Pologne-Bohême : destins croisés
Une dizaine de jours après la disparition tragique du président Lech Kaczynski et de nombreux dignitaires polonais, nous revenons aujourd’hui sur les relations entre Pologne et Bohême au long de l’histoire. Des rapports très étroits, empreints souvent d’une communauté de destin mais aussi de rivalités.
Le président tchèque Václav Klaus témoignait il y a environ une semaine, suite au décès du président polonais. Quant aux relations tchéco-polonaises auxquelles il fait allusion, elles ne remontent pas à l’après-communisme...
C’est à une dynastie polonaise, les Jagellon, qu’échoit, au XVIe siècle, la couronne de Bohême. Vladislav II Jagellon, fils aîné du roi de Pologne Casimir IV, devient roi de Bohême en 1471 (et de 1490). C’est la veuve du roi tchèque Georges de Poděbrady qui aurait proposé son nom. Louis de Jagellon, fils de Vladislav II et d’Anne de Foix, lui succède en 1506.
Bien sûr, l’aristocratie et les ordres tchèques veillent à conserver leur indépendance et le choix de Vladislav II comme souverain est justifié par son caractère réputé influençable. Vladislav II comme son fils ne pourront pas grand chose contre les décisions de la noblesse tchèque mais ils auront consolidé l’oeuvre de stabilité, entreprise par Georges de Poděbrady après des décennies de conflits hussites et de guerre civile.Du XVIIe au XXe siècle, entre mondes germaniques et russes, la Bohême et la Pologne partagent une difficulté commune : celle d’un voisinage parfois encombrant... Mais en Bohême, tenue en main par les Habsbourg, le royaume est, au pire, relégué à un certain provincialisme en Europe. De la Montagne blanche en 1620 jusqu’à l’indépendance en 1918, les Tchèques cultivent leur langue et leur culture.
Rien à voir avec la Pologne, qui disparaît tout simplement de la carte européenne pendant un siècle et demi. Sur la base de trois traités de 1772 à 1795, la Prusse, l’Autriche et la Russie se partagent la Pologne, qui n’existe officiellement plus.Au XVIIIe siècle, la noblesse polonaise refusait l’évolution vers la centralisation de l’Etat, en cours dans la monarchie d’austro-bohême comme en France ou en Angleterre. Ainsi, elle perpétuait le système médiéval d’oligarchie nobiliaire, le roi dépendant de la Diète. Ce faisant, elle affaiblissait l’Etat et offrait indirectement la Pologne aux appétits de voisins ambitieux.
La période a dessiné deux évolutions distinctes quant au rôle de la noblesse. En Bohême, la domination autrichienne a en quelque sorte dénationalisé la noblesse tchèque, vivant souvent à Vienne et perdant son rôle d’élite dans la société. D’où l’importance, en l’absence d’une élite militaire, de la culture dans le façonnement de l’identité nationale.En Pologne, l’aristocratie a fragilisé les bases de l’Etat mais a su rester un modèle pour la nation. Elle s’illustrera régulièrement, comme héros ou martyr, dans l’histoire de la Pologne à ses heures les plus dramatiques : lors des révoltes du XIXe siècle contre les Habsbourg ou dans le corps des officiers pendant la Seconde Guerre mondiale.
Jusqu’à la première guerre mondiale, Pologne et Bohême partagent des contraintes géopolitiques assez communes. A partir de 1918 et des indépendances de la Pologne et de la Tchécoslovaquie, ces points communs se transforment en rivalité. Une rivalité qui n’exclut pas des conflits armés localisés.
Ainsi à Těšín, un territoire revendiqué par les deux pays. Suite à l’occupation polonaise de Těšín, Orava et Spiš en novembre 1918, un accord est négocié entre la Pologne et la Tchécoslovaquie. Mais cette dernière le dénonce – l’accord est effectivement défavorable à la partie tchèque. Imposant alors leur souveraineté sur Těšín, les Polonais y organisent des élections à la Diète locale. Le gouvernement de Prague répond en envoyant une armée commandée par des officiers de l’Entente. Forte de ses opérations militaires avec l’Entente (France, Angleterre, Etats-Unis) pendant la guerre, les légions tchécoslovaques avaient tissé des liens étroits avec les officiers de ces pays. Après sept jours de combats, en janvier 1919, les troupes polonaises sont contraintes de repasser la Vistule et le territoire est placé sous contrôle international. C’est finalement le 28 juillet 1920 qu’un accord définitif est signé. Těšín est partagée symboliquement entre les deux Etats. De son côté, la Bohême reçoit l’est de la région ainsi qu’une partie d’Orava et de Spiš.Mais l’incident n’en provoque pas moins des tensions durables. Ainsi, dans les années 1920, la Tchécoslovaquie ne partage pas le souhait de la France d’inclure la Pologne dans la Petite Entente. Réunissant la Tchécoslovaquie, la Roumanie et la Yougoslavie, cette coalition défensive des Etats d’Europe centrale et balkanique est dirigée contre l’expansionnisme hongrois. Elle permet également de combler le vide laissé dans la région par l’effondrement de l’Empire austro-hongrois.
Toute proportion gardée, la crispation tchécoslovaque contre l’entrée de la Pologne dans la Petite Entente dans les années 1920 rappelle celle d’un de Gaulle, 40 ans plus tard, vis-à-vis de la Grande-Bretagne et de son entrée dans la CEE !
Au final, ce sont de nombreux points communs qui unissent les histoires des Polonais et des Tchèques. Mêmes années de renaissance nationale : 1918 et 1989 et bien sûr une destinée commune dans le Bloc de l’Est après 1945, avec des relations entre dissidents mais aussi entre groupes de rock clandestins, des années 1960 aux années 1980. La signature du Pacte de Visegrad en 1991, entre la Pologne, la Hongrie et la Tchécoslovaquie, symbolise une alliance nouvelle plutôt que retrouvée.Et puis il faut rappeler que c’est un missionnaire tchèque, le futur Saint-Adalbert, qui aura participé, au début du XIe siècle, à la christianisation de la Pologne. Ainsi, la solide tradition catholique polonaise vient en partie de Bohême alors qu’aujourd’hui, les Tchèques se disent en majorité athées. Ce n’est pas le moindre des paradoxes des relations entre ces deux Etats-frères et parfois rivaux.