Plus vite et plus haut avec Martin Zhor, l’alpiniste tchèque de Chamonix
Déjà auteur d’une performance remarquable en septembre dernier en réussissant son projet « Trois sommets », un défi qui consistait à gravir trois des sommets mythiques des Alpes (Mont Rose, Mont Blanc et Grand Paradis) en une seule fois, Martin Zhor en a réalisé une autre, le 27 décembre, en établissant, en 3h38’17’’, un nouveau record de vitesse de l’ascension de l’Aconcagua, le point culminant d’Amérique du Sud. Alpiniste de vitesse tchèque, Martin Zhor vit sa passion de la montagne à Chamonix depuis 2011. Vendredi dernier, au moment d’une pause à l’Aiguille du Midi, où il travaille, il a pris le temps de répondre aux questions de Radio Prague International.
« Je m’occupe des touristes qui viennent ici pour découvrir ou profiter de la montagne, car nous sommes juste en face du Mont Blanc. En hiver, je fais aussi beaucoup de déneigement, c’est donc un travail assez physique. Je m’occupe aussi de préparer l’arête sommitale qui amène les skieurs sur la fameuse Vallée blanche, qui est une voie hors-piste sur le glacier. »
Est-ce le métier rêvé pour vous ?
« Oui, même si j’ai d’autres passions encore : je suis coach sportif après avoir fait des études de physiologie du sport, en m’intéressant plus particulièrement à l’adaptation aux effets de l’altitude. C’est même ma grande passion. Je ne resterai probablement pas toute ma vie sur l’Aiguille du Midi, mais c’est un lieu magnifique dont j’entends quand même encore profiter quelques saisons. »
Vous êtes-vous installé à Chamonix parce qu’il n’était pas possible de vivre pleinement votre passion pour la montagne en République tchèque ?
« En fait, je suis venu à Chamonix pour la première fois en 1997. C’est mon père qui m’avait emmené et j’avais alors 16 ans. Nous avons gravi le Mont Blanc à deux et j’ai été impressionné par la beauté du cadre. En République tchèque, la montagne n’a rien à voir avec les Alpes (le plus haut sommet au mont Sněžka, se trouve à 1 602 mètres). Pour la ‘vraie montagne’, il faut aller dans les Tatras en Slovaquie. Mais ma famille habitait dans une région vraiment très plate. Or, j’étais vraiment passionné de montagne, entre autres après avoir lu les livres de Reinhold Messner et d’autres alpinistes de l’époque. Venir à Chamonix est donc un rêve qui s’est réalisé pour mon père et moi. Ensuite, j’ai toujours su que je voulais y revenir. C’est comme ça que j’ai décidé de m’y installer il y a bientôt dix ans. Et oui, c’était surtout de façon à pouvoir vivre ma passion pour la montagne. Mon idée était de devenir guide, mais la vie en a décidé autrement et il m’a fallu faire autre chose. Cela n’enlève rien au fait que je suis très heureux de ma situation aujourd’hui. »
En tant que sportif, comment faut-il vous présenter ? Etes-vous davantage un trailer ou un alpiniste de vitesse ?
« Je pense que je suis davantage un alpiniste de vitesse, mais c’est une discipline assez spécifique, relativement peu de monde la pratique. Certes, je cours beaucoup à l’entraînement, mais cela ne fait pas de moi un trailer. Quand je suis arrivé à Chamonix en 2011, je me suis blessé aux genoux et cela a modifié certains de mes projets, car mon idée, à l’époque, était de faire guide de haute montagne. Malheureusement, l’état de mes genoux m’en a empêché. Avant cela, l’athlétisme avait été mon sport principal, je courais donc beaucoup. Récemment, j’ai fait soigner mes blessures, ce qui m’a permis de reprendre l’entraînement. Mon travail à l’Aiguille du Midi me permet d’être mieux adapté à l’altitude que la majorité des gens. C’est pourquoi je me suis lancé dans cette forme d’alpinisme en solo. Je choisis toujours des voies sur lesquelles je me sens à l’aise. Le projet des Trois Sommets a été mon grand projet l’année dernière, avec l’ascension de l’Aconcagua. »
C’est cette dernière performance, avec un record à la clef, qui a fait le plus parler de vous… Pourquoi l’Aconcagua ?
« D’abord, l’idée des Trois Sommets était de gravir Mont Rose, Mont Blanc et Grand Paradis en une seule fois, c’est-à-dire les trois sommets de Suisse, de France et d’Italie. C’est un projet très exigeant pour lequel je me suis préparé pendant un an et demi avec beaucoup de dénivelé, de course et de montagne. Après ça, comme j’ai un contrat de saisonnier à l’Aiguille du Midi et que la saison finissait fin octobre, j’avais deux mois de libres devant moi. Je me suis bien reposé après le projet en septembre et j’avais envie de relever un autre défi. Or, Aconcagua est une montagne qui se gravit à la fin de l’année. Dans le sud de l’Hémisphère sud, l’été commence en décembre et vous avez une fenêtre jusqu’en février. Comme cela correspondait à mes congés et que la voie normale jusqu’au sommet de l’Aconcagua n’est pas technique, cela ne nécessitait pas trop d’organisation au niveau de la logistique et je pouvais faire l’ascension en solo. »Néanmoins, les sommets sont quand même plus élevés dans les Andes. Vous a-t-il donc fallu vous préparer spécifiquement à l’altitude ?
« C’était effectivement la grande question : je ne savais pas comment mon corps allait réagir en haute altitude. L’Aconcagua, c’est presque 7 000 mètres (6 962 m). Alors, certes, j’étais déjà allé au Népal il y a deux ans et demi, mais c’était juste pour du trekking (grande randonnée de longue durée avec des traversées de zones difficiles d’accès) sana gravir de sommets et je n’étais pas allé plus haut que 5 500 mètres. Malgré ça, je n’ai pas changé ma préparation. Déjà, j’ai passé le mois de novembre en République tchèque, à une altitude de 400 mètres… J’ai donc perdu mon acclimatation, mais j’avais bon espoir que mon corps réagisse vite. »
« En même temps, ne pas savoir comment j’allais réagir était comme une aventure. Battre ou pas le record était secondaire. Ce que je voulais, c’était me mesurer à un record vieux de vingt ans, du moins pour ce qui est de l’ascension depuis le camp de base de Plaza de Mulas jusqu’au sommet. »Vous avez finalement amélioré ce record d’un peu plus de deux minutes, mais votre record, malgré les données GPS, n’a pas été homologué par les autorités du Parc de l’Aconcagua. Pourquoi ?
« En fait, j’étais avec un groupe de Suédois qui ont fait l’ascension classique et on a commencé à parler de mon ascension rapide en approchant de la montagne. Mais comme il paraît que les autorités sur place ne sont pas très organisées, nous avons approché l’Aconcagua par la face est, et moi, comme j’étais en autonome, je me suis d’abord acclimaté avant de passer de l’autre côté de la montagne côté ouest, où se trouve la voie normale et le camp de base de Plaza de Mulas. Ce n’est qu’en arrivant, après avoir atteint le sommet, en bas de la vallée Horcones, où se trouve le centre touristique qui vérifie les records, que j’ai appris qu’il fallait les informer avant le départ de la tentative. C’est malheureux, mais mon permis de séjour, qui coûte 700 dollars et reste valable pour une durée de vingt jours, touchait déjà à sa fin. Je n’avais donc plus de temps de recommencer. »
« Mais ce n’est pas un drame non plus. J’ai parlé avec les responsables de skirunning.com et de fastmoutains.com, qui tiennent les records de tous les plus hauts sommets du monde, qui m’ont expliqué que les données GPS de ma montre et les photos de l’ascension, depuis le départ jusqu’au sommet, suffisaient. Le record est donc validé. »
« Les grands grimpeurs polonais m’ont aussi inspiré »
L’automne dernier, on a beaucoup entendu parler du Népalais Nirmal Purja, qui a achevé en un temps record de moins de sept mois l’ascension des 14 montagnes de plus de 8 000 mètres. Que vous inspire cette performance ?
« Je l’ai suivie depuis le début, mais ce qui était important à mes yeux, était de savoir s’il utilisait de l’oxygène. Or, cela a été le cas, et cela fait déjà plus de quarante ans que les sommets de 8 000 mètres sont gravis sans oxygène. Ceci dit, je comprends aussi les raisons, et c’est pourquoi je pense que le défi est impressionnant en termes de logistique. Mais la performance physique en tant que telle l’est un peu moins. »« L’année prochaine, je vais certainement essayer de battre le record des 82 sommets de plus de 4000 mètres dans les Alpes. Je ne le ferai pas en solo, c’est certain, parce que certaines voies sont très techniques. Je suis toujours très inspiré par les Alpes mais dans le futur, je chercherai plutôt les défis en altitude, c’est-à-dire au-dessus de 7 000 ou 8 000 mètres. »
En parlant d’inspiration et des sommets les plus hauts de la planète, il existe une grande figure historique, plus proche de la République tchèque. Il s’agit de l’alpiniste polonais Jerzy Kukuczka, surnommé « Jurek », qui est considéré comme l’un des plus grands himalayistes de tous les temps. Il a été le deuxième homme à gravir les quatorze sommets du monde culminant à plus de 8000 mètres. Vous évoquiez Reinhold Messner précédemment, mais Kukuczka vous a-t-il également inspiré dans votre jeunesse ?
« Oui, bien sûr ! J’ai beaucoup lu sur les performances de sa génération, dans les années 1970, 1980 et même 1990. Il y avait aussi des alpinistes tchèques comme Josef Rakoncaj, qui pendant près de vingt ans est resté le seul à avoir gravi à deux reprises le K2, la deuxième montagne la plus haute du monde. J’ai lu beaucoup de livres en tchèque, car c’était plus difficile de suivre les exploits polonais. Mais je dois dire que les Polonais ont des ancêtres et des alpinistes vraiment forts ! Ils s’entraînent dans les Tatras, des montagnes qui me tiennent à cœur et dans lesquelles je me rends souvent quand je rends visite à ma famille en Tchéquie. Je suis de très près tout ce qui se passe dans le monde de l’alpinisme. Je trouve aussi cette inspiration dans la génération de grimpeurs à laquelle appartient Jerzy Kukuczka. »Vous qui courrez et vous entraînez sur les sommets des Alpes, quel regard portez-vous sur l’évolution des conditions ? On parle beaucoup de l’inquiétante fonte des glaciers. Est-ce un phénomène que vous observez ?
« Bien sûr, c’est vraiment un grand problème. Cela fait presque dix ans que je vis à Chamonix. Courir sur les glaciers est toujours dangereux parce que d’année en année, il y a de plus en plus de crevasses, et cela évolue très rapidement. J’ai la chance de travailler sur l’Aiguille du Midi, une arrête qui sort du glacier, et ce dernier risque de disparaître très rapidement. Chaque année, il y a de moins en moins de neige et de glace. Mes amis alpinistes et skieurs et moi-même sommes tous très inquiets, nous en discutons beaucoup. Il fait de plus en plus chaud, et les saisons sont de plus en plus courtes : en août dernier, il faisait plus de 12° C au sommet du Mont Blanc ! C’est un sujet qui m’inquiète et dont je suis l’évolution avec une grande attention. »Que pensez-vous des longues files de gens qui attendent pour gravir le sommet du Mont Blanc. Les gens sont-ils sensibles aux problèmes ?
« Il y a effectivement beaucoup de monde sur le sommet du Mont blanc comme sur celui de l’Everest. Beaucoup de photos illustrent cela. Je ne pense pas que cela soit mal que si les montagnes attirent les gens, et qu’ils montent par les voies normales. Depuis l’été dernier, il y a des règlementations en vigueur concernant l’ascension du Mont Blanc. Je pense que les gens doivent savoir que ces montagnes souffrent de l’affluence humaine, pas sur les voies techniques mais sur les voies normales. Il faut vraiment qu’ils soient attentifs à ne pas laisser leurs déchets dans la nature et faire attention aux voies qu’ils empruntent. Nous devons, autant que possible, garder ces montagnes pures ! »