale. J’ai voulu en savoir plus et j’ai découvert qu’il avait fait partie de la division Leclerc. J’ai contacté le régiment pour leur demander s’ils savaient qu’ils avaient un de leurs anciens qui reposait à Vyšehrad. Le régiment était très intéressé, voulait faire quelque chose pour Ivan Španiel et c’est comme ça qu’est née l’idée d’honorer ce jeune homme tout en cherchant à mieux connaître son histoire. »
Et en effet il y a eu un hommage officiel il y a deux ans en 2022 dont on va reparler. Mais avant cela, j’aimerais revenir sur le parcours et la vie d’Ivan Španiel. Il est le fils du sculpteur Otakar Španiel et le neveu d’Oldřich Španiel qui est un ancien légionnaire tchécoslovaque engagé en France et en Russie pendant la Première Guerre mondiale. On peut dire qu’Ivan Španiel naît quasiment avec la Première République tchécoslovaque puisqu’il voit le jour en juillet 1918. En 1938, il a à peine vingt ans.
« Il est issu d’une famille qui est connue et il a fait des études de médecine. Il est finalement bien malgré lui rattrapé par la guerre. La Tchécoslovaquie est envahie par l’Allemagne en 1939 et les armées tchécoslovaques ne peuvent pas combattre. La France reste encore une sorte d’Eldorado et beaucoup d’officiers et militaires tchécoslovaque la rejoignent pour continuer le combat. Pourtant, la France réservera un accueil assez mitigé à ces soldats et ne répondra pas de manière très favorable, ne voulant pas créer une armée tchécoslovaque sur le territoire. Nombre d’entre eux seront orientés vers la Légion étrangère. Ivan Španiel sera dans cet état d’esprit et s’engagera comme soldat dans l’armée française. »
En effet il y a beaucoup de Tchécoslovaques qui se sont dirigés en premier lieu vers la France. Il y a quand même eu aussi la création à Agde de cette sorte d’embryon d’armée tchécoslovaque mais évidemment, nombre d’entre eux s’engagent dans l’armée française. Sur notre antenne, nous avons évoqué autrefois le fait que beaucoup de ces Tchécoslovaques ont participé à la bataille de France, notamment en tant que pilotes qui, après la défaite, rejoindront les fameux escadrons tchécoslovaques créés par la RAF. Une grande partie de ces soldats s’engagent dans l’armée britannique par la suite, mais pas Ivan Španiel. Pourquoi ?
« Je n’ai pas pu le déterminer mais je pense qu’ayant fait ses études secondaires en France, puis poursuivi des études de médecine à Paris, il avait une certaine appétence pour la France et c’est la raison pour laquelle il a de suite rejoint l’armée française. Lorsque la France cesse le combat, Ivan Španiel le vit comme une seconde défaite, après la première blessure qu’a représentée l’invasion de la Tchécoslovaquie. Celle de la France est la blessure de trop : il décide de continuer le combat, s’exfiltre par le Portugal et rejoint l’Angleterre. »
Il faut rappeler ici que c’est un très jeune homme : il a 20 ans en 1938 donc au moment de la débâcle, il a 22-23 ans mais est déterminé. Que se passe-t-il en Angleterre pour lui ?
« Il prend contact avec les Forces Françaises Libres qui sont en train de se constituer. On avait là un jeune homme qui avait la ferveur de continuer à servir, un jeune Tchécoslovaque francophone qui s’était déjà fait remarquer car quand il a rejoint l’Angleterre, il n’était plus soldat mais déjà sous-officier. Ivan Španiel a acquis une certaine expérience dans l’artillerie et bien évidemment il est accueilli à bras ouverts par les Forces Françaises Libres, où on continue à le former. »
« Ne déposer les armes que lorsque nos belles couleurs flotteront sur la cathédrale de Strasbourg »
On notera aussi qu’il a un parcours assez atypique par rapport à tous ces soldats tchécoslovaques engagés à l’ouest car lui va être envoyé en Afrique…
« Il va se retrouver en Afrique et rejoindre la fameuse division Leclerc en tant que sous-lieutenant. Il fait toute l’épopée Leclerc avec les combats en Libye au Tchad, participe à des actions d’éclat et sera d’ailleurs cité lors d’une de ses actions au combat. Ivan Španiel a l’expérience du feu, il a l’expérience du commandement or dans le contexte de l’époque, avoir de jeunes cadres expérimentés c’est une vraie richesse pour la division Leclerc. Il sera présent lorsque Leclerc prêtera le serment de Koufra où il jure de ne déposer les armes que lorsque nos belles couleurs flotteront sur la cathédrale de Strasbourg. Ivan Španiel est présent et la suite montrera que Leclerc a tenu son serment. »
Ivan Španiel participe donc à cette fameuse épopée Leclerc : on voit qu’il est de tous les jalons importants de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale puisqu’on le retrouve en train de débarquer à Utah Beach en Normandie en août 1944…
« Il quitte l’Afrique : il rembarque au Maroc et repart en Angleterre où il se prépare au Débarquement. Il débarque en effet à Utah Beach et participe donc à la bataille de Normandie, puis participe à la libération de Paris. Quel destin ! Pendant la libération de Paris, il sera même l’officier de tir qui appliquera des tirs proches de l’aéroport du Bourget empêchant en cela une contre-attaque allemande. Il joue donc un rôle majeur. »
Dans la lignée du serment de Koufra, Ivan Španiel se retrouve dans les Vosges puis, à Strasbourg…
« Il participe aux combats dans les Vosges jusqu’à Strasbourg où il participera à la libération de la ville. Il meurt atteint par un tir de contre-batterie allemande quelques jours après, à Erstein où une des rues porte aujourd’hui le nom d’Ivan Španiel. »
En effet. Mais que se passe-t-il avec sa dépouille à ce moment-là ? Comment rentre-t-elle en Tchécoslovaquie pour se retrouver au cimetière de Vyšehrad ?
« Sa dépouille rentre en 1947 en Tchécoslovaquie, me semble-t-il. Elle est enterrée dans le caveau familial et une croix y est apposée. C’est donc il y a quelques années que j’ai découvert cette croix et que j’ai essayé de mettre en œuvre ce projet mémoriel. »
Honorer la mémoire d’Ivan Španiel
Peut-on revenir sur votre initiative de faire restaurer la croix de la tombe d’Ivan Španiel ?
« En découvrant son parcours, je me suis dit qu’on ne pouvait pas laisser cette croix en l’état et qu’il fallait vraiment qu’on honore la mémoire à ce jeune homme. Je suis administrateur national au sein de la Médaille militaire et j’ai j’ai présenté ce projet au conseil d’administration qui m’a suivi à 100 % sur ce projet. La croix était en effet en très mauvais état et la question se posait de savoir si on devait la changer ou la réparer. J’ai trouvé un mécène qui m’en a fait une à l’identique à l’identique. Puis, il fallait trouver les descendants… »
Vous avez retrouvé la famille d’Ivan Španiel…
« Je suis aussi membre du Souvenir français de Prague et je me suis appuyé dessus pour retrouver la famille : huit personnes ont répondu présentes. Nous avons ensuite organisé la cérémonie : j’avais même contacté le chef d’Etat-major de l’armée tchèque puisque dans sa biographie j’avais vu qu’il avait servi en Bosnie comme moi. Il m’a répondu qu’il ne pourrait être présent, mais qu’il enverrait son adjoint. On a donc eu le numéro 2 de l’armée tchèque présent à cette cérémonie, l’ambassade de France évidemment et toutes les associations patriotiques qui ont fait le déplacement : le Souvenir français, la Société nationale d’entraide de la médaille militaire et l’Union nationale des combattants. Cerise sur le gâteau, nous avons également accueilli le chef de corps du 3ème régiment d’artillerie marine, anciennement 3ème RAC ainsi que trois autres personnalités haut placées du régiment ce qui veut dire que le régime d’Ivan Španiel avait fait le déplacement pour l’honorer au cimetière de Vyšehrad. Le 3e régiment d’artillerie marine avait fait très bien les choses puisqu’il avait ramené aux descendants de la famille Španiel l’historique du régiment. Etait également représentée la fondation Leclerc qui avait puisé dans ses archives et retrouvé le journal de campagne du conducteur d’Ivan Španiel. Il y racontait quelques anecdotes, évoquant la fois où, de nuit, ils s’étaient mélangés sans le faire exprès au sein d’une colonne d’une colonne allemande. Le jour du décès d’Ivan Španiel, son conducteur écrit dans son journal : ‘mon lieutenant est mort, je me cache pour pleurer, il me manque.’ C’était vraiment très émouvant. »
C’est incroyable d’avoir eu accès à ce document, ce sont les derniers moments de ce jeune homme…
« Oui, et on a voulu aller jusqu’au bout du projet : ayant changé la croix, la famille a accepté que je rapporte la croix d’origine au 3e régiment de l’artillerie marine qui se trouve dans le sud de la France. Aujourd’hui cette croix est dans la salle d’honneur du régiment. »