Nos ancêtres les "Grands Moraves"
Durant le haut Moyen Âge, la Grande-Moravie fut le premier royaume slave important en Europe centrale. Entre 833 et 907, son territoire s’étendait sur la Moravie et sur une large partie ouest de l’actuelle Slovaquie et ses frontières ont même un temps englobé les régions voisines de Bohême, de Silésie ou encore de Lusace. Riche d’une culture propre, cette entité étatique fait actuellement et jusqu’à fin juin l’objet d’une exposition aux Ecuries impériales du château de Prague. Radio Prague était présent lors de son vernissage.
Au début du haut Moyen Âge, la région centre-européenne est une terre de passage pour de nombreux peuples. Les Lombards, une tribu germanique venue de la Baltique et qui s’installera ensuite au nord de l’Italie, s’y arrête quelque temps, comme en attestent certaines découvertes archéologiques présentées en préambule de l’exposition. Dans le coin, on trouve également des Francs ou encore des Avars, un peuple de cavaliers nomades turcs qui fonde notamment un « khaganat », une sorte de royaume, centré sur le territoire de l’actuelle Hongrie à la fin du VIIe siècle. Dans le cas de la Grande-Moravie, il est question d’une population slave, ainsi que le précise Zdenka Kosarová, archéologue et curatrice de l’exposition :
« Il s’agissait de Slaves. Les Slaves sont arrivés sur notre territoire dès le Ve siècle. Sous l’influence d’autres sphères culturelles, de l’espace franc ou de l’Empire byzantin, une culture propre est apparue ici, à la base de la formation de la Grande-Moravie. »
Deux siècles après le mythique royaume du marchand franc Sámo, la Grande-Moravie, nom qui ne sera utilisé que postérieurement dans des écrits byzantins, naît dans le bassin de la rivière Morava, qui correspond aujourd’hui à la région de la Moravie. Les encyclopédies proposent l’année 833 pour marquer cette naissance, date de l’invasion de la principauté de Nitra, à l’est, par le prince Mojmír Ier, le fondateur de la dynastie des Mojmirides. Jamais un royaume centre européen n’a présenté auparavant de caractéristiques étatiques aussi modernes et c’est ce qui fait tout l’intérêt de la Grande-Moravie. Zdenka Kosarová:« La Grande-Moravie avait des éléments de base ou caractéristiques d’une structure étatique. A certains moments, elle avait des frontières stables. Elle avait une composante guerrière chargée de défendre son territoire. Elle avait un souverain centralisé, bien qu’il soit plus approprié de parler de prince à cette époque, qui administrait ce pays. Et bien sûr, une culture matérielle propre s’est manifestée en Grande-Moravie, culture que nous essayons de présenter à l’occasion de cette exposition. »
Cette culture s’est donc développée au contact d’aires culturelles déjà historiquement marquées tel que l’Empire byzantin et les royaumes francs. C’est particulièrement visible à travers les objets exposés aux Ecuries impériales du château de Prague. Beaucoup témoignent des échanges, réguliers ou ponctuels, avec des régions voisines ou lointaines, tandis que d’autres, issus de l’artisanat local, montrent le développement d’un savoir-faire unique. L’historien Pavel Kouřil, qui dirige l'Institut archéologique de l'Académie des sciences de République tchèque à Brno et est l’auteur de l’exposition, s’est improvisé guide lors du vernissage :« Les Avars commerçaient avec les Byzantins et ont ensuite développé leur artisanat dans le bassin des Carpates. Quand on prend ensuite les bijoux que nous trouvons en Grande-Moravie, la question de leurs origines se pose. Il est probable qu’à la chute du ‘khaganat’ avar, une partie des artisans se soient fixés en Grande-Moravie. D’autres artisans proviennent de Dalmatie, région qui correspond aujourd’hui à la Croatie. Ces artisans forment une première génération au début du IXe siècle. La génération suivante d’artisans devait quant à elle être issue de familles grandes-moraves capables de produire à leur façon ces objets. »
Peu de traces écrites existent, sinon indirectes, dans des documents francs ou byzantins, où des éléments ayant trait à la Grande-Moravie sont mentionnés. De la même façon, il y a peu de traces architecturales puisque les constructions étaient très largement réalisées en bois, à l’exception notable de quelques églises et de bâtiments importants, dont les fondations ont parfois été réutilisées par la suite. Ainsi, le travail des historiens s’appuie principalement sur celui des archéologues et plus précisément sur les tombeaux que ceux-ci peuvent mettre au jour. Alors que la pratique de l’incinération est d’abord répandue, celle de l’inhumation se développe peu à peu, en même temps que l’implantation du christianisme. L’exposition présente ainsi certaines sépultures de seigneurs grands-moraves qu’invite à découvrir Pavel Kouřil :« Vous voyez ici des squelettes originaux dont les sépultures proviennent de Mikulčice ou de Staré Město (aujourd’hui deux bourgs du sud de la Moravie, ndlr). On voit exactement avec quelques objets un grand seigneur était enterré. On trouve donc une hache, une lance, des lacets de sandale, une ceinture à boucles… »
Société de paysans et d’artisans, les habitants de la Grande-Moravie était également de valeureux guerriers si l’on en croît Zdenka Kosarová. Les squelettes découverts nous renseignent en effet sur leur grande taille et leur puissante morphologie. Aussi, le pays aurait contribué au commerce des esclaves. Pavel Kouřil :« Ces derniers temps, on a fait l’hypothèse que la Grande-Moravie prenait part au commerce des esclaves. Et parmi toutes les découvertes archéologiques, il a été trouvé des chaînes d’esclave. On suppose que le « commerce » de ces malheureux, qui ont été le plus souvent capturés sous le règne du prince Svatopluk (870-894), concernait deux routes commerciales, l’une vers Byzance à l’est, l’autre vers l’ouest, jusqu’à l’Espagne. »
On l’a dit, la période de la Grande-Moravie coïncide avec le développement progressif du christianisme, une affaire politique selon Zdenka Kosarová :
« Les Slaves sont arrivés ici au Ve siècle avec une religion qu’on peut qualifier de païenne. Il s’agit d’une religion polythéiste. Parmi les dieux du panthéon slave, le dieu Péroun est sans doute le plus connu. Vers la fin du VIIIe siècle, au début du IXe siècle, le christianisme a commencé à pénétrer notre territoire. Il s’agissait d’une affaire politique, d’une affaire de domination politique, car à cette époque le pouvoir séculier et le pouvoir religieux étaient séparés et ce dernier était très puissant. Aussi différentes missions venues de différentes contrées ont voyagé vers notre région. Les plus anciennes sont les missions hiberno-écossaises. Ensuite on a des missions depuis la Bavière. »Proches du monde franc, les élites moraves en adoptent certains usages et la religion, le christianisme. Aussi, sous le règne de Rastislav, le successeur de Mojmír Ier, des émissaires sont envoyés auprès de Rome et de Byzance pour que leurs autorités temporelles et religieuses reconnaissent cet Etat et y favorisent l’évangélisation. Celle-ci s’engage en 863 grâce à l’envoi depuis l’Empire byzantin de Cyrille et Méthode, aujourd’hui connus comme les « Apôtres des Slaves ». Les deux missionnaires diffusent la religion en utilisant la langue slave vernaculaire et imaginent un alphabet pour l’écrire.
A la fin du VIIIe siècle, les Magyars, peuple originaire de l’Oural et ancêtres des Hongrois, se font de plus en plus menaçants à l’est de la Grande-Moravie, tellement que le royaume slave cesse d’exister à partir de 907. Mais déjà à l’ouest, en Bohême, un embryon d’Etat apparaît. Zdenka Kosarová raconte :
« Prague existait déjà, mais à ce moment-là en dehors des frontières de la Grande-Moravie, qui recouvrait la Moravie et le sud-est de la Slovaquie. A cette époque se forme en Bohême le premier état přemyslide. Puisque c’est là que sont apparus les Přemyslides, dont le pouvoir se renforce progressivement et dont l’Etat se développe au moment où la Grande-Moravie disparaît. »
Quant à l’exposition, elle ne disparaîtra pas des Ecuries impériales du château de Prague avant la fin du mois de juin et devrait ensuite voyager vers Bratislava.