Pavel Chalupa : « Jean Effel a été pour moi une lecture d’enfance mais aussi une initiation érotique »

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Ces jours-ci les Pragois peuvent voir dans la galerie Millenium une exposition d’œuvres de Jean Effel, célèbre dessinateur français et grand ami de la Tchécoslovaquie dans les années difficiles. Il entretenait de fréquents contacts avec notre pays et aussi avec ses amis tchèques dont Adolf Hoffmeister, artiste, journaliste et homme politique, qui a joué un grand rôle dans sa carrière artistique. C’est dans la galerie Millenium qui appartient à Adam Hoffmeister, fils d’Adolf, que le public pragois peut voir aujourd’hui une collection d’œuvres qui nous font découvrir Jean Effel comme un auteur recelant de nombreux talents. Sa célèbre série « La Création du monde » qui raconte par le dessin la Genèse et l’histoire d’Adam et Eve, a été tirée en Europe à deux millions d’exemplaires et a été portée à l’écran par des cinéastes tchèques. Les multiples facettes de l’œuvre et de la vie de Jean Effel ont été aussi le sujet de l’entretien accordé à Radio Prague par le commissaire de l’exposition pragoise, Pavel Chalupa.

Depuis quand connaissez-vous Jean Effel et son œuvre?

«Pour moi et pour beaucoup de Tchèques Jean Effel était quelqu’un qui était très lié à notre enfance. Donc je connais Jean Effel depuis mon enfance. On avait des livres, on a tous connu le film « La Création du monde » tourné en 1958 dans les studios Barrandov à Prague. Pour moi c’était donc une lecture d’enfance mais aussi une initiation érotique. J’avoue qu’à cette époque, dans les années 1970, Adam et Eve de Jean Effel, c’étaient les premiers personnages nus que j’ai vus dans ma vie.»

Jean Effel était dessinateur, caricaturiste, illustrateur, journaliste, écrivain. Quelle activité de Jean Effel vous semble la plus importante?

«Ce qu’il y a le plus important pour moi dans l’œuvre de Jean Effel c’est « La Création du monde ». C’est ce qu’il y a le plus important pour les Tchèques. Je sais cependant, j’ai été confronté avec ce problème en préparant cette exposition, que pour les Français il est beaucoup plus important ce que Jean Effel a fait dans le cadre des ses activités politiques, notamment ses dessins pour les journaux. Il a travaillé notamment pour les journaux de gauche, ‘France-Soir’, ‘Paris-Soir’, ‘L’Humanité’. Il a fait des dessins et des caricatures politiques. En France c’est considéré comme la partie la plus importante de l’œuvre de Jean Effel.»

Revenons encore sur cette grande partie de la vie de Jean Effel pendant laquelle il entretenait des rapports avec la Tchécoslovaquie. Pourquoi justement la Tchécoslovaquie?

«Il a rencontré probablement déjà avant la Deuxième Guerre mondiale Adolf Hoffmeister et il le fréquentait sans doute beaucoup plus intensivement après la guerre lorsque Adolf Hoffmeister est devenu ambassadeur de la République tchécoslovaque en France. Hoffmeister était une espèce de Jean Effel tchèque. Il était caricaturiste, il a fait des caricatures politiques. Ils se sont rencontrés à Paris. Adolf Hoffmeister a été ambassadeur à Paris pendant trois ans, de 1948 à 1951. C’est sans doute Hoffmeister qui a eu cette idée et a dit à Jean Effel que sa série ‘La Création du monde’ était idéale pour faire un film d’animation. C’est également lui qui a réussi à obtenir la permission de faire ce film. Ce n’était pas facile. En 1954, il n’y avait encore aucune trace de dégel politique. Le régime était très rigide. Hoffmeister qui était très compétent, très politicien et même politicard, a fait tout pour faire ce film. Imaginez que Jean Effel était un auteur venant d’un pays capitaliste, les personnages principaux de son film étaient nus et en plus son histoire était inspirée par la Bible. Il s’agissait donc de trois tabous absolus pour la censure communiste. Hoffmeister a réussi à transgresser tous ces tabous et il a détabouisé cette histoire. Il a présenté Effel comme un grand auteur international. Ce que Hoffmeister a fait pour le film, c’était essentiel. Sans lui, on n’aurait jamais eu ce film magnifique.»

La tâche d’Adolf Hoffmeister a été facilitée probablement par le fait que Jean Effel était très proche des milieux de gauche. Il collaborait avec le Parti communiste français et c’est justement cette collaboration qui reste pour beaucoup un chapitre problématique de son itinéraire.

«Vous avez raison, j’ai rencontré cette opinion surtout en France. Jean Effel reste marqué par cette collaboration jusqu’à nos jours. Il faut dire cependant qu’il n’a jamais été membre du Parti communiste. Il était sans doute sympathisant. Il écrivait et dessinait pour l’Humanité, mais ne s’est fait jamais payer ou engager. Il dessinait en même temps pour d’autres journaux plutôt de gauche, mais qui n’étaient pas des journaux communistes. Il était donc sympathisant mais dans la France des années cinquante, c’était plutôt normal. Dans les années cinquante et au début des années soixante, les milieux intellectuels étaient assez communisants.

Il a été jusqu’à sa mort président de l’Association France-Tchécoslovaquie et c’est cela, je pense, qui l’a marqué. L’Association France-Tchécoslovaquie était assez liée avec le Parti communiste français. D’après ce que je sais, il disait toujours que l’Association n’avait pas d’ambitions politiques. Sous sa présidence, l’ambition de cette organisation était l’échange culturel. Il pratiquait à sa manière cette idéologie de convergence vue par un grand intellectuel de gauche. Il a réussi à recevoir beaucoup d’artistes tchèques à Paris et à envoyer des artistes français en République tchécoslovaque.»

Vous êtes commissaire de l’exposition Jean Effel qui doit rappeler le centenaire de sa naissance. Avez-vous eu encore d’autres motifs pour vous lancer dans un tel projet ?

«Je me suis dit, c’est le centenaire, il faut faire une exposition. Mais je suis d’autant plus content de faire cette exposition, parce que je me suis aperçu que je suis le seul en Europe et peut-être dans le monde. Ce qu’on peut voir à Prague c’est une variante réduite présentée dans mon musée de Vysoké Mýto et puis à Litomyšl. Nous disposons de 800 mètres carrés ce qui nous a permis de présenter trois centaines d’œuvres de Jean Effel.

Maintenant à Prague à la Galerie Millénium qui appartient à Adam Hoffmeister, nous présentons surtout la partie de son œuvre qui est très franco-tchèque. Il s’agit notamment du film « La Création du monde », qui a été tourné dans les studios Barrandov à Prague, depuis les premières ébauches jusqu’aux dessins définitifs. C’est passionnant de voir comment cela a été créé. Pour Jean Effel, l’aventure de ‘La Création du monde’ a duré quarante ans, depuis les années quarante jusqu’à sa mort. L’exposition est complétée aussi par des documents biographiques, il y a pas mal de photos. Il y a bien sûr aussi ses dessins politiques, surtout ceux qui touchent la Tchécoslovaquie. Nous présentons cinq dessins réagissant au Traité de Munich de 1938.»

Puisque vous parlez des dessins qui réagissaient au Traité de Munich, rappelons dans ce contexte que Jean Effel a été un de ces Français qui ont condamné ce traité...

«Nous présentons d’autres dessins célèbres de Jean Effel qui a caricaturé mille fois le général de Gaule. Ces dessins sont vraiment très rigolos. Jean Effel y est présenté aussi comme illustrateur et auteur de livres pour enfants. Il n’est pas très connu qu’Effel était aussi écrivain. Il a écrit des livres pour enfants, de la poésie, des pamphlets et même un roman. Je suis très content qu’on puisse faire cette exposition dans la galerie d’Adam Hoffmeister et j’y invite tous les auditeurs.»