Quadriennale de Prague : une prise de conscience écologique dans le monde de la scénographie

Le pavillon français de la Neuvième Ecole, photo: Anna Kubišta

Jusqu’au 16 juin prochain, la Quadriennale de Prague propose une plongée dans les réflexions, les questionnements, les recherches qui animent les scénographes contemporains. Avec 79 pays représentés, la Quadriennale est l’occasion pour les professionnels et les étudiants de partager en un même lieu les idées et les nouvelles tendances qui animent le milieu de la scénographie. Pour cette 14e édition, l’écologie est un thème récurrent qui suscite la réflexion des créateurs. Visite guidée avec Radio Prague.

Parc des Expositions de Prague,  photo: Anna Kubišta

Le pavillon russe,  photo: Anna Kubišta
Parc des Expositions de Prague. C’est là que se déroule la Quadriennale de Prague, le rendez-vous de la scénographie mondiale. A deux pas du pavillon russe, impressionnante installation sonore et visuelle, qui plonge le visiteur dans un univers sombre de forêt avec des personnages un peu inquiétants, se trouve le pavillon québécois. Plus modeste, il bénéficie tout de même d’une espace à part entière, à côté de celui du Canada anglophone.

« Je m’appelle Mélanie Robinson, je représente le pavillon du Québec à la Quadriennale de Prague 2019. »

Présentez-nous en quelques mots le pavillon québécois…

« C’est une réflexion sur l’avenir du métier de la scénographie, basée surtout sur l’urgence de changer nos méthodes. On parle beaucoup d’écologie. »

J’ai l’impression que c’est une thématique très importante cette année, et pas que pour votre pavillon…

Mélanie Robinson,  photo: Anna Kubišta
« Je pense que tout le monde se rend compte qu’il faut changer nos façons de faire, au Québec entre autres. Au théâtre, quand on crée, les plâtres finissent presque toujours dans une benne à ordures à la fin. On essaye de trouver un moyen de rester créatif, d’innover tout en modérant ce gaspillage. La réflexion s’articule donc sur la question : comment continuer à créer mais d’une autre façon, en respectant mieux notre planète ? »

Alors, ça veut dire quoi ? Le maître-mot est : économie de moyens ?

« Peut-être pas économie de moyens mais repenser nos moyens. Par exemple, est-ce qu’il n’est pas possible de créer quelque chose qui, ensuite, pouvoir être réutiliser encore et encore ? Est-ce qu’on a intérêt à réutiliser les matériaux, à créer des ressources communes comme des coopératives où on pourrait se fournir pour les différentes productions ? Est-ce qu’on a intérêt à tisser des liens plus serrés entre les différentes compagnies de théâtre pour se prêter des choses ? On est dans cette réflexion-là. »

On quitte l’aile droite du Palais des Expositions, pour prendre la direction du pavillon Křížík, construction plus moderne que le bâtiment historique de Výstavistě. Rendez-vous est pris devant une proposition d’installation scénographique venue de Roumanie :

« Je suis George Banu, j’ai enseigné les études théâtrales à la Sorbonne, et je me suis souvent occupé des questions d’espace. »

Que peut-on voir au pavillon roumain et comment a-t-il été conçu ?

« Il a été construit à partir de l’idée que dans le théâtre on ne conserve pas les décors, qu’il n’en reste que des bouts et qu’au fond, ce que peut faire un metteur en scène c’est de faire un spectacle avec une scénographie et que le scénographe peut collecter les restes, ce que j’appelle les ruines du théâtre. On retrouve ici des éléments de différents spectacles, de différentes scénographies signées par cet artiste formidable, Dragos Buhagiar. L’installation est placée sous le signe du théâtre puisqu’on a des deux côtés le rideau qui désigne le théâtre. Le tout prend une dimension plus onirique, plus fantasmatique grâce au reflet des miroirs. Au fond, ce qui reste du théâtre, c’est un rêve. »

L'installation scénographique venue de Roumanie,  photo: Anna Kubišta

Non loin du pavillon roumain, une mélodie au piano attire l’oreille du visiteur. Bienvenue au pavillon français. La France, absente de la Quadriennale depuis 2003, signe là son grand retour. Scénographe et metteur en scène Philippe Quesne, est à l’origine du projet :

Le pavillon français,  photo: Anna Kubišta
« Ce pavillon s’appelle Microcosme. C’est un travail qui met en jeu des objets de certains spectacles. Il se présente sous la forme d’une sorte de salon que les spectateurs observent par des baies vitrées. C’est un pavillon que les gens regardent de l’extérieur, un peu comme un terrarium. Le spectateur est un peu complice, voyeur… qui n’ose pas rentrer pour ne pas déranger ces créatures qui sont en fait des matériaux très simples : du papier, du polystyrène, de la mousse, de la fourrure, du carton, des matériaux bruts que le scénographe ou décorateur a l’habitude d’utiliser. Ces matériaux ‘assistent’ à un concert de piano automatique. C’est un travail d’automate, presque de théâtre d’objets animés. C’est un pavillon dont on m’a confié la réalisation et qui est vraiment issu de mon univers de micro-mondes. J’aime bien mettre en scène au théâtre des petites communautés qui arrivent à s’entendre, à trouver des solutions sur la terre. Ici ce sont des formes abstraites, mais ce sont presque des personnages. Ils ont tous leur personnalité. »

Puisque vous parlez des matériaux : cette matière brute est évidemment importante pour créer une scène. De l’autre côté du pavillon il y a un néon qui dit ‘No future, no nature’. Ce thème de l’écologie, on le retrouve dans de nombreux pavillons de la Quadriennale…

Inauguration du pavillon francais,  photo: Anna Kubišta
« C’est vrai. C’est très impressionnant de découvrir les autres pavillons. Il y a une tendance, et c’est normal : l’humain est inquiet, avec des catastrophes innombrables, des problèmes climatiques plus qu’annoncés. C’est peut-être le rôle des artistes d’éveiller à une poésie de l’inquiétude, de la mélancolie. Beaucoup de pavillons sont en effet réalisés à partir de matériaux naturels, ou issus du monde de la récupération, ou encore avec une présence de la nature. Ça ne m’étonne pas : l’art ne peut pas sauver le monde, mais l’art souvent anticipe et ressent les pulsations d’une planète qui n’est pas en bonne santé. »

La tradition de la scénographie tchèque est importante ce qui explique aussi un peu pourquoi la Quadriennale est née ici en 1967. Dans quelle mesure cette tradition est-elle connue en France ?

« Assez peu, je trouve. J’ai eu de la chance d’avoir des enseignants qui nous ont emmenés ici et j’ai eu de longs sujets d’études sur Josef Svoboda, un grand scénographe qui a inventé, grâce à ses espaces métaphoriques, de la technologie. C'est un grand scénographe, un grand maître. Il y a aussi une grande tradition de théâtre d’objet, de théâtre de marionnettes. Ce n’est donc sans doute pas un hasard si Prague a été la base et la ville qui a développé cette quadriennale. »

Pour cette 14e édition de la Quadriennale de Prague, la France était présente également au travers d’un second pavillon, réalisé par les étudiants de huit écoles françaises. Camille est étudiante en deuxième année de master à l’Ecole d’architecture de la Villette, elle a été partie prenante du projet :

Camille Ranson,  photo: Anna Kubišta
« On est huit étudiants de huit écoles différentes. On vient de Nantes, Lyon, Paris, Strasbourg… On s’est tous retrouvés une fois par mois pendant, deux, quatre, ou six jours pour des workshops au sein du théâtre Nanterre-Amandiers. On était encadrés par Philippe Quesne. Ce projet est né du nom qu’on nous a donné au début, la Neuvième Ecole : venant de nos huit écoles, on a tous formé une neuvième école. On a réfléchi à une façon d’apprendre la scénographie différemment, en complément de nos études. On a réalisé que nous étions toujours amenés à bouger puisque venant d’écoles et de villes différentes. Le scénographe est constamment amené à voyager pour s’inspirer et pour travailler. C’est un métier nomade. On a donc pensé à une école sur roues, d’où le fait que ça ait pris la forme d’un camion. C’est un camion étalage qui s’ouvre sur tout un flanc et il découvre un intérieur très organique, rose, avec des poils sur le sol, des formes rondes. Cette esthétique vient du fait qu’on voulait un outil proche de nous, où on puisse travailler dans la proximité. Ce camion est un peu un corps vivant, qui réfléchit, digère des informations. Ce ventre rose est plein de blocs de mousse, confortable, il libère le corps pour être ouvert à la réflexion, à la discussion… Et puis la deuxième partie qui est importante, c’est la tête, la cabine du camion. C’est en fait la régie qui peut gérer des vidéos, des sons, c’est un lieu d’accueil pour les interviews diffusées en live dans le corps du camion. »

Les étudiants de la Neuvième Ecole,  photo: Anna Kubišta

Pour Simon, le passage à la Quadriennale de Prague est une étape enrichissante quand on est un étudiant qui se destine à faire de la scénographie son métier…

Simon Restino,  photo: Anna Kubišta
« Je suis Simon Restino, je viens de l’école du TNS à Strasbourg. C’est sûr, pour nous, c’est un rendez-vous un peu particulier. D’autant que ça fait longtemps que la France n’y a pas participé. On se devait d’essayer de se rendre présent, pour aller se nourrir aussi de ce qui nous entoure. Ça pourrait avoir lieu partout pour nous, puisque le camion peut voyager. C’est une escale importante pour nous parce que c’est ce à quoi nous nous destinons plus tard. »

Rendez-vous mondial, la Quadriennale de Prague est un peu ‘the place to be’ dans le monde de la scénographie, le retour de la France après deux éditions d’absence est donc une bonne nouvelle pour Philippe Quesne :

« Pour y être venu en tant qu’étudiant, mais aussi aux deux dernières éditions, où j’ai été invité pour des workshops, c’est vraiment un état des lieux des formes, des esthétiques, des moyens. C’est passionnant : il n’existe aucun équivalent dans le monde sur la dimension scénographique. Il y a beaucoup de curiosité, beaucoup de jeunesse parmi les visiteurs cette année. C’est aussi un moment de prise de conscience d’échelle économique, de ce que des artistes font. Je trouve vraiment importants ces rendez-vous professionnels. On parlait tout à l’heure d’une ligne écologique pour certains pavillons : je le ressens vraiment. Un peu comme pour les biennales d’art, c’est l’occasion d’un véritable état des lieux. »