Pour une philosophie du dialogue

Tomáš Halík
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Cette semaine, Tomáš Halík, prêtre, philosophe et théologien, a obtenu le prix Romano Guardini qui est décerné tous les deux ans par l’Académie catholique de Bavière, pour d’excellents mérites en rapport avec l’interprétation de notre époque. Il est le premier Tchèque à obtenir ce prestigieux prix qui a été attribué dans le passé, notamment, au Prix Nobel de physique Werner Heisenberg, au compositeur Carl Orff ou encore à l’ex-président allemand Richard von Weizsäcker. C’est le chef de la diplomatie tchèque Karel Schwarzenberg qui a été chargé de la "Laudatio". L’édition de samedi dernier du quotidien Lidové noviny a publié le texte intégral de l’intervention que le lauréat a prononcé à cette occasion et dont nous avons choisi pour vous quelques extraits.

Tomáš Halík
Tomáš Halík considère l’obtention du prix Romano Guardini comme une appréciation de toute la pensée tchèque qui a, d’après ses propres paroles, beaucoup à offrir à la culture chrétienne européenne, en dépit de l’étiquette de la nation la plus athée du monde qui lui est si souvent collée. Quelques jours avant la remise de ce prix, il a été invité à la Télévision tchèque. Une occasion pour lui de formuler en bref les principaux défis de notre époque.

« Dans mes livres, je cherche à créer une philosophie du dialogue. J’estime que le dialogue des cultures constitue un élément particulièrement important du monde d’aujourd’hui. Créer des ponts entre les gens, percevoir le monde, aussi, par les yeux des autres est pour moi essentiel et c’est un défi qui est au cœur de l’intérêt de mes livres et de mes discours et conférences. Il s’agit aussi de montrer que nous ne sommes pas les propriétaires d’une seule vérité, mais que nous sommes tous en route. Nous apercevons les choses d’une certaine perspective et il nous faut les autres pour compléter cette perspective. Le prix que je reçois est à mon sens une sorte d’appréciation de ces efforts en faveur d’un dialogue au sein de la société ».

« Attention aux paroles si elles sont à terre ». Tel est l’intitulé d’un des passages de l’intervention que Tomáš Halík a préparée pour la cérémonie de remise à Munich du Prix Romano Guardini et dont le texte est publié dans les pages du quotidien Lidové noviny. Nous citons :

« Ce qui m’inquiète tout particulièrement, c’est la sacralisation et la démonisation qui s’imposent dans la politique et qui ouvrent entre autres la porte à la violence à motivation religieuse », écrit Tomáš Halík en développant plus loin son idée :

« Toujours lorsque les gens commencent à utiliser dans leurs polémiques politiques ou conflits d’opinions la rhétorique religieuse, lorsqu’ils perçoivent leurs adversaires comme des démons (le Grand Satan, l’Empire du Mal etc.), lorsqu’ils projettent sur leurs adversaires leurs propres démons, leurs ‘ombres’, ou encore leurs caractéristiques négatives non avouées, les conflits d’opinions risquent de se transformer en de véritables conflits dévastateurs. On ne saurait s’entendre avec ‘le grand Satan’, il faut le détruire. » Et de continuer :

« Justement le monde moderne qui sous-estime la religion (y compris ses potentielles forces destructrices) joue trop souvent et avec trop de légèreté avec le discours et les symboles religieux, en particulier au moment où il les utilise ‘seulement comme des métaphores’ lors des polémiques politiques. »

« Celui qui est pleinement conscient de la puissance de la religion, de la langue et des symboles reconnaît que les notions religieuses en apparence innocentes devraient être munies d’inscriptions d’avertissement comparables à celles que l’on trouve sur les panneaux d’électricité : « il ne faut pas toucher aux fils électriques même s’ils sont à terre », écrit l’auteur avant de conclure :

« Lorsque les notions et les symboles qui ont évolué dans le contexte des grandes traditions spirituelles sont utilisés dans le contexte des combats politiques, on voit naître une nouvelle religion où le sacré se transforme en démoniaque, les dieux en monstres. »

C’était donc une partie de l’intervention que Tomáš Halík a prononcée en recevant le prix attribué aux éminents intellectuels européens. Ecoutons encore ce qu’il a récemment déclaré au sujet du rôle que l’Eglise est appelée à jouer aujourd’hui :

«Aux temps modernes, l’Eglise doit représenter une voix compétente intervenant dans un débat libre sur les questions morales fondamentales de notre époque. Prenons l’exemple de la crise économique. Elle prouve clairement qu’en cas de non respect des valeurs éthiques élémentaires, tout s’écroule, y compris l’économie. L’accent mis sur les valeurs de la morale, sur la justice sociale, sur l’éthique dans l’entreprise, autant de sujets qui sont au cœur de l’intérêt de l’Eglise. Elle doit aussi satisfaire et répondre à beaucoup de gens qui ont une grande soif de spiritualité et qui cherchent des aspects spirituels, méditatifs, contemplatifs de la vie.»