Politique ou réalité quotidienne... des caricaturistes arabes s’exposent à Prague
Depuis plusieurs années, la caricature est un moyen d’expression très populaire pour de nombreux artistes arabes. Malgré la forme ludique et drôle de leurs images, les caricaturistes témoignent souvent des problèmes graves auxquels doit faire face leur patrie, tels que la violation des droits de l’Homme, la corruption ou l’absurdité de la vie. C’est le cas par exemple de l’Irakien Abdul Raheem Yassir d’Irak, du Soudanais Khalid Albaih et de la Tunisienne Nadia Khiari, dont certaines œuvres sont actuellement présentées à Prague et à Olomouc, dans le cadre d’une exposition intitulée « La ligne de la liberté : la caricature arabe contemporaine ».
Trois artistes de trois régions différentes du monde arabe : l’exposition propose trois points de vue sur un thème très actuel et très important dans la société contemporaine, celui des droits de l’Homme. Věra Vojtíšková, de l’ONG Člověk v tísni (L’Homme en détresse), un des coorganisateurs de la manifestation, explique l’objectif de ce choix :
« Notre idée de départ était de présenter des auteurs originaires de pays qui ont vécu une évolution importante, qu’il s’agisse de la Révolution tunisienne ou des transformations en Irak suite à l’occupation, et qui reflètent dans leur création ces changements sociaux et critiquent la situation dans leurs pays. »
Parmi la cinquantaine d’œuvres présentées figurent celles d’Abdul Raheem Yassir. Cet artiste irakien, installé à Bagdad, se classe aujourd’hui parmi les caricaturistes les plus appréciés, notamment pour son questionnement sur des thèmes environnementaux et sociaux. Souvent exposée à l’étranger, comme par exemple à la biennale de Venise, la création d’Abdul Raheem Yassir s’attaque aussi au fondamentalisme islamiste.Soudanais vivant au Qatar, Khalid Albaih se focalise, pour sa part, surtout sur la critique des réseaux sociaux et sur la satire politique qui commente, de manière originale, différents événements dans les régions d’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Enfin, l’exposition propose de découvrir également une femme, l’artiste tunisienne Nadia Khiari qui a commencé à créer en 2011, en réaction à l’évolution de la situation politique dans son pays. Věra Vojtíšková :
« Nadia Khiari reflète souvent la pression de la société sur les autorités, surtout de la police, mais aussi, inversement, la contre-pression de ces autorités. Les caricatures remontant aux débuts de Nadia Khiari et à la période de la Révolution tunisienne sont excellentes. Son personnage principal est le chat ‘Willis from Tunis’ et tous les autres personnages sont des chats eux aussi. Il y a par exemple une caricature d’un grand chat qui crie à deux chatons qui se trouvent de l’autre côté d’un passage piéton : ‘Ne vous approchez pas de moi !’. Et les chatons disent en pleurnichant : ‘Mais papa…’. Au-dessous de l’image, vous trouvez des notes qui expliquent le contexte : à cette époque-là a été instauré l’état d’urgence dans la plupart des pays arabes. Les mesures prises en Tunisie interdisaient entre autres tout rassemblement de plus de trois personnes. Mais c’est quelque chose d’irréalisable, vu que la plupart des familles arabes ont plusieurs enfants… »
« Une autre caricature très importante présente le chat qui dit : ‘Rien à foutre des droits de l’Homme. Rien à foutre de la liberté. Je veux être en sécurité.’ Et un autre chat, qui est revêtu d’un uniforme policier, le met en prison et lui dit : ‘Satisfait ? Maintenant, tu es en sécurité’. Cela montre très bien la mentalité de la majorité silencieuse qui est capable de sacrifier beaucoup de ses droits et des droits des autres pour sa sécurité supposée. Mais cette sécurité est loin d’être absolue. »
Mais qu’est-ce que cette exposition peut, selon Věra Vojtíšková, apporter à un spectateur tchèque, ou plus largement européen ?
L’exposition est présentée au centre d’art contemporain DOXà Prague jusqu’au 16 janvier 2017. Parallèlement, jusqu’au 12 décembre prochain, elle est à découvrir également à la galerie du théâtre Divadlo na cuckyà Olomouc, en Moravie de l’Est.
« Malheureusement, faute d’argent, nous ne présentons que trois artistes. Mais si quelqu’un va chercher sur internet ou dans le catalogue de l’exposition dans lequel j’ai mentionné les noms des plus importants caricaturistes arabes, il verra des méthodes artistiques très différentes et très riches. Les travaux de ces artistes atteignent vraiment un niveau mondial. De plus, les caricatures en question sont très universelles. Beaucoup de ces artistes n’utilisent même pas de mots. Je crois donc que chacun qui visitera l’exposition, peu importe la langue qu’il parle, pourra s’enrichir et réussira à s’identifier à ces œuvres. »