Těšín : l’histoire d’une ville scindée en deux

Cieszyn et Český Těšín (à droite), photo: Darwinek, CC BY-SA 3.0

Au printemps dernier, lors de la première vague de Covid-19, ils avaient fait parler d'eux, en organisant des manifestations réclamant la réouverture de la frontière tchéco-polonaise : eux, ce sont certains habitants des communes limitrophes de Český Těšín, côté tchèque, dans l’est du pays, et de Cieszyn, côté polonais. A l'époque, les habitants souhaitaient pouvoir rendre visite aux membres de leurs familles et à leurs amis vivant de l’autre côté de la frontière, chose soudain devenue impossible en raison des mesures prises par les gouvernements des deux pays pour enrayer la propagation du coronavirus. Cet événement a priori anecdotique est l'occasion de se plonger dans la longue histoire commune de ces deux villes jumelles, ou de cette ville scindée en deux, uniquement séparée par la rivière Olza.

En Europe, il existe actuellement peu de villes divisées. Si jadis Berlin en a représenté l'archétype, les rares exemples qui subsistent aujourd'hui témoignent en général d'un conflit latent, toujours existant et de l'impossibilité de trouver un dialogue commun. C'est le cas de Nicosie, à Chypre, où d'un côté on parle grec, et de l'autre turc. A Mitrovica, au Kosovo, les Albanais représentent la population majoritaire, mais les Serbes restent le groupe dominant dans le nord de la ville.

La frontière tchéco-polonaise,  photo: Vít Pohanka

Sur la frontière tchéco-polonaise, la ville de Těšín/Cieszyn est un rare contre-exemple de bonne gestion de la mémoire commune et de dialogue inter-communautaire. Même si à la différence des cas chypriote et kosovar, l'aspect religieux est fort heureusement absent, ce qui explique aussi sans doute en partie cette entente plus que cordiale.

Autrefois, un tramway reliait la gare centrale de Český Těšín au Pont de l'Amitié (Družba en tchèque, Przyjaźni en polonais), reliant ainsi les deux villes. La partie ouest de la ville s'appelle Český Těšín depuis 1920 et un tiers de la population, essentiellement ouvrière, y vivait après la Première Guerre mondiale.

Český Těšín dans les années 1920,  photo: Archives de Musée de la région deTěšín

Côté polonais, voilà Cieszyn : cette partie de la ville a toujours été plus densément peuplée et c'est là que se trouve également la place historique. Derrière ce fameux Pont de l'Amitié, on peut voir le château avec sa rotonde romane et la tour médiévale de la dynastie des Piast. C'est au Moyen Age qu'il faut chercher les racines des futures querelles sur l'appartenance de ce coin de Silésie – aux Tchèques ou aux Polonais.

David Pindur,  photo: ČT

La dynastie des Přemyslides est la famille princière fondatrice du royaume de Bohême, celle des Piast l'est de même en Pologne. Ces deux grandes familles étaient alors inextricablement liées. David Pindur est historien au Musée de la région de Těšín :

« Těšín a été pendant des siècles le siège de cette lignée des Piast. Ils y avaient leur château qui leur servait de résidence princiaple. En 1327, le prince polonais Casimir Ier a offert toute la principauté en fief au roi de Bohême Jean de Luxembourg, ce qui a été confirmé par l'accord de Trenčín en 1335. »

Český Těšín dans les années 1920,  photo: Archives de Musée de la région deTěšín

La lignée des Piast de Cieszyn s'éteint au XVIIe siècle, et l'ensemble de la principauté en revient ainsi totalement à la couronne de Bohême. Seulement, à l'époque, les Habsbourgs dominent les pays tchèques. Si au XVIIIe siècle, l'impératrice Marie Thérèse perd la majeure partie de la Silésie dans la Guerre de Succession d'Autriche, il lui reste toutefois une petite partie composée des régions d'Opava et de Těšín. Cet état de fait a eu un impact direct sur le développement de la ville et de ses environs, selon David Pindur :

« Leur domination sur la région a entraîné un essor économique et industriel. L'exploitation du charbon a été développée. La région a été reliée par une ligne de chemin de fer qui rayonnait dans différentes directions. Les mines, les usines métallurgiques, les fabriques, l'exploitation du bois dans les Beskydes – tout cela a joué un rôle majeur dans les futures querelles autour de la région de Těšín. »

La guerre de Sept jours

La situation se complique en effet après la Première Guerre mondiale, l'effondrement de l'empire austro-hongrois et la création d'une Tchécoslovaquie indépendante et d'une Pologne tout aussi autonome. L'impossibilité de trouver une solution viable a même conduit à une guerre de quelques jours entre les deux pays en 1920.

Le cas de Těšín ne trouve finalement sa résolution qu'après la conférence de Spa en juillet 1920 où, suite au Traité de Versailles de 1919, les Alliés se retrouvent pour « discuter de l’application pratique du chapitre des réparations » après le premier conflit mondial. La conférence établit la frontière actuelle. La ville est divisée depuis, tout comme les environs.

Jaromír Nohavica,  photo: Vít Pohanka

Jaromír Nohavica est un chansonnier tchèque très populaire, dans son pays, mais aussi hors de ses frontières, comme en Russie, et bien sûr en Pologne voisine. Il se sent particulièrement proche des deux cultures car il a lui-même vécu et travaillé à Těšín. Pourtant, sa vision de la ville est plutôt pessimiste :

« C'est une histoire triste qui à une suite compliquée. Je ne suis pas sûr que la ville ait surmonté sa séparation ni même son jumelage actuel. Il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans cette ville. C'est dur pour moi de dire cela : je suis attaché à Těšín. Cela me fait l'effet d'un couple divorcé, encore aujourd'hui. »

Poète et traductrice, Renata Putzlacher-Buchtová a une vision diamétralement opposée à celle de Jaromír Nohavica. Même si elle enseigne depuis des années à l'Université Masaryk de Brno, au département des études polonaises, c'est à Těšín qu'elle se sent vraiment chez elle, que ce soit côté tchèque ou côté polonais.

Vít Pohanka avec Renata Putzlacher-Buchtová,  photo: Vít Pohanka

« Pour moi cette ville jumelle de Český Těšín-Cieszyn est toujours une seule et même ville. Mes grands-parents paternels, les Putzlacher, ont déménagé côté tchèque en 1939 au moment où Těšín a de nouveau été une seule et même ville après l'occupation de la Pologne. De leur point de vue, ils n'ont pas déménagé dans un autre pays. Dans les années 1960, mon père a épousé ma mère qui était polonaise. Pour moi, c'est une seule et même petite patrie. Je ne réfléchis pas du tout en termes de côté tchèque et côté polonais. »

La rivière Olše à Český Těšín,  photo: Vít Pohanka

C'est l'entrée de la Tchéquie et de la Pologne dans l'espace Schengen en 2008 qui a vraiment changé la donne : depuis cet événement majeur, la frontière a quasi disparu si l'on excepte la rivière et les panneaux indicateurs qui rappellent l'existence de deux pays limitrophes.

Tchèques et Polonais peuvent aujourd'hui librement circuler de part et d'autre, pour le travail, pour les loisirs, le tourisme, la culture et les relations amicales ou familiales. Si la divison de la ville en 1920 a toujours été considérée comme une blessure par les locaux, depuis 2008, il n'a jamais été aussi facile de renouer avec le passé où les deux communes partageaient un même destin. On comprend ainsi mieux que le retour de la frontière physique au printemps dernier, en lien avec les mesures sanitaires décrétées pour enrayer l'épidémie de coronavirus, ait été si mal vécu par une partie de la population...

Český Těšín,  photo: Vít Pohanka
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Auteurs: Vít Pohanka , Anna Kubišta
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