Polka, chorales et symboles

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Le XIXe siècle ne fut pas que le siècle de la Révolution industrielle, il fut aussi celui de la polka, qui déferle sur l’Europe depuis Prague dans les années 1840 ! Au-delà de leur aspect récréatif, musique et danse ont également véhiculé, dans la Bohême et la France du XIXe siècle, de nombreuses symboliques.

Avant la grande vague révolutionnaire de 1848 en Europe, c’est à une petite révolution, dans le domaine de la danse, que contribue la Bohême avec la polka. Venue de Prague, elle s’impose dès 1840 comme un véritable phénomène de mode à Paris. Présentée d’abord sur une seule scène, pour susciter immédiatement de nombreuses émules, la polka fait la fortune du Hongrois Cellarius, qui l’enseigne à Paris.

Comme le précise Destrats, professeur de danse et érudit, dans son « Dictionnaire de la danse » en 1895 : « Il faut avoir passé l’hiver à Paris cette année-là pour se faire une idée exacte de la révolution qui explosa comme une insurrection dans tous les salons, pour saisir à quel point jeunes et vieux, mères et filles, magistrats et avocats, médecins et étudiants s’abandonnaient aux plus passionnés des ébats polkaïques ».

Et il ajoute : « Marques de vêtements d’hommes et de femmes, mets et entremets servis dans les plus somptueux dîners, tout ou presque fut rebaptisé du nom de polka. En sortant de l’école, les gamins dansaient la polka dans les rues en chantant l’air de Bohême original ».

Sous la Restauration déjà, la mode parisienne cédait à une certaine attraction pour le slavisme, avec les pantalons polonais et les gilets cosaques. Ces habits ne sont pas sans évoquer ceux que l’on verra ici et là sur les barricades de Prague en 1848. La même année, on peut aussi se procurer à Paris, en 1848, un Almanach des Polkeurs !

Au-delà des anecdotes, le succès européen de la polka a pu constituer une source de légitime fierté chez les Tchèques. D’autant plus que, dans le contexte de la Bohême du 19ème siècle, musique et danse sont également censées véhiculer l’âme nationale. D’ailleurs, les compositeurs tchèques comme Bedřich Smetana, Zdeněk Fibich ou Antonín Dvořák recherchent une authenticité « nationale » avec la polka.

Smetana ne déclare-t-il pas en 1862 : « Etant tchèque, j’organise des concerts tchèques ». Il faisait allusion aux débats sur l’utilisation des deux langues – tchèque et allemand – dans certains concerts d’oratorios à Prague. Smetana dirige la section musicale du Cercle des artistes, créé en 1863. A partir des années 1886, le Cercle décide de s’adresser à un public de plus en plus populaire.

Dans la France du XIXe siècle, la musique n’est pas une matière mise en avant dans le cadre de l’école par exemple. Lors de la réorganisation des écoles primaires en 1883, les matières obligatoires ne comprennent même pas le chant et aucun livre de chant n’existe vraiment. En un mot, l’éducation musicale n’a pas sa place à l’école.

En revanche, dans la formation des chorales, la situation est plus favorable. Dans les années 1830, Bocquillon rassemble des meilleurs élèves dans un chœur de 1 200 voix, intituté l’Orphéon ! En 1868, compte plus de 3 000 chorales disséminées un peu partout en France. Récréative, la chorale peut également prendre une dimension politique. Ainsi, à Toulouse, dans les années 1840, les chorales défilaient dans les rues en chantant, jusqu’à ce que la police le leur interdit.

L’association Hlahol,  photo: sechtl-vosecek.ucw.cz
En Bohême, la chorale prend une dimension symbolique plus nette encore. En effet, le chant choral représente une forme traditionnelle de sociabilité slave et on connaît l’importance du chant choral dans la liturgie des premiers hussites. Il existe de nombreuses chorales en Bohême, comme l’association Hlahol, créée à Prague en 1861. Certaines chorales sont organisées par branche de métier, comme la chorale des typographes, qui donne des représentions dans les restauratns de Prague. Et à Mala Strana comme à Smichov, ce sont des groupes d’ouvriers qui pratiquent le chant choral !