Noor, un ‘khusra’ en quête de lumière

'Noor', photo: Film Servis Festival Karlovy Vary

Le duo de réalisateurs Guillaume Giovanetti et Cagla Zencirci ont présenté au public de Karlovy Vary leur film Noor, récit d’un homme, un « khusra », qui va vouloir sortir de sa communauté et partir en quête de son identité au Pakistan. Noor est le premier long métrage des deux réalisateurs, il a été auparavant présenté à Cannes, et se retrouve devant un public de cinéphiles pour la deuxième fois à Karlovy Vary. Ils ont rappelé au micro de Radio Prague la genèse du film.

Cagla Zencirci et Guillaume Giovanetti,  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
GG : « Nous sommes allés pour la première fois au Pakistan pour la première fois il y a 10 ans, en 2002. Un peu par hasard d’ailleurs... On s’est rendu compte très vite que c’était un pays extraordinaire, que les gens étaient très intéressants, que c’était très cinématographique ! La première fois, on est resté trois mois. Puis on est revenu plusieurs fois pendant les années suivantes, et ça nous a semblé assez naturel de développer un projet de film là-bas. Au départ, nous faisions plutôt des court-métrages et des documentaires, puis l’idée est venue de faire carrément un long-métrage... »

Un sacré défi de se lancer dans un long-métrage...

GG : « A posteriori oui ! Tout le monde nous a dit que c’était presque impossible, mais ce qui est important dans la phrase, c’est le mot ‘presque’ ! C’était un peu compliqué certes. On a commencé à écrire avec des éléments puisés à droite et à gauche dans le pays. On a été soutenu par deux sociétés en France. Grâce à cela, on a pu commencer. Et puis on a rencontré Noor, le personnage principal, dans la rue. »

Qui est Noor justement ?

'Noor',  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
CZ : « Noor est un ancien ‘khusra’. C’est un terme qu’on ne veut pas vraiment traduire car il n’y a pas d’équivalent. C’est une communauté, qui peut même être considérée comme une sorte de caste, comme en Inde. Cela peut être des transgenres, des transsexuels ou des gens qui s’habillent en femme et considèrent cela comme un travail. C’est extrêmement divers. Ils ont un rôle très particulier dans la société. Lors de mariages ou de naissances, les familles pakistanaises, quel que soit leur niveau dans la société, vont inviter des ‘khusras’ pour les célébrations, pour qu’ils puissent donner de bons vœux et des prières pour le nouveau-né ou les mariés. Quand ils viennent mendier à la porte, les gens ne peuvent refuser de leur donner quelque chose, ils ont peur. Car les ‘khusras’ peuvent aussi faire de mauvaises prières. On ne renvoie jamais un ‘khusra’ les mains vides. »

C’est comme s’ils étaient divins ?

CZ : « Presque... Tout le sous-continent indien pense que ces gens-là ont des pouvoirs spirituels et que comme ils sont démunis, Dieu les écoute... »

'Noor',  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
GG : « Nous recherchions un personnage qui aurait une ambigüité masculin/féminin. Mais nous étions focalisés sur l’histoire d’un personnage imberbe qui n’arriverait pas à assumer sa masculinité dans le pays. Régulièrement, on a été amené à croiser des ‘khusras’, à passer du temps avec eux… Quand on a rencontré Noor, il nous a raconté sa particularité : il faisait partie de cette communauté de ‘khusras’ à un moment de sa vie, et au moment où on l’a rencontré il ne voulait plus en faire partie. Il était passé du côté des transgenres, mais c’était terminé. Il avait eu une histoire d’amour avec l’un d’entre eux, qui s’était mal terminée. Il voulait tirer un trait sur cette période de sa vie et redevenir un homme. On l’a rencontré à ce moment-charnière, quand il voulait sortir de sa communauté et assumer qu’il était un homme… Il nous a dit qu’il voulait redevenir ‘normal’, selon les normes de la société. »

Qu’est-ce que cela implique de sortir d’une communauté, d’une caste, au Pakistan, et de cette caste en particulier ?

CZ : « C’est extrêmement difficile dans un n’importe quelle caste. On connaît l’Inde et ses castes, c’est moins connu pour le Pakistan, qui est un pays musulman mais qui a toujours gardé ce système. Il s’agit là d’une communauté très fermée avec des règles très strictes, qui s’auto-entretient par rapport à leurs échanges et leur aide mutuelle. Sortir de cette communauté signifie rester tout seul. Il y a un système de maître et d’élève. Les maîtres sont censés s’occuper des élèves parce qu’ils les voient comme un futur investissement : un jour ils seront âgés, et les élèves prendront soin d’eux comme eux l’ont fait autrefois. Le système est complexe. Noor a rencontré ces gens quand il avait neuf ans, mais il ne faisait pas vraiment partie de la communauté. Progressivement il s’est détaché du groupe. Pour quelqu’un comme Noor qui a toujours eu l’habitude de se faire prendre en charge par la communauté, il a été très dur de se retrouver seul face à une société qui est très masculine, qui a d’autres règles très strictes, où être un homme est aussi très compliqué. »

Noor est une personne qui existe mais vous en faites un personnage de film. Quel est la part de réalité et de fiction ?

GG : « Noor est notre huitième film, notre premier long-métrage. Auparavant, on avait fait des court-métrages et des documentaires. Pour nous, c’est pratiquement la même chose et on procède toujours de la même façon : on rencontre des personnes dans la vie, puis on les fait jouer leur propre rôle dans un film qu’on écrit pour eux. A la base, il y a toujours une rencontre avec un personnage. On passe beaucoup de temps avec lui ou elle et on essaye de trouver l’espèce de panneau de boutons et le bouton sur lequel il faut appuyer pour obtenir tel ou tel sentiment de la part des personnages. La part de fiction ou de réalité est donc toujours très floue. D’ailleurs on le revendique. Certains de nos films sont passés dans des sections documentaires, et le même film a pu être présenté dans une section fiction dans un autre festival. Tout ce qui concerne la vie passée de Noor est véritable. Certaines situations sont fictionnelles. Mais tous les personnages du film, à l’exception d’un seul, sont réels et jouent leur propre rôle. On les prend dans leur environnement naturel, on ne leur donne pas de dialogues, ils se comportent comme dans la vraie vie pendant les prises. Par contre, c’est un film de fiction dans le sens où on fait plusieurs prises jusqu’à ce qu’on obtienne la meilleure. »

Le personnage de Noor va donc partir de sa communauté. Ce film est un peu une odyssée pour se trouver soi-même. Mais pourrait-on dire également qu’il s’agit d’un conte ? Car Noor va partir à la recherche d’un lac dont on dit qu’il est habité par des fées…

CZ : « La question pourrait se poser si on avait voulu vraiment faire un film qui serait un conte. Mais nous travaillons avec non-professionnels en tant qu’acteurs. Pour ce film-là, il faut dire que les fées existent vraiment au Pakistan et nous n’avons fait que rendre la réalité du pays. Une grande partie de la communauté croit réellement qu’il y a des fées, des créatures divines. Noor, lui, avait aussi cette croyance. Nous l’avons un peu poussé dans la fiction pour qu’il aille vers ce lac. Or il aurait très bien pu rester dans sa région et avoir une autre quête. »

Noor en arabe signifie la lumière, est-ce ce que personnage trouve, dans sa quête, la clarté, en tout cas l’amour puisque c’est son but…

GG : « En tout cas, il le cherche. C’est effectivement une quête vers l’autre, et vers soi-même. Le personnage de Noor, dans le film et dans la vie, est assez complexe, son identité l’est particulièrement : est-il un homme, une femme ? Que pense-t-il de lui-même ? Est-ce qu’il se trouve ? Il faut aller voir le film pour avoir la réponse ! »

Nous sommes en Europe, en Occident. Le film a-t-il été vu au Pakistan et si oui, quelles ont été les réactions du public ?

CZ : « Pour l’instant nous n’avons fait qu’une projection pour les acteurs du film. A chaque fois on fait la même chose : comme ce ne sont pas de vrais acteurs, on leur montre la version finale pour avoir leur approbation. Ils l’ont vu, tout le monde est ravi. C’est une expérience pour eux, d’autant qu’ils ont attendu deux ans, alors qu’ils s’imaginaient le voir juste après le tournage ! Ils avaient attendu, oublié, gardé certains souvenirs… Ils sont assez satisfaits. Pour ce qui est des projections publiques, nous attendons que le film puisse faire le tour des festivals. On voudrait bien aussi avoir une projection privée ou publique au Pakistan. »

GG : « Avec Cagla, on a fait des films dans plusieurs pays. Et on essaye toujours de donner le point de vue le plus interne possible, le moins étranger. On essaye de passer le plus de temps possible sur place pour essayer de donner un point de vue qui pourrait sembler plausible pour les locaux comme émanant de cinéastes locaux. Pour ce film, j’espère qu’on a réussi. Les premiers retours des acteurs nous ont encouragés ! C’est très important cela dit, pour nous, que le film soit montré sur place. Mais il faut savoir que c’est un film indépendant, et que les films d’auteur au Pakistan il y en a peu. Il y a quand même une nouvelle vague de jeunes réalisateurs depuis cinq ou sept ans, qui émerge. Notre premier assistant, Daniel Rachid, est un jeune réalisateur de documentaires très doué. Mais il n’y a pas de structures, le monde du cinéma indépendant s’est écroulé à la fin des années 1990 comme dans d’autres pays, donc ça risque d’être compliqué. Mais il faut savoir que souvent il faut une reconnaissance à l’étranger pour qu’ensuite localement, les possibilités de montrer le film soient plus faciles. Le film a fait sa première à Cannes dans la section de l’Acid qui défend le cinéma très indépendant. Du coup, à leur retour, Noor et Daniel ont eu pas mal d’intérêt de la part de la presse, des professionnels, parce que le film avait été montré à Cannes, ce qui est assez inhabituel, d’autant qu’il n’y a pas dû y avoir de film pakistanais à Cannes depuis un certain temps ! On espère que cela va aider, que des festivals comme Cannes ou Karlovy Vary vont lui donner un rayonnement international qui permettra de le montrer plus facilement au Pakistan et en Inde. »