A Ztichlá klika, faire (re)découvrir des peintres méconnus

Jan Placák et Virginie Béjot

Retour dans une galerie et boutique de livres anciens qui se trouve dans le centre historique de Prague. Elle s’appelle Ztichlá klika et a été créée par Jan Placák. Depuis quelques temps maintenant, une jeune Française, Virginie Béjot, travaille à ses côtés et l’aide à monter ses projets d’exposition. Leur objectif ? Faire connaître au grand public des artistes parfois méconnus. Une alternative aux grandes galeries souvent oublieuses. Virginie Béjot pour sa part espère aussi parvenir à susciter l’intérêt d’institutions françaises. Tout cela, pour l’amour de l’art. Rencontre...

Virginie Béjot, on se trouve au centre de Prague, près de la place Bethléem dans une galerie qui s’appelle Ztichlá klika. C’est aussi une librairie, qui vend des livres d’occasion ?

« On vend des livres d’occasion, mais aussi de vieux livres, des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècle. On a prévu justement d’abandonner les livres d’occasion contemporains et de se concentrer sur les vieux livres. »

Donc des livres plutôt pour collectionneurs ?

« Oui, c’est plutôt des livres pour collectionneurs et pour des personnes qui ont un intérêt pour cela. Ce sont des livres-oeuvres. »

Peut-on décrire l’espace dans lequel on se trouve, la galerie ? Elle est dans le sous-bassement...

« Oui. Il faut descendre les escaliers pour y arriver. C’est un espace assez joli je crois. On fait des expositions tous les mois. Tous les mois ça tourne. »

Alors cette saison-ci, un peu plus longue, cet été, c’est Vladimír Boudník qui est exposé. Qui était Vladimír Boudník ?

« C’est un peintre tchèque. Il a commencé à faire des choses dans les années 1940. Il a vécu la période de la guerre en Allemagne. Quand il est revenu, il a suivi des cours à l’Ecole des Arts et Métiers à Prague. Ensuite il a été interdit comme la plupart des peintres tchécoslovaques. Il a lancé un courant qui s’appelle l’explosionalisme, tout seul. »

Qu’est-ce que l’explosionalisme exactement ?

« Il allait dans la rue, et sur les murs, il dessinait des choses que lui inspiraient leur forme, car souvent les murs étaient défraîchis. Les choses tombaient et lui peignait. Il demandait aux passants de regarder et de lui dire ce qu’ils voyaient. Ca provoquait des discussions assez intéressantes. Parfois ça ne provoquait rien, d’autres fois des problèmes. »

C’est presque du street-art, comme on dirait aujourd’hui...

« Oui, du street-art, et des happenings, comme il appelait cela. C’était pour provoquer. C’était aussi pour faire de l’art avec les choses sur place, parce qu’il était impossible de sortir, de voyager. Il pensait à comment changer la société, la faire évoluer par l’art. Il estimait que chacun était capable de faire des choses artistiques. »

J’imagine que ça ne devait pas plaire beaucoup aux autorités, un trublion faisant des happenings dans la rue...

« Non, ça ne plaisait pas vraiment, et ça ne plaisait pas vraiment non plus à certaines personnes qui passaient dans la rue. Souvent il a entendu des choses pas très gentilles. »

Quelle vie a-t-il eue ?

« C’était quelqu’un de très indépendant, il a travaillé dans des usines. Il y créait. Il s’inspirait beaucoup des usines, des machines, de la matière. C’est le personnage central d’un des romans de Bohumil Hrabal, Tendre barbare. Souvent les gens pensent que c’est une figure littéraire mais il a vraiment existé. Il demandait aux ouvriers de faire leurs propres oeuvres. Et il a fait des expositions dans les usines également. »

A Ztichlá klika, ce sont ses œuvres graphiques, ses gravures que vous exposez. Comment travaillait-il ? Quelles sont les œuvres exposées ?

« Cette année à Ztichlá klika est consacrée à Vladimír Boudník. Ztichlá klika a sa propre collection d’œuvres de Boudník. On a aussi beaucoup de textes, de samizdats, et sa correspondance. Jan Placák collectionne depuis trente ans Vladimír Boudník. Cette année, on a huit expositions en tout. Cet été, c’est la cinquième. Là, on expose des graphiques, dites ‘structurelles’. Dans le sens où elles sont explosives. Pour moi elles ne sont pas du tout structurelles ! Mais c’est lui qui a composé ses propres catégories. Il y a aussi la catégorie les ‘graphiques actives’, c’est-à-dire avec des reliefs. Ce sont plutôt les couleurs, les formes, c’est très vivant. C’était quelqu’un qui créait de manière assez physique, il créait beaucoup avec ses mains. Il gravait sur des matrices en métal, puis imprimait sur du papier avec une machine qui s’appelle ‘satyrnirka’. Il y a un rouleau compresseur. »

C’est intéressant quand tu dis que c’est physique. On sent la matière en la regardant. En fait, on a beau savoir que ce sont des gravures, cela fait plutôt penser à du métal rouillé. On pourrait presque passer la main dessus et sentir comme c’est râpeux...

« Oui, c’est ça. Il y a le mélange de tous les éléments : l’eau, la terre, le feu... Il y a aussi des photos qui témoignent de sa manière de travailler. On a souvent dit qu’il travaillait nu. C’est aussi intéressant de savoir qu’il donnait les tableaux, plus qu’il ne les vendait. C’était quelqu’un d’absolument libre. »

A Ztichlá klika, on ne s’occupe pas uniquement de Boudnik. Vous essayez de faire connaître d’autres artistes pas très connus du grand public, je pense à Ivan Sobotka. Qui était Ivan Sobotka ?

« Ivan Sobotka est un peintre très original. Dans ses peintures, il a suivi la ligne qu’il suivait en tant que personne, c’est-à-dire vers la simplicité, la modestie, vers la spiritualité aussi parce qu’il était catholique, croyant et pratiquant, mais en secret. Il ne parlait pas du tout de ces choses-là. Après la deuxième guerre mondiale, il a étudié les arts. Il a rencontré Pavel Brázda qui est aussi un peintre très connu, et Věra Nováková, sa femme. Ensemble, ils ont formés un groupe informel, artistique. Ils faisaient des choses très expressives, très colorées, très imprégnées de l’époque de l’après-guerre et de l’arrivée du communisme. Ce sont à l’époque des jeunes gens bouleversés qui cherchent à exprimer ce qui leur est arrivé. Vers le milieu des années 1950, Ivan Sobotka a pris son propre chemin, vers la simplicité. Il a commencé à beaucoup fréquenter les églises, les prêtres. Il s’est aussi beaucoup inspiré de la littérature française comme Léon Bloy qui était sa référence. Il a commencé à dessiner presque exclusivement des portraits qui représentent Marie, Joseph, tous les saints. »

Quand on les voit, ce qui frappe en effet, c’est la simplicité, le côté presque naïf de ces portraits. Ils font penser à des icônes avec ces visages de face...

« Oui, c’est cela. Ce qui est intéressant c’est que ces icônes ressemblent à des gens qu’on peut connaître dans la rue. Ces icônes, ils les a personnalisées. Chaque visage est une personne différente. Marie a tout un panel de visages, Joseph aussi. Sa peinture est également intéressante car il est allé chercher dans trois couleurs, le bleu, le blanc, le gris, des nuances. Les blancs sont devenus des milliers de blancs, les bleus des milliers de bleus. Il a abandonné les autres couleurs. A l’intérieur de ces couleurs il a cherché sa poésie. »

Comment se fait-il qu’il soit si méconnu ?

« En fait c’est quelqu’un qui n’a pas du tout exposé sous le communisme. Il a travaillé un peu partout, notamment à la Galerie nationale, où il s’occupait des tableaux. Il a continué à créer parallèlement, seul. C’était un solitaire. Il a créé des centaines et centaines d’œuvres. Il était interdit sous le régime communiste... »

... A fortiori s’il était catholique et croyant.

« Et je pense qu’il n’aurait pas voulu collaborer avec le régime. C’était une forte personnalité qui savait ce qu’il voulait, où il allait. Après 1989, on a commencé à s’intéresser à lui, surtout la revue Revolver Revue. Quelques expositions lui ont été consacrées, mais peu car il était angoissé à l’idée d’exposer. Nous, à Ztichlá klika, comme c’est un ami de Jan Placak, on s’efforce de le faire connaître du public parce qu’on estime que c’est de la peinture de qualité. »

Vous l’avez montré en France aussi...

« Oui, on l’a exposé en juin et juillet 2009 à la Galerie Mathieu, à Lyon. On a aussi fait un catalogue franco-tchèque assez représentatif du personnage parce qu’il y a un entretien avec lui. L’exposition a reçu un bon accueil je crois. »