Naběračka ou šufánek ? Les jeunes Tchèques veulent sauver les dialectes de leurs grands-parents
« Calta, štrycle, štědrovačka, štědrovnice, vandrovnice » : chaque région tchèque avait autrefois son nom pour désigner la « vánočka », soit la traditionnelle brioche tressée de Noël. Apparus dès le XIIe siècle, les différents dialectes de la langue tchèque sont de moins en moins parlés, notamment au cours des cent dernières années. Pour sauvegarder le patrimoine linguistique du pays, les chercheurs de l’Académie tchèque des Sciences font appel aux enfants et adolescents âgés de 10 à 19 ans : ils recueillent des enregistrements parlés en dialectes tchèques et moraves dans le cadre d’un projet inédit lancé il y a deux ans.
Le collégien Filip Konrád a rendu visite à Božena Černá, 92 ans, une locutrice native de la région de Slovácko, dans le sud-est de la Moravie. La vieille dame qui a vécu toute sa vie dans la commune de Lanžhot, près de Břeclav, lui a décrit la célébration d’un mariage typique de cette région limitrophe de l’Autriche et de la Slovaquie.
Filip s’intéresse à toutes les facettes de la culture locale. Joueur du cymbalum, instrument à cordes frappées qui fait partie intégrante de la musique morave, il voudrait un jour enseigner les langues étrangères ou le tchèque. D’où son intérêt pour le projet lancé par les spécialistes en dialectologie de l’Académie des Sciences. Pour la deuxième année consécutive, les élèves de collèges et lycées de toute la Tchéquie peuvent leur envoyer le nombre illimité d’enregistrements d’une durée minimum de dix minutes. L’objectif est de recueillir les propos de leurs grands-parents, d’autres membres de leurs familles ou des amis. En 2024, 64 élèves ont participé à ce concours où ils peuvent gagner des prix symboliques. Ils ont recueilli 114 enregistrements à travers le pays, d’une durée totale de plus de 27 heures.
Les entretiens ont porté sur des sujets différents : les coutumes et traditions, mais aussi sur la vie dans l’ancienne Tchécoslovaquie et même les événements historiques de 1968 et 1989. Ce matériel sonore peut être consulté sur le site www.jamap.cz où il sert de base pour créer une carte interactive des langues régionales et dialectes de la Tchéquie.
Une des auteurs du projet, Marta Šimečková fait partie de la petite l’équipe de onze dialectologues de l’Académie des Sciences, basée à Brno, la seule équipe de recherche en Tchéquie à se consacrer à l’étude et à la sauvegarde des dialectes de la Bohême, de la Moravie et de la Silésie. Selon elle, les enregistrements collectés par la jeune génération qui, de plus, est à l’aise avec le numérique, sont très précieux :
« Par exemple, les propos de Mme Černá recueillis par Filip sont très riches du point de vue linguistique. On y trouve notamment la prononciation spécifique du ‘L’ qui est typique pour la région de Slovácko. Ce qui est le plus intéressant, c’est le mot ‘gugla’ qu’elle emploie pour désigner le gâteau connu sous le nom de ‘bábovka’. C’est la première fois que ce mot apparaît dans notre base de données. »
« Les régions les plus intéressantes du point de vue dialectologique se trouvent évidemment en Moravie. Les dialectes se sont également conservés dans le sud-ouest de la Bohême, dans la région de Chodsko, ou encore dans le nord-est du pays, c’est-à-dire dans les régions frontalières. Evidemment, le dialecte du nord de la Moravie est très particulier, puisqu’il est fortement influencé par le polonais et l’allemand. »
Les linguistes tchèques travaillent systématiquement à la sauvegarde des dialectes depuis les années 1950. A présent, leurs archives contiennent plus de 1700 enregistrements historiques. Celles-ci seront donc complétées et enrichies par les nouveaux enregistrements recueillis par la jeune génération et qui seront par la suite traités par les techniciens. L’objectif est d’apprendre les dialectes à l’intelligence artificielle qui devrait par la suite être capable d’en retranscrire les audios. Enfin, d’ici 2027, l’Académie des Sciences entend publier une toute nouvelle phonothèque consacrée aux dialectes de la Bohême et de la Moravie.