« Pour Féliciter » : mais pourquoi donc ?

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Vous le savez bien, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Alors, si vous n’avez pas encore envoyé vos cartes de vœux pour la nouvelle année, et que cela vous ronge et vous donne des remords, il est encore temps. A moins que pour l’heure vous préfériez attendre l’année prochaine… C’est aussi une solution. Mais peu importe… Ce qui nous importe plutôt, c’est ce que les Tchèques inscrivent très souvent sur ces cartes de vœux. Ils y inscrivent en effet un petit « PF » bien énigmatique pour tous ceux qui ne sont pas tchèques. Un « PF » qui signifie… « Pour Féliciter ». Oui, oui, en français dans le texte. Et pourtant, aussi paradoxal que cela puisse paraître, on aurait presque envie de dire qu’il s’agit aujourd’hui plus d’une formule tchèque que française. On est tombés sur la tête, nous direz-vous ? Les bulles du « champagne tchèque » consommées au Nouvel An nous sont montées à la tête et y sont restées depuis ? Eh ben non ! Que nenni. Explications…

« PF 2013 ». Voilà ce qui, pour cette édition 2012-2013, figurait sur un grand nombre de cartes de vœux envoyées et reçues par les Tchèques. Un code secret ? Les initiales d’une Petra Fraňková ou d’un Pavel Forman suivies du numéro de l’année qui commence ? Vous n’y êtes pas du tout, chers amis. Il s’agit d’une abréviation qui signifie « Pour Féliciter 2013 ». Si on considère la chose dans son sens littéral, cela n’a aucun sens. En effet, comment peut-on féliciter une année, aussi bonne, nouvelle et belle soit-elle espérée ? Car on a quand même vérifié pour être sûr de ne pas dire de sottises. Or, selon le Petit Larousse illustré en pièces détachées qui traîne depuis des années dans nos bureaux, en français le mot « féliciter » possède deux sens, à savoir complimenter quelqu’un pour ce qu’il a fait, un succès par exemple, et témoigner à quelqu’un que l’on partage la joie que nous cause un événement heureux. Par exemple, nous félicitons des jeunes mariés ou les parents d’un nouveau-né. Mais féliciter une nouvelle année ? Ou même se féliciter parce que l’on entre dans une nouvelle année ? D’accord, on peut éventuellement se réjouir qu’une année s’achève et qu’une autre annonceuse peut-être de jours meilleurs commence, mais ce n’est quand même pas une raison pour nous féliciter les uns les autres. En d’autres termes, une nouvelle année arrive et nous n’y sommes absolument pour rien. C’est un fait inéluctable que nous ne pouvons influencer de quelque manière que ce soit, alors pourquoi s’en émouvoir et se féliciter ?

Sachez donc que pour les Tchèques, « Pour Féliciter » est une façon de se souhaiter une bonne et heureuse nouvelle année. Toutefois, cette formule n’est jamais employée à l’oral et ne figure que sur les cartes de vœux. Vous n’entendrez jamais un Tchèque vous dire « Pour Féliciter » pour vous souhaiter une bonne année. Au moment de vous serrer la main ou de vous faire la bise, il ou elle vous dira généralement plutôt « Šťastný Nový rok », littéralement « Heureuse nouvelle année ».

Ce fameux « PF » n’apparaît donc que sur les cartes que les Tchèques appellent (tenez-vous bien) « péefko » : une sorte de néologisme possible grâce à la transcription phonétique des deux lettres que sont P et F à laquelle on ajoute, procédé courant de la langue tchèque, le suffixe « -ko ». Précisons néanmoins que « péefko » n’est qu’un mot familier du langage parlé et que le mot « officiel » pour désigner les cartes de vœux de la nouvelle année est « novoročenka ».

Karel Chotek
Bon, mais tout cela ne nous explique pas comment, et c’est quand même là l’objet de cette rubrique consacrée au sujet, cette formule française « Pour Féliciter » est apparue dans la langue tchèque. En fait, à l’origine, il semble qu’il s’agissait d’une… excuse. Alors, pour mieux comprendre, il faut remonter à 1827 et trouver trace à Prague d’un certain comte répondant au nom de Karel Chotek, un aristocrate donc qui, paraît-il, était à l’époque un haut fonctionnaire de l’Empire austro-hongrois et le plus grand burgrave de Bohême. Voilà pour les présentations d’usage… Bref, Karel était un homme très occupé contraint de répondre à des tas d’obligations et qui, de ce fait, s’efforça une bonne fois de trouver un moyen pour éviter de rendre visite, comme le voulait la coutume, à tous ses amis et connaissances pour leur présenter ses vœux de nouvelle année. En même temps, Karel, sans doute très attaché à sa réputation, ne voulait pas passer pour un malpoli, voire pire un malotru. L’idée lui vint donc de faire imprimer des petites cartes avec un texte de vœux, petites cartes qu’il fit envoyer à tous ceux auxquels il n’avait pas ou ne pourrait pas rendre visite pour la nouvelle année. Et c’est ainsi qu’apparurent donc les cartes de vœux - « novoročenky » dans les pays tchèques.

Bon d’accord, mais on vous sent un peu impatients, et quid de ce « Pour Féliciter », nous direz-vous ? Eh bien, c’est le même comte Karel qui aurait inscrit la formule sur ses petites cartes à la fois de vœux et d’excuse. Au XIXe siècle, le français faisait encore partie du bagage indispensable dans l’éducation des couches sociales les plus élevées. Or, il semble que cette formule de souhait soit issue du français royal, ou français de la cour, où elle était inscrite au dos des cartes de visite comme message que l’on laissait, par exemple avec un bouquet de fleurs, lorsque l’on rendait visite à une personne qui justement était absent au moment de notre passage. En France, cette formule est ensuite tombée en désuétude, sans que l’on sache très bien ni quand ni pourquoi. Néanmoins, elle est restée en usage dans la bonne société tchèque, et à en croire les sources dont nous disposons, ce serait donc le comte Karel Chotek qui l’aurait popularisée lors de cette fameuse année 1827 où il n’avait pas le temps d’aller rendre personnellement visite à ses connaissances pour leur souhaiter de vive voix « Šťastný Nový rok ». Et depuis, « Pour Féliciter », devenu « PF » et « péefko » s’est répandu à l’ensemble de la société tchèque, bonne ou moins bonne, parlant et comprenant le français ou pas, comme c’est aujourd’hui plus généralement le cas.

Voilà, voilà… Nous espérons que les choses sont désormais un peu plus claires, et que les Français comprendront de quoi il en retourne le jour où ils recevront une carte de vœux pour la nouvelle année avec l’inscription « Pour Féliciter ». Ils sauront qu’il s’agit d’une carte envoyée par un Tchèque qui veut leur souhaiter une bonne année sans même savoir, dans l’immense majorité des cas, pourquoi il utilise pour cela une expression française. Mais ainsi le veut l’usage en République tchèque… On se retrouve dans quinze jours pour découvrir d'autres curiosités de la langue tchèque. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp!, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj!