Philippe Riboton : les gouvernements et les politiques sont démunis face à la crise
Ancien patron et fondateur du feu Prague Tribune, un magazine d’information économique bilingue publié de mars 1993 à décembre 2005, Philippe Riboton est aujourd’hui le patron de HR Partners, une société de chasseurs de tête centrée sur les marchés centre-européens. A ce titre, il apparaît comme un fin connaisseur du marché du travail en République tchèque. Nous lui avons demandé son opinion sur l’évolution de ce marché et les conséquences probables de la crise économique en République tchèque.
Vous êtes un observateur privilégié du marché du travail en République tchèque. Avant d’en venir aux effets de la crise, je vais vous demander quelles sont les spécificités du marché du travail tchèque selon vous ?
« La première observation, mais qui va changer très bientôt, et qui est déjà en train de changer, est que c’est un marché de plein emploi. Pendant les 15 dernières années, on n’a jamais véritablement connu de chômage en RT. Le chômage à 2-3% était un chômage structurel qui était indépendant du contexte économique. C’est donc la première observation, mais c’est appelé à changer dans les mois et les années qui viennent. La deuxième observation est qu’il faut différencier Prague du reste de la République tchèque. On peut difficilement parler du marché tchèque ; on peut parler du marché pragois, on peut parler du marché de Brno ou de villes spécifiques mais il n’y a pas véritablement de marché tchèque de surcroît parce que Prague a été pendant très longtemps un marché extrêmement compétitif dans lequel beaucoup d’entreprises affluaient pour implanter des filiales, des bureaux, ou plus récemment ce qu’on appelle des centres de services partagés qui ont créé une demande des entreprises complètement disproportionnée par rapport à ce que serait un marché normal pour une ville de cette taille et de ce volume de population. Tout cela est appelé à changer. Globalement, la RT va donner l’image d’un marché de l’emploi plus ‘normal’. »
Est-ce que vous avez déjà vu des effets de la crise sur le marché du travail en RT ?
« Tout le monde parle de LA crise ! Nous, nous travaillons sur le marché des cadres donc je ne peux vous parlez que de ce que je connais le mieux, qui est le marché des cadres. Je ne peux pas vous parler du ‘marché de l’emploi’ au sens large du terme puisque ce n’est pas là que nous nous inscrivons. Le marché des cadres, à l’identique à mon avis du reste du marché, est en train de découvrir le chômage, ce qui est quelque chose de tout à fait nouveau. Pour la première fois, des cadres expérimentés dans tous les secteurs – financier, marketing, commercial, production, achats – découvrent la fragilité du système sur lequel ils se reposaient, puisqu’aujourd’hui les entreprises ont tendance à ‘réduire la voilure’, c’est-à-dire à réduire leur exposition au marché soit de par le fait qu’elles anticipent une décélération voire une récession, soit parce qu’elles font face d’ores et déjà sur certains marchés spécifiques que l’on connaît bien – le marché de la construction, de l’immobilier, le marché de l’automobile – à des récessions qui sont déjà tout à fait effectives et qui les obligent à modifier la taille de leurs opérations et de leurs entreprises. Et de facto, dans le cadre de nombreux projets de réorganisation, un certain nombre de cadres se découvrent à la recherche d’un travail, ce qu’ils n’avaient quasiment jamais fait parce que pendant les 15 dernières années, ils avaient été sollicités d’un poste à un autre, d’une entreprise à une autre. Aujourd’hui ils découvrent que rechercher un emploi prend du temps, que c’est difficile, que les opportunités se font plus rares et les entreprises se font plus difficiles. »
En RT, les jeunes diplômés trouvaient facilement du travail. Est-ce que vous pensez qu’ils vont être les plus directement touchés ?
« Je pense qu’ils seront définitivement touchés. Il est clair que les jeunes diplômés jusqu’à il y a encore peu de temps étaient à peine sortis de l’université qu’ils avaient déjà plusieurs offres d’emplois. Il est donc évident qu’ils vont être touchés. En revanche, je crois que pour les jeunes diplômés comme pour les cadres de direction, et comme pour les employés d’une manière générale, on va pouvoir faire la différence entre les gens qui vont véritablement se battre, les gens qui vont vouloir montrer qu’ils veulent apprendre, qu’ils veulent se développer, et les gens qui vivaient comme ça été pendant longtemps le cas, sur une espèce de crête, de vague montante porteuse et qui aujourd’hui s’arrête. Je crois qu’on va tout simplement, et sans pessimisme aucun, découvrir un marché qui sera très comparable aux marchés qu’on connaît en Europe de l’Ouest, comparable à n’importe quel autre. »
Est-ce que vous regardez ce que les gouvernements en Europe centrale prévoient de faire, quels types de mesures ils prévoient de prendre pour essayer d’empêcher l’augmentation du chômage ? Quelles sont ces mesures et vous apparaissent-elles bonnes ?
« Je regarde de plus près ce que font – ou plutôt ce que disent, plus qu’ils ne font d’ailleurs – les gouvernements tchèques et slovaques. Je crois qu’il y a de la part des gouvernements et des politiques un manque assez cruel et évident de prospective par rapport à l’impact de la crise qui les touche. On le voit à travers les discussions sur les projections de taux de croissance pour 2009 par exemple. On le voit dans l’impréparation totale des gouvernements aux flots de demandeurs d’emploi qui va arriver. Je crois qu’on voit qu’ils sont assez démunis par rapport à la situation, qu’ils se rendent compte, mais ils ne l’avouent pas encore véritablement, que la dépendance à certains secteurs industriels – je pense à l’automobile en particulier qui est là en RT mais qui est encore plus saillant en Slovaquie dans ce qu’il représente d’emplois directs mais aussi indirects. De la même manière, ces pays sont extrêmement dépendants des investisseurs internationaux, pour la bonne raison qu’ils ont vendus la plupart des entreprises à des étrangers. Aujourd’hui, je crois qu’il serait intéressant d’arriver à estimer le pourcentage d’économie tchèque ou slovaque aux mains des investisseurs internationaux, qui à travers à la fois des sociétés qui ont été privatisées dans les années 90 ou à travers les ‘greenfields’, c’est-à-dire des sociétés qui sont implantées et développées dans cette région. On voit que les gouvernements ou les politiques sont très démunis parce qu’ils ont très peu de prise sur la situation économique, sur l’économie qui s’est globalisée. Ils n’ont plus de prise sur les entreprises qui ont été privatisées ou vendues. Et en fait, tout ce qu’ils vont pouvoir faire, c’est payer, s’ils le peuvent pour l’ensemble des gens qui vont aller s’inscrire dans les caisses d’allocation chômage. »