Nicky&Vera, nouveau livre illustré sur les enfants de Prague sauvés de la barbarie nazie

Photo: repro Petr Sís, 'Nicky&Vera'/ Norton Young Readers

L’illustrateur tchèque de renommée internationale Petr Sís vient de sortir un nouveau livre sur l’organisation par Nicholas Winton du sauvetage de centaines d'enfants de Tchécoslovaquie à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.

La séquence date de l’année 1988 et rappelle que déjà à l’époque la télévision savait mettre en scène les émotions. Nicholas (Nicky) Winton est assis dans le public d’une émission de la BBC consacrée à son acte aussi généreux qu’audacieux, quand 50 ans plus tôt il a sauvé plus de 600 enfants – d’origine juive pour la majorité - en les aidant à fuir en train la Tchécoslovaquie déjà envahie par les nazis et en leur trouvant avec son organisation des familles d’accueil en Angleterre.

Photo: repro Petr Sís,  'Nicky&Vera'/Norton Young Readers

Pendant le demi-siècle suivant, jamais cette histoire des trains d’enfants de Prague n’avait été racontée et la présentatrice retrace le destin de la petite Věra Diamant(ová), devenue Vera Gissing, pour finalement annoncer à son sauveur qu’elle est assise juste à côté de lui. S’ensuit une embrassade émouvante entre « Nicky » et « Vera », dont les mains ne se lâchent plus.

Photo: Norton Young Readers

Nicky&Vera est le titre de ce nouveau livre publié en anglais par Petr Sís, illustrateur né à Prague et émigré aux Etats-Unis dans les années 1980. C’est une exposition sur Nicholas Winton qu’il a visitée avec son fils à Prague qui l’a décidé à travailler sur cette aventure hors du commun. Si on peut agir et faire la différence, est-on capable de le faire ? C'est une des questions que Petr Sís a voulu soulever dans ce livre, dont il a parlé au micro de RPI :

« Je pense que j’ai brièvement entendu parler de l’histoire de la fin des années 1980. Mais ce n'était que trois ou quatre ans après le début de mon émigration vers l'Amérique, j'avais d'autres préoccupations à l’époque, comme celle de savoir qui j'étais. »

« Je savais de petites choses par des connaissances de mes parents sur cette histoire, mais tout cela n’a pris corps qu’en 1988 [lorsque l’histoire de Nicholas Winton a été révélée au Royaume-Uni].

Petr Sís,  photo: Jindřich Nosek,  CC BY-SA 4.0

« À ce moment-là, quelqu'un a dit : Tu devrais penser à un livre à ce sujet. C'était au début des années 90. Je pensais que c'était un sujet qui serait alors très difficile à faire accepter par les éditeurs américains. (…) Et puis finalement je me suis dit : Oh, c’est trop beau comme histoire. Cette histoire est celle d’un homme qui était si bon qu'il a sauvé tous ces enfants, puis il est rentré chez lui et personne ne l'a su pendant 50 ans, jusqu'à ce que ce soit découvert. »

Petr Sís a choisi dans son récit de mêler deux histoires, l'histoire de Nicholas Winton lui-même et l'histoire de cette petite fille Věra, ou Veruška.

Nicholas Winton,  photo: ČT24
Photo: Skyhorse

« Le récit a été rendu possible grâce aux deux histoires. Parce que sur son son histoire à lui, j’avais déjà vu le film de Matej Mináč, également basé sur sa biographie. Je pense que dans le cinéma, vous avez une autre dimension, où vous pouvez travailler avec juste son personnage - mais vous avez besoin d'une sorte de drame [pour un livre].

« Et j'ai trouvé, par pure coïncidence, deux livres. L'un était au Holocaust Memorial Museum à Washington : My Train to Freedom par Ivan Backer, l’autre était le livre de Vera Gissing, Pearls of Childhood.

« C’était un livre merveilleux dans le sens où elle est tellement optimiste et c’est une petite fille si innocente. Et aussi elle vient de cette petite ville (Čelákovice). Elle décrit sa ville et l’atmosphère dans ce nouveau pays né en 1918. Tout le monde est tellement excité ; les gens aiment Masaryk et aiment toute cette idée de la Tchécoslovaquie. Elle décrit comment ils chantent l'hymne national. La religion en tant que telle et la politique ne sont pas importantes dans sa perspective. »

Photo: Robson Books

« C’est l’une des rares familles juives là-bas, mais ce n’est pas important : elle porte le costume national, elle va à ces réunions. Cela décrit donc cette période presque idéaliste de l'histoire tchécoslovaque. Parce qu’elle est dans un petit village et qu’elle court et joue. Elle aime la nature et décrit comment elle va le soir nager ou monte à cheval. »

« Elle se rend au bord de l’Elbe et décrit ces merveilleuses sensations quand le soleil se couche et qu’elle est assise sur le cheval mouillé. Elle est comme une enfant innocente idéale qui grandit dans cette petite ville avec une mère aimante et une famille merveilleuse.

« Elle ne le sait pas vraiment, ou ses parents la protègent en quelque sorte des mauvaises nouvelles au-delà de la frontière, en provenance d’Allemagne. Et puis cela empire, quand elle en entend parler. La mère est prudente. Je me suis interrogé aussi : comment les gens ont-ils inscrit leurs enfants au train ?

Photo: repro Petr Sís,  'Nicky&Vera'/ Norton Young Readers

« La mère était dans cette situation où elle n’a pas à le faire mais elle ressent ce genre d’impulsion : c’est comme un réflexe de sécurité, elle se dit : cela pourrait ne pas se terminer bien - je vais l’inscrire avec Nicholas Winton. Parce qu'elle était à Prague à ce moment-là. Ensuite, elle doit en quelque sorte convaincre le père, qui n'aime pas l'idée. De plus, ce qui est dans son livre, c'est que l'Angleterre à cette époque est si loin. C’est un pays très éloigné des Tchèques.

« Et qui a jamais entendu parler de parents qui enverraient leurs enfants si loin? Même si les enfants étaient envoyés pour peut-être quelques mois.

Photo: repro Petr Sís,  'Nicky&Vera'/Norton Young Readers

« Dans l'histoire de Winton, tout cela ressemblait beaucoup à l'histoire européenne telle qu’on la connaît : la Kristallnacht, l'Anschluss, l'Angleterre étant un pays exceptionnel qui donne des visas aux enfants de moins de 17 ans et ils doivent donner de l'argent pour le billet de retour - ils obtiennent un visa temporaire et doivent avoir une famille d'accueil.

« Je savais donc cela grâce à l’histoire de Winton - et de l’autre côté j'avais cette petite fille qui décrivait des choses émotionnelles de son point de vue. Cependant, elle-même, dans son livre, n’entre pas dans la complexité de son retour à Prague après la guerre, et a l’intention de rester, même si sa famille a péri dans les camps.

Photo: repro Petr Sís,  'Nicky&Vera'/ Norton Young Readers

« Mais ensuite à cause de ce qui s'est passé… et je pense que tout à coup, il y a eu une attitude des Tchèques contre les Juifs, ou certains Tchèques, devrais-je dire. Tout à coup, ce n’était pas cet endroit idéal qu’elle connaissait comme petite enfant. Mais maintenant, elle était aussi cette femme adulte. Et elle entend ce que les gens disent, Oh, ils sont revenus, et tout ça. Elle n'aime pas ça et préfère en quelque sorte, je suppose, les attitudes en Angleterre. Elle se sent davantage chez elle en Angleterre, alors elle y retourne. »

Aborder la Shoah dans un livre pour enfants a été un exercice délicat pour l’auteur, conseillé en la matière par son éditeur et son épouse :

Photo: Scholastic

« C’est un dilemme pour moi, je reçois beaucoup de réactions disant que les gens pleurent. Ils disent, j’ai pleuré - je ne voulais pas pleurer. Je ne l’avais pas anticipé. Mes livres avaient toujours l’ambition d’aller au-delà. Et je l'avoue, j'ai des livres pour petits enfants qui sont très simples. Ensuite, j'essayais en quelque sorte de satisfaire mon ego artistique, et probablement aussi de trouver ma place en Amérique, alors j'avais des livres plus ambitieux, que ce soit Galilée [Starry Messenger: Galileo Galilei] ou Tibet [Tibet Through the Red Box] - certains livres qui, comme le dit un éditeur, regardaient par-dessus l'épaule d'un enfant.

« Mais j'ai aussi découvert, par exemple avec le livre sur le Tibet, que les gens l'ont et puis un enfant le lit sans aucune préparation, ne sachant pas où se trouve le Tibet ni ce qui se passe - et reste à un niveau de l'histoire, du père disparu ou peu importe.

« Et puis peut-être qu’en vieillissant un peu ils le relisent - puis ils le lisent avec quelqu'un qui explique où se trouve Lhassa et ce qui se passe.

Photo: repro Petr Sís,  'Nicky&Vera'/Norton Young Readers

« J'espère donc que cela arrivera avec ce livre. Il y a eu une grosse dispute à un moment donné. Quelqu'un a dit : ‘Vous ne pouvez pas publier ce livre - vous ne montrez pas assez la souffrance pendant la guerre, ce qui est arrivé’... Mais la personne parlait à partir de la position où elle pensait que tout le monde dans le livre était juif.

« Je voudrais souligner que dans ces listes de Winton, la majorité des enfants étaient juifs, mais il y avait aussi des enfants qui étaient des enfants de dirigeants politiques qui avaient peur des Allemands, ou d'autres - c'était une sorte d’acte humanitaire universel.

« Mais cette personne, qui est tellement habituée au genre de littérature qui est publiée sur la Shoah, sur l'Holocauste, a dit : vous auriez dû en dire plus sur ce qui se passait dans ces camps de concentration.

« Mon point de vue… et ce n’est pas entièrement mon fait - je voulais donner plus de détails sur la souffrance, mais l’éditeur du livre et ma femme ont été de bon conseil et je ne l’ai pas fait. Et d’une certaine manière, cela vient aussi du point de vue de Vera, qui ne sait pas.

Photo: repro Petr Sís,  'Nicky&Vera'/Norton Young Readers

« Ils ont une école tchèque au Pays de Galles, où elle est avec les autres enfants, puis en 1943 seulement… Elle était en Angleterre depuis 1939 et en 1943, elle grandit, elle est adolescente et elle est dans cette école pleine d'enfants et ils écoutent la BBC tous les soirs.

« Elle n'a absolument aucune nouvelle de chez elle – d’ailleurs c’est difficile d’expliquez aux enfants d’aujourd’hui qu'il n'y a pas de nouvelles. Ils apprennent pour la première fois en 1943 qu'il pourrait y avoir des camps où les Allemands exterminent des gens. Mais elle n’est toujours pas capable dans sa tête d’imaginer que ce serait le cas, car elle espère toujours que ses parents pourraient se cacher. C'est donc sa première rencontre avec quelque chose comme ça.

« La fin de la guerre arrive. Et sa mère sort de Bergen-Belsen, mais elle meurt du typhus quelques jours plus tard. Je pense donc que j’ai peut-être créé quelque chose où, en n’en parlant pas directement, il y a un sentiment d’horreur en arrière-plan - parce que si le lecteur est un enfant, il ne sait probablement pas pourquoi il n’y a personne quand elle rentre à la maison. »

Photo: repro Petr Sís,  'Nicky&Vera'/Norton Young Readers

« Ce nouveau livre captivant de Petr Sís alterne entre des sections calmes, méticuleusement dessinées en gris-bleu, consacrées à l'humble et réservé Nicholas Winton et des pages aquarelles plus colorées décrivant la vie de Veruska qu’il a sauvée », écrit le New York Times dans sa récente critique, qui loue les vertus pédagogiques de l’œuvre.

Petr Sís : « Je ne voulais pas en faire trop, donc je pense que tous ceux qui veulent par exemple savoir ce qu’était les Accords de Munich peuvent consulter les détails. C'est une autre chose à laquelle j'ai pensé, avec l'attitude envers l'Angleterre et la France en Tchécoslovaquie après Munich - que vous ayez ces enfants en Angleterre, ce qui les sauve. C'était difficile de dire aux voisins qu'ils allaient en Angleterre, après ce que l'Angleterre avait fait.

Photo: repro Petr Sís,  'Nicky&Vera'/Norton Young Readers

« Une autre chose était avec les trains, les trains n'étaient pas encore utilisés pour déporter des gens vers l'Est, donc ce sont des sortes de « trains amis ». Comment a-t-il réussi à faire passer ces trains par l'Allemagne nazie et la Hollande ? Il y a donc de petites choses. Pour moi, c'est comme s'il y avait de petits extraits qui sont pédagogiques, d'une certaine manière. Ou historiques. Et si vous les assemblez, cela peut avoir un sens pour vous. En tout cas c’est ce que j’ai essayé de faire. »

Le livre Nicky&Vera de Petr Sís est sorti en anglais le 27 janvier dernier, sa parution en tchèque, en français et dans d’autres langues est prévue à partir de l’automne prochain.

Un site consacré à Nicholas Winton a récemment été mis en ligne : www.nicholaswinton.com