Noël en République tchèque : au cœur de la tradition
C’est au mois de décembre que l’on se rend le mieux compte du paradoxe de la République tchèque qui, si elle est considérée comme le pays le plus athée d’Europe, n’en reste pas moins très attachée à des pratiques traditionnelles héritée de la religion chrétienne. Les fêtes de fin d’année sont ainsi toujours très liées à des pratiques religieuses : pour cette émission spéciale fêtes de fin d’année, nous vous proposons un tour d’horizon des traditions de Noël.
« L’année dernière des collègues sont venus, mais ils sont venus le dimanche alors que nous n’étions pas à la maison. Nous nous sommes retrouvés sans saint Nicolas, et j’ai dû très vite trouver une solution. J’ai essayé d’avoir des places pour le théâtre où il y avait un spectacle avec une distribution de cadeaux par saint Nicolas mais c’était désespérément complet. Je n’ai trouvé aucune petite annonce dans la rue, je ne savais pas vraiment où aller et je ne voulais pas faire venir quelqu’un sans référence à la maison. »
Le spectacle à la maison, une solution de plus en plus adoptée. Pourtant ici encore c’est la course : louer ou acheter un costume de saint Nicolas, de l’ange et du diable coûte souvent très cher, et il faut s’y prendre longtemps à l’avance. En effet les locations de costume de saint Nicolas pour lesquelles il faut compter en moyenne mille couronnes sont souvent complètes dès le mois de septembre. Conséquence de la crise cette année : les ventes et les locations de costumes de l’ange et du diable ont chuté, les familles préférant économiser en réduisant le nombre de personnages.Une tendance qui, si elle se confirme les prochaines années, pourraient bien bouleverser la tradition. L’ange et le diable qui accompagnent saint Nicolas sont en effet des représentations du Bien et du Mal, la première récompensant avec des confiseries, le second punissant d’un morceau de charbon ou d’une pomme de terre. Pour le pédo-psychiatre Jaroslav Šturma, ce tryptique de personnages reste encore aujourd’hui très important, pour l’éducation des enfants d’une part, et pour la culture tchèque d’autre part. On l’écoute.
« La visite de saint Nicolas peut être une part importante de l’éducation des enfants dans la distinction entre le bien et le mal, dans ce qu’ils voient et dans leurs propres comportements. Pour les familles c’est aussi un instrument qui permet d’évaluer et de récompenser les enfants suivant leurs efforts. Je pense que la division des temps dans l’histoire, d’après le calendrier, les périodes liturgiques comme Noël et Pâques est très important car elle aide les individus à s’orienter dans le temps. Ces moments sont importants aussi pour la culture nationale à travers le rassemblement des individus autour de notre culture et de notre langue. »Rassurez-vous cependant : si la tradition de la Saint-Nicolas a été touchée par la crise, elle est loin d’être abandonnée par les Tchèques. Ainsi on a pu voir saint Nicolas toujours accompagné de son fidèle ange et de son méchant diable déambuler le 5 décembre dans les marchés de Noël de tous le pays.
Des marchés de Noël qui pullulent littéralement en République tchèque au mois de décembre. On en dénombre pas moins d’une dizaine à Prague, où toutes les places de la capitale semblent prises d’assaut par les cabanes en bois, les vendeurs d’amandes grillées et les arbres de Noël. Appréciés autant par les Tchèques que par les touristes étrangers qui ne viennent parfois que pour ça, le marché de Noël fait partie intégrante de l’ambiance des fêtes de fin d’année. Comme nous l’explique Hana Tietze, porte-parole des organisateurs du marché de Noël de la place de la Vieille-Ville de Prague, c’est la tradition qui importe avant tout :« Cette année pour la place de la Vieille-Ville nous nous sommes inspirés de nos grand-mères, c’est-à-dire que nous avons réfléchi à ce qu’elles voudraient ramener à la maison pour les fêtes. Nous avons cherché la tradition avec du pain d’épice classique, des décorations, des rubans pour sapins et nous proposons bien sûr des ‘trdelník’ (pâtisserie tchèque, ndlr). Tout est traditionnel et surtout traditionnel des fêtes de Noël tchèques. »
Tout y est : du miel de production locale aux décorations de Noël made in China, en passant par l’artisanat, la nourriture et l’alcool. Impossible en effet de ne pas s’arrêter pour se réchauffer quelques minutes autour d’un stand de vin chaud. Qu’il soit « « svařené » à la cannelle ou bien « medové » et donc mélangé avec du miel, cette boisson est l’une des stars incontestable du marché. Des spécialités qui séduisent les Tchèques comme les étrangers. Pour preuve ce Français de passage à Prague :« Ce qui est très sympa, c’est les décorations et l’ambiance. Moi ce que j’aime c’est la nourriture, par exemple les ‘trdlo’ qui sont très sympathiques. J’aime aussi tout ce qui est jeux en bois et l’ensemble des vêtements traditionnels et chauds qu’on peut trouver ici : des gants, des grosses chaussettes tricotées en laine. Moi ce qui me plaît c’est quand on retrouve vraiment des produits locaux ou des décorations de Noël du pays dans lequel on se trouve, et pas des choses qu’on pourrait trouver partout et dans n’importe quels centres commerciaux. »
Autre attraction typique des marchés de Noël tchèques, les chorales attirent toujours un public nombreux, souvent venu spécialement pour écouter les performances de leurs enfants. La tradition semble cependant s’internationaliser puisque les chants retenus pour les spectacles ne sont pas toujours tchèques, et de plus en plus de chorales viennent de l’étranger se produire sur les marchés. Une preuve s’il en fallait encore une de l’attractivité du pays et de la popularité de cette tradition.
Une tradition qui ravit également les touristes, séduits par l’ambiance des fêtes, les produits régionaux et les petits chanteurs. Pour ce groupe de Français, le début du mois de décembre et de la période des fêtes est le moment idéal de découvrir la magie de la capitale et des traditions tchèques.« Je suis ravi de voir les enfants chanter. Je disais à mes collègues qu’en France on ne voit plus ça. Il fait quand même 0 degré ou -1 et tous les enfants chantent, c’est très beau. Je trouve que Prague à cette période de l’année est beaucoup plus magique, beaucoup plus émouvante donc c’est vraiment un très bon moment pour visiter. »
Les marchés de Noël ne sont d’ailleurs pas seulement l’occasion de profiter des produits traditionnels et d’une ambiance de fête, mais également de se montrer solidaire avec les plus démunis. En effet la période des fêtes est aussi l’occasion de mettre en avant des associations caritatives et sociales. C’est le but du marché de la Saint-Nicolas organisé tous les 5 décembre depuis 2007 par l’association Vize 97 fondée par Václav et Dagmar Havel. Chaque année l’église déconsacrée Sainte-Anne, dont la préservation est assurée par l’association Vize 97, accueille plus d’une dizaine d’associations caritatives, leur donnant ainsi l’occasion de promouvoir leurs actions et de récolter des fonds. Le Centrum Slunečnice, une association d’aide aux adultes handicapés, participait cette année encore au bazar caritatif. Pour la responsable du Centrum Slunečnice Lucie Kádnerová cet événement est très important pour le fonctionnement des associations :« Quand vous achetez quelque chose ici, vous participez au fonctionnement de notre centre. Avant nous proposions surtout des petits objets plutôt amusant, pour faire plaisir, mais les besoins en financement de nos activités sociales sont de plus en plus grands. Depuis l’année dernière nous essayons de proposer plus de produits pour gagner en un jour de quoi assurer une partie de notre fonctionnement. »
Encore un exemple parmi tant d’autres de marché solidaire : celui de la Maison Sue Ryder à Smíchov le 8 décembre. Les artisans du quartier se sont réunis le temps d’une journée pour proposer leurs produits et promouvoir leur travail autour d’un verre de vin chaud ou d’une pâtisserie, tout en récoltant des fonds au profit de la Maison Sue Ryder pour financer des programmes de soins pour personnes âgées. Là encore, crèche, contes de Noël pour les enfants et chorales ont rythmé la journée.Des chorales qui ne sont pas les seules attractions des marchés de Noël et des fêtes en général : les crèches sont également très populaires. Nouvelle expression du paradoxe tchèque entre athéisme et tradition chrétienne, les scènes de la nativité sont très populaire dans le pays. Le village de Horní Lideč, dans la région de Zlín, en Moravie, en a fait cette année une grande attraction touristique en créant une crèche mécanique animée de 170 m². Représentant les scènes de la nativité au milieu de l’environnement et des monuments de la région, la crèche est présentée au public depuis le 25 décembre et restera ouverte pendant un an, pour donner le temps aux touristes tchèques comme étrangers de faire le déplacement. Kamil Andres, l’un des auteurs du projet dont la réalisation a duré plus de quinze ans, présente le résultat de ses efforts :
« Vous pouvez voir les mécaniques qui sont vraiment le fruit d’un travail professionnel de premier rang. Regardez les illuminations : encore un travail de pointe. Vous pouvez voir les scènes originales de la nativité dans un projet moderne. »Après leur promenade au marché de Noël, après avoir donné de la voix dans une chorale ou encore tout simplement après avoir acheté leurs derniers cadeaux, parents et enfants rentrent chez eux apprécier un autre moment traditionnel du mois de décembre : celui des « pohádka », les contes de fées tchèques. Qu’ils soient lus dans un recueil, écoutés à la radio ou vus à la télévision, ces contes de fées font partie depuis le XIXe siècle de l’imaginaire traditionnel et national.
A l’image des collectes de contes des frères Grimm en Allemagne ou de Charles Perrault en France, le rassemblement des contes oraux traditionnels a joué au XIXe siècle un rôle particulièrement important dans l’affirmation de la langue tchèque, à une époque où tout le monde devait parler allemand, et dans le retour des traditions et de la culture nationale. Plus tard, pendant la période communiste, les adaptations cinématographiques de ces contes de fées traditionnels fournissaient une échappatoire à la censure et un moyen de s’exprimer artistiquement sans risquer de s’attirer les foudres du régime. C’est dans ce contexte qu’est par exemple né le film « Trois noisettes pour Cendrillon », version tchèque du conte de Cendrillon des frères Grimm. Co-production germano-tchèque, c’est elle qui a révélé en Europe l’actrice Libuše Šafránková qui tient le rôle de « Popelka », Cendrillon en tchèque : malicieuse, agile et combative, la Cendrillon tchèque n’a rien d’une princesse en haillons. Le film produit en 1973 a connu un tel succès qu’il a même été diffusé à la télévision française. Toutes les adaptations de contes traditionnels n’ont bien sûr pas échappé à la propagande, comme par exemple le film « Pyšná princezna » (La princesse orgueilleuse, ndlr), tourné en 1952. Vu leur succès y compris à l’étranger, les contes ont vite intéressé le régime qui y a inséré les traits de la propagande communiste : la victoire d’un brave travailleur courageux sur un roi riche et méchant, l’intelligence d’une pauvre jeune fille qui lui permet de devenir une héroïne. Paradoxalement, le monde des contes était aussi un lieu de liberté d’expression qui permettait de contourner la censure, comme le raconte Miroslav Táborský, un acteur tchèque qui joue fréquemment dans les contes de fées contemporains :« Le régime a créé une situation particulière. Ceux qu’il n’autorisait pas à travailler pour les adultes pour des raisons politiques, il les laissait travailler pour les enfants. Mais avec les marionnettes et les contes de fée, il était possible de s’exprimer de manière subtile. Certains contes de fée cachent cet aspect-là. Sous le communisme, les spectateurs lisaient entre les lignes et c’est aussi pour ça qu’ils aimaient certains contes et que le lien est resté jusqu’à l’heure actuelle. Par exemple dans le film ‘Šíleně smutná princezna’ (La princesse follement triste, ndlr), on peut retrouver des messages cachés : autour des intrigues politiques, et aussi sur la signification de l’amour dans ce contexte... »
Parmi les contes cinématographiques, que ce soit sous le communisme ou après 1989, on retrouve surtout beaucoup d’adaptation d’écrivains tchèques célèbres, par exemple « O Popelákovi », le conte de Cendrillon revisité en version masculine par l’écrivain et illustrateur Josef Lada ou encore « Chytrá princezna », (La princesse intelligente, ndlr), un film produit en 1984 d’après un conte de Božena Němcová.
Après avoir parlé de l’ambiance, des traditions musicales et des contes de Noël il est temps de s’intéresser à un côté plus pratique et gastronomique de la fin d’année. Les traditions des fêtes de fin d’année sont évidemment aussi culinaires : au menu du 24 décembre, des lentilles, de la carpe, des pâtisseries et de l’alcool, et surtout de longues heures de travail pour ceux qui cuisinent : généralement les mères et les grand-mères. Petra Součková est professeure de français au lycée Jan Neruda de Prague, et pour elle cette année, le menu sera traditionnel, même si ce n’est pas elle qui le prépare.« En ce qui concerne le Noël tchèque je ne suis pas très typique car c’est ma mère qui fait tout. Pour nous Noël c’est le repas traditionnel mais nous ne mangeons pas trop : du poulet, pas de la carpe car je n’aime pas et ma famille non plus, de la salade de pommes de terre, on boit du vin blanc et on mange beaucoup de fruits avec. C’est ma mère qui prépare aussi les gâteaux de Noël, il y a douze sortes, par exemple en tchèque les « vanilkové rohlíčky » : on mélange du sucre de vanille avec de la farine et du beurre, on fait des formes de croissants que l’on fait cuire et qu’on enveloppe ensuite dans du sucre en poudre. »C’est fini pour ce tour d’horizon des traditions des fêtes de fin d’année tchèques, il ne me reste plus qu’à vous souhaiter un très joyeux Noël sur Radio Prague.