Petr Sís: Tentative d’expliquer aux jeunes la vie derrière le rideau de fer

Le temps passe et nous oublions vite surtout les choses désagréables. C’est pour expliquer aux enfants ce que c’était la vie sous le régime arbitraire et pour rafraîchir la mémoire des adultes que le dessinateur et écrivain Petr Sís a créé son livre intitulé « Le Mur, mon enfance derrière le rideau de fer ». Le livre a été déjà traduit en plusieurs langues et a reçu de nombreux prix littéraires. Il y a des lecteurs qui disent à son auteur que c’est son meilleur ouvrage et Petr Sís en est un peu jaloux parce que « Le Mur » éclipse ses oeuvres précédentes. Voici la reprise d’une émission que nous avons consacrée à ce livre en janvier 2008.

La grisaille, la peur et l’absurdité – tels sont les traits de la vie sous le régime communiste que Petr Sís évoque par ses dessins. Cet artiste, né à Prague en 1948, a passé son enfance et son adolescence en Tchécoslovaquie, pays au centre de l’Europe asservi par le « grand frère » soviétique. Il a vécu la terreur stalinienne, le dégel politique appelé Printemps de Prague, l’invasion des troupes soviétiques en 1968 et aussi la triste période de la «normalisation» qui n’a été en réalité qu’un retour à l’oppression politique présentée comme «normale».

Entre-temps le petit Petr a grandi, est devenu artiste. Il souffrait du régime qui ne lui permettait pas de vivre et de créer en liberté. Ce n’est qu’au début des années 1980 qu’il trouve la force de brûler les ponts et de choisir la liberté. Aujourd’hui il vit aux Etats-Unis et poursuit son oeuvre de dessinateur, illustrateur et écrivain. Auteur d’une vingtaine de livres et d’innombrables illustrations et dessins pour de divers journaux et magazines, il est un artiste comblé qui se trouve sans doute au sommet de sa carrière. Et c’est précisément à ce moment qu’il éprouve le besoin d’évoquer les ombres qui ont hanté son enfance et son adolescence. Il a aussi écrit son livre pour ses propres enfants:

«Le livre n’est sorti qu’au mois de septembre. Mon fils a treize ans. Quand j’ai demandé à mes deux enfants leur opinion sur mon livre ils m’ont dit l’avoir aimé, mais ils l’ont dit avec un certain respect vis-à-vis d’un papa qui s’occupe d’eux, qui leur achète des choses, qui fait la cuisine pour eux etc. J’aimerais qu’un jour ils me le disent eux-mêmes, que nous ayons une discussion à propos de ce livre.»


La couleur joue un rôle important dans le livre de Petr Sís. Pour évoquer la vie sous le communisme, l’auteur utilise le dessin en noir et blanc où seuls les symboles du régime sont rouges. Par contre, les passages du livre qui évoquent la vie pendant les périodes d’espoir, par exemple celle du Printemps de Prague, sont très colorés:

«Je voudrais que la lecture de tous mes livres soit possible à plusieurs niveaux. D’après l’âge du lecteur, d’après ce qu’on cherche. Je me suis battu avec ce livre. D’abord, j’y ai mis même une espèce de bande dessinée qui traversait tout le livre en bas des pages. C’était en couleur et cela représentait le présent, tandis que le reste du livre était en noir et blanc et parlait du passé. Et puis j’ai cherché à condenser le livre au maximum, afin que les gens trouvent dans ces images une histoire. Il y a en qui le considèrent comme insuffisant parce que trop simple, mais je suis aujourd’hui heureux de l’avoir fait de cette façon.»


Il n’est pas facile de comprendre que cette vie sous le communisme pouvait paraître normale. Dès que le lecteur prend une certaine distance vis-à-vis de cette époque dans le temps et dans l’espace, certaines choses semblent tout à fait absurdes. En revenant à cette période pleine d’interdictions de toute sorte, période de discipline, de censure, d’obéissance souvent quasi aveugle, Petr Sís était même agacé en réalisant combien de temps lui et ses compatriotes avaient perdu, combien ils avaient été naïfs, à quel point ils s’étaient laissés manipuler par le régime et à quel point ils avaient, eux-mêmes, participé à cette manipulation:

«J’ai donc l’impression de ne pas avoir achevé ce livre. Aujourd’hui encore je découvre chaque jour ce que j’ai oublié d’y mettre. Il était pratiquement impossible de saisir tous ces aspects dans leur ensemble. Je n’ai fait que tracer une ligne bien simple. Aujourd’hui on envisage d’utiliser ces informations dans certaines écoles pour expliquer ces choses-là. Et ensuite, il dépendra de chacun de vouloir en apprendre davantage sur cette époque. J’ai réuni des informations dont beaucoup ne m’ont pas servi. J’ai dessiné par exemple des images pour expliquer l’importance de la classe sociale d’où vous étiez issu, comment un étudiant était empêché de s’inscrire à l’université parce que son grand-père avait possédé une boucherie. Il est donc intéressant de savoir que les gens inventaient des moyens pour se nuire mutuellement, moyens qui semblent aujourd’hui tellement absurdes qu’on n’arrive pas à les expliquer.»

Pour beaucoup de lecteurs, le livre de Petr Sís est une révélation. Il se dit étonné par le succès de cette oeuvre et semble même un peu jaloux comme si la réussite du «Mur» pouvait éclipser les autres ouvrages nés sous sa plume:

«Pour l’instant, le retentissement est incroyable. Premièrement parce qu’à l’époque de la Guerre froide personne ne savait que cela existait. Et aujourd’hui Prague est tellement populaire comme un grand centre touristique et soudain on voit ce qui se passait dans cette ville. C’est donc une leçon sur la rapidité avec laquelle on peut perdre ses libertés. Les Américains trouvent aussi que la présentation du livre est non conventionnelle. Donc je touche du bois. Le livre a reçu entre autres le Prix du Meilleur livre illustré de l’année du journal New York Times. Les critiques ont été probablement les meilleures que j’ai jamais reçues. Parfois j’en suis même effrayé parce que les gens me disent que c’est mon meilleur livre. Mais je ne le pense pas, parce que je voulais le dessiner d’une façon plus rude que les livres précédents. Je ne trouve donc pas que cet ouvrage soit meilleur que mes livres précédents mais quand on le dit, je ne proteste pas.»