Pour la génération post-1989, moins de nostalgie, plus de vision d’avenir
Les Tchèques en font-ils trop tous les ans avec les commémorations du 17 novembre 1989 ? La question a été posée récemment sur le site Seznam Zprávy par une jeune journaliste née après la révolution de Velours. Le 10e anniversaire de la disparition du principal artisan de la transition démocratique en Tchécoslovaquie, Václav Havel, était donc l’occasion d’évoquer avec Eva Soukeníková le rapport de la jeune génération avec ces événements, mais aussi avec ce que l’ancien dissident et président tchèque représente pour celle-ci.
Eva Soukeníková, en novembre dernier, quelques jours avant l’anniversaire de la révolution de Velours, vous avez publié un article intitulé de manière un peu provocatrice : « Célébrer le 17 novembre ? Ok Boomer ». Dans ce texte, vous estimez que ces célébrations annuelles commencent à avoir un arrière-goût d’histoire sans fin et de répétition à l’infini, sans perspective d’avenir. Qu’est-ce qui vous amenée à écrire ce texte ?
« Chaque année, aux alentours du 17 novembre, je réfléchis sur cette date. Les événements du 17 novembre 1939 sont vraiment graves, mais lointains, ceux de l’année 1989 sont encore très vivants. Surtout pour la génération de mes parents. C’est tout à fait naturel : ils sont les vrais héros et héroïnes de la révolution. Néanmoins, cette génération est aussi souvent convaincue du caractère absolu de leurs opinions. Et d’une certaine façon, les célébrations annuelles de cet événement le sont aussi : il y a une forme de rigidité, chaque année on se retrouve avec des célébrations similaires. Mon texte visait à rappeler qu’il existe aussi la génération post-communiste qui a ses propres problèmes. C’est vrai que j’aime bien aussi lancer une petite controverse. Mais je crois que les lecteurs ont remarqué cet article, donc c’est un petit succès. »
Vous êtes justement issue de la génération qui n’a pas connu le régime communiste, que représente pour vous Václav Havel disparu il y a de cela 10 ans ?
« Je suis née en 1992 donc j’ai d’une certaine façon grandi avec Václav Havel pendant toute mon enfance. Je connaissais son nom de l’école, je savais que c’était monsieur le président. Je voyais aussi mes parents et je sentais leur immense respect pour sa personne. Plus tard, au lycée, nous avons lu ses pièces de théâtre. Je me souviens très bien du moment où Václav Havel est mort. Pour moi aussi, il est important et sa disparition était quelque de chose de grave et de triste. Néanmoins, c’est après sa mort que j’ai commencé à plus m’intéresser à sa politique dans les années 1990, à ses textes philosophiques. Et je dois dire que ça me permet de prendre un peu de distance aussi, je dirais. »
Dans votre texte, vous estimez que ces célébrations répétées d’année en année ont un côté, disons, absurde, comme si Václav Havel lui-même avait écrit le scénario ? En quoi ?
« Je pense que cela réside surtout dans la répétition, et surtout dans les phrases des hommes politiques anciens et actuels : les grands mots comme la démocratie, la vérité, l’amour, la justice me paraissent vides de sens, sans action concrète derrière. Or c’est quelque chose qu’on retrouve justement dans les textes de Havel : la répétition des choses, si vide de sens qu’elle en devient absurde. »
Ce texte a suscité quelques polémiques, des réactions enflammées de gens qui ont connu cette période notamment. Les comprenez-vous ?
« Bien sûr, je les comprends très bien : j’ai osé critiquer quelque chose qui est sacré dans notre société ! C’est leur victoire, et voilà qu’une fille sortie de nulle part ose dire : Attendez, ouvrons un débat sur cette question. Mais bien sûr, j’ai un immense respect pour tous ces gens. »
Václav Havel lui-même semble être toujours parvenu à prendre de la hauteur par rapport aux événements historiques, à les mettre en perspective, et à poser un regard souvent ironique mais précis sur les choses. Que pensez-vous qu’il aurait dit de votre réflexion ?
« C’est vraiment difficile ! Ma première réaction à cette question, c’est : ce ne serait même pas possible que Václav Havel lise mon texte même s’il était encore vivant. Mais j’ose espérer qu’il aurait été ouvert à la discussion. »
L’hebdomadaire Respekt de cette semaine pose cette question en couverture : Václav Havel nous manque-t-il ? Je vous pose aussi cette question : manque-t-il à la société tchèque et à la nouvelle génération post-1989 ?
« Je ne suis pas sûre que ce soit une personne qui manque à notre société. De manière générale, je n’aime pas trop le culte de la personnalité. Ce qui nous manque, c’est plutôt le respect vis-à-vis des autres, vis-à-vis des minorités, c’est l’humanité et des actes concrets, et enfin c’est la confiance en nous qui nous fait défaut. Mais ce n’est pas une personne en particulier. »